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[ 15 avril 2024 ] Imprimer

Libertés fondamentales - droits de l'homme

CEDH : contrôle au faciès et profilage racial

La Cour européenne des droits de l’homme a récemment condamné la Suisse pour ne pas avoir examiné les allégations de discrimination raciale à l’encontre de la police. Les juges de Strasbourg ont constaté une violation matérielle de l'interdiction de discrimination (Conv. EDH, art. 14) combinée avec le droit au respect de la vie privée (Conv. EDH, art 8) et une violation du droit à un recours effectif (Conv. EDH, art. 13).

CEDH 20 févr. 2024, Wa baile c/ Suisse, nos 43868/18 et 25883/21

En l’espèce, en 2015, un ressortissant suisse, subit un contrôle d’identité par trois agents de la police municipale, en se rendant sur son lieu de travail, contrôle qu’il qualifie plus tard de « discrimination fondée sur sa couleur de peau ». En raison de son refus de s’y soumettre, les policiers le menèrent à l’écart et le fouillèrent dans le but de trouver un document permettant d’établir son identité. Moins d’un mois plus tard, le requérant fut condamné au paiement d’une amende pénale pour refus d’obtempérer aux injonctions de la police. Estimant qu’aucune autre personne, « presque toutes blanches de peau », n’a été soumise à un contrôle d’identité au même moment et qu’il n’a reçu aucune réponse dans le cadre de ses recours internes à la question de savoir pour quels motifs il avait été arrêté, le requérant saisi la CEDH sur le fondement des articles 14 (interdiction de la discrimination), 8 (droit au respect de la vie privée) et 13 (droit à un recours effectif).

L’arrêt de la CEDH pose ainsi la question cruciale de savoir si la discrimination basée sur la couleur de peau du requérant a été correctement traitée au niveau national et si un recours effectif lui a été accordé.

■ Sous l’angle de l’article 14, combiné à l’article 8 Conv. EDH, la Cour estime qu’il existe, dans notre cas d’espèce, une présomption de traitement discriminatoire à l’égard du requérant et que le Gouvernement n’est pas parvenu à la réfuter. Elle précise que les tribunaux ne se sont pas penchés de manière approfondie sur l’accusation de discrimination, entraînant des violations procédurales et matérielles de la Convention. La Cour met notamment en exergue les difficultés des agents de police à prendre des décisions rapides et l’absence d’instructions claires internes. De plus, les rapports internationaux sur la formation insuffisante des agents de police suisses concernant le profilage racial renforcent cette présomption.

C’est d’ailleurs la position de la Défenseure française des droits, partie intervenante, qui, se référant à plusieurs arrêts de la Cour, rappelle que les contrôles d’identité effectués de manière discriminatoire sont contraires à la Convention et peuvent engager la responsabilité de l’État au titre de ses obligations procédurales positives. Elle relève que les autorités nationales doivent faire preuve d’« une vigilance particulière et [d’]une réaction énergique », se devant ainsi de recourir à tous les moyens dont elles disposent « pour combattre le racisme et prévenir et réprimer ce type d’actes » (§ 83). Dans le même temps, Amnesty International, autre partie intervenante, avance que face à des allégations de violence à caractère raciste, les États ont l’obligation de prendre toutes les mesures raisonnables pour découvrir s’il existait une motivation raciste et pour établir si des sentiments de haine ou des préjugés fondés sur l’origine ethnique ont joué un rôle dans les événements en cause (§ 87 et 88).

■ S’agissant de la violation de l’article 13 Conv. EDH, la Cour rappelle les conclusions qu’elle a formulées sous l’angle du volet procédural, à savoir que le grief défendable du requérant tiré d’une discrimination fondée sur sa couleur de peau n’a pas fait l’objet d’un examen effectif de la part des tribunaux suisses. En effet, le tribunal administratif, ayant annulé sur recours du requérant les décisions des instances internes et conclu à l’illicéité du contrôle litigieux, ne s’est pas prononcé sur la question de savoir si la couleur de peau avait été déterminante pour le contrôle d’identité. Le Tribunal fédéral, quant à lui, a nié que le requérant eût un intérêt digne de protection à l’annulation de la décision attaquée et, dès lors, a jugé qu’il n’avait pas qualité pour recourir. Il s’ensuit que la haute juridiction suisse est restée elle aussi en défaut d’examiner l’allégation de profilage racial à l’aune de l’article 14 combiné avec l’article 8 de la Convention.

Mettant en lumière la nécessité d’une vigilance particulière contre le profilage racial et appelant à des réformes dans la formation des forces de l’ordre pour prévenir de telles discriminations, la décision de la Cour renforce la protection des droits fondamentaux dans le contexte des contrôles d‘identité, offrant ainsi une orientation essentielle pour l’interprétation et l’application future de la Convention européenne des droits de l’homme.

Notons qu’en parallèle de l’arrêt Wa Baile c/ Suisse, l’affaire Cédi et autres c/ France (n° 35844/17) expose également les défis persistants du profilage racial en France devant la CEDH. Les requérants, confrontés à des contrôles d’identité, qu’ils qualifient de « contrôles au faciès », ont vu leurs allégations de discrimination rejetées par les tribunaux nationaux, y compris la Cour de cassation dans divers arrêts du 9 novembre 2016, considérant que les allégations de discrimination formulées par les requérants n’étaient pas suffisamment étayées et que, en l’absence de preuve du caractère discriminatoire des contrôles d’identité, la responsabilité de l’État ne pouvait être engagée. Cette requête pendante, que la Cour européenne des droits de l’homme devra prochainement examiner, souligne la nécessité d’une protection juridique renforcée contre de telles pratiques discriminatoires, à savoir le profilage racial et les contrôles au faciès en Europe.

Références :

■ CEDH, Cédi et autres c/ France, req. n° 35844/17 communiquée le 6 oct. 2021, v. ici

 

Auteur :Sawsen Marsit


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