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Droit de la responsabilité civile
Accidents de la circulation : la faute inexcusable de la victime retenue !
Mots-clefs : Responsabilité délictuelle, Accidents de la circulation, Exonération, Faute inexcusable de la victime, Critères
En s’allongeant volontairement sur une voie de circulation fréquentée, en état d’ébriété, de nuit, en un lieu dépourvu d’éclairage public, la victime d’un accident de la circulation a commis une faute inexcusable.
On sait de quelle manière la Cour de cassation, par une politique jurisprudentielle du tout ou rien (arrêt Desmares) — exonération totale ou absence d’exonération — a provoqué la réforme du 5 juillet 1985, dont le but affiché fut d’améliorer l’indemnisation des victimes, surtout lorsque celles-ci n’ont pas la qualité de conducteurs. En effet, dans l’aménagement retenu par la loi nouvelle, les victimes autres que les conducteurs bénéficient d’une amélioration sensible de leur sort puisque seule une faute inexcusable peut leur être opposée, l’article 3, alinéa 1er, de la loi excluant qu’une simple faute puisse leur être opposée. Pour remédier aux défauts du système antérieur, qui conduisait à n’indemniser que partiellement la victime fautive alors que la charge de la réparation ne pesait pas sur l’auteur du dommage, obligatoirement assuré, la loi « Badinter » garantit aux victimes non-conductrices une indemnisation quasi automatique des dommages causés à leur personne par un accident de la circulation. Cela étant, la loi ne couvre pas tous les comportements répréhensibles des victimes : la réserve de leur faute inexcusable, au cœur de l’arrêt rapporté, est prévue à cet effet.
En l’espèce, les enfants d’une victime, non-conductrice, décédée à la suite d’un carambolage, demandent réparation de leur préjudice, subi par ricochet (L. 1985, art. 6). En appel, la demande est rejetée au motif de la faute inexcusable de la victime principale, qui s’était volontairement allongée, de nuit et en état d’ébriété, sur une voie de circulation fréquentée et dépourvue d’éclairage public. La Cour de cassation rejette le pourvoi formé par les enfants de la victime confirmant la commission, dans ces conditions, d’une faute inexcusable excluant l’indemnisation des victimes.
Ici retenue sans difficulté, la notion de faute inexcusable a néanmoins longtemps suscité des difficultés d’interprétation, nées d’un emprunt hasardeux, par les tribunaux, de définitions déjà existantes de la faute inexcusable, rendues en matière de responsabilité civile ou plus spécialement, à propos des accidents du travail. Différant pourtant profondément d’une matière à l’autre, la notion fut alors, par la suite, précisée par la Cour de cassation dans une série de dix arrêts rendus le 20 juillet 1987 : « est inexcusable (…) la faute volontaire d’une exceptionnelle gravité exposant sans raison valable son auteur à un danger dont il aurait dû avoir conscience ».
Les demanderesses au pourvoi avaient tenté d’exploiter la relative imprécision de cette définition pour exclure la réalisation, en l’espèce, d’une telle faute, dont l’exceptionnelle gravité ne devrait pas pouvoir être retenue. Certes imprécis, le critère objectif tiré de l’exceptionnelle gravité de la faute peut néanmoins être défini comme tout acte allant au-delà de la simple inadvertance ou imprudence, ce qui était, de toute évidence, le cas dans cette affaire. Lors des débats parlementaires, le garde des Sceaux avait d’ailleurs indiqué qu’une telle faute est celle que ne sont capables de commettre que les « asociaux de la circulation ». D’où la très rare admission, par la Cour de cassation, de cette qualification et l’intérêt, qui en résulte, de la décision commentée.
La reconnaissance de la faute inexcusable était ici prévisible, la Haute cour ayant déjà retenu, dans des circonstances proches et tout aussi répréhensibles, le comportement inexcusable du piéton qui s’est engagé de nuit, sur une voie mal éclairée, après avoir franchi le muret surmontant le terre-plein séparant la chaussée à double sens de circulation, sans s’assurer qu’il pouvait le faire et en négligeant, de surcroît, d’emprunter le passage protégé situé à proximité du lieu de l’accident (Civ. 2e, 7 juin 1990).
Enfin, soulignons qu’en ce qui concerne l’aspect subjectif de la faute, qui résulte de l’intentionnalité du comportement de la victime fautive et de la conscience qu’elle aurait dû avoir du danger, la Cour de cassation rappelle la règle selon laquelle le défaut de discernement causé par l’usage d’alcool ne prive pas d’opposer à la victime la faute qu’elle a commise sous l’influence de sa consommation, même si celle-ci ne suffit pas, à elle seule, à constituer l’exceptionnelle gravité de la faute (Civ. 2e, 13 févr. 1991 et 8 janv.1992).
Civ. 2e, 28 mars 2013, n°12-14.522
Références
■ F. Terré, P. Simler, Y. Lequette, Les obligations, 10e éd., Dalloz, coll. « Précis », n°969 s.
■ Loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 tendant à l'amélioration de la situation des victimes d'accidents de la circulation et à l'accélération des procédures d'indemnisation
« Les victimes, hormis les conducteurs de véhicules terrestres à moteur, sont indemnisées des dommages résultant des atteintes à leur personne qu'elles ont subis, sans que puisse leur être opposée leur propre faute à l'exception de leur faute inexcusable si elle a été la cause exclusive de l'accident.
Les victimes désignées à l'alinéa précédent, lorsqu'elles sont âgées de moins de seize ans ou de plus de soixante-dix ans, ou lorsque, quel que soit leur âge, elles sont titulaires, au moment de l'accident, d'un titre leur reconnaissant un taux d'incapacité permanente ou d'invalidité au moins égal à 80 p. 100, sont, dans tous les cas, indemnisées des dommages résultant des atteintes à leur personne qu'elles ont subis.
Toutefois, dans les cas visés aux deux alinéas précédents, la victime n'est pas indemnisée par l'auteur de l'accident des dommages résultant des atteintes à sa personne lorsqu'elle a volontairement recherché le dommage qu'elle a subi. »
« Le préjudice subi par un tiers du fait des dommages causés à la victime directe d'un accident de la circulation est réparé en tenant compte des limitations ou exclusions applicables à l'indemnisation de ces dommages. »
■ Civ. 2e, 21 juill. 1982, RTD civ. 1982. 606, obs. G. Durry ; J.-L. Aubert, « L'arrêt Desmares, une provocation à quelles réformes ? », D. 1983. Chron. 1.
■ Civ. 2e, 20 juillet 1987, n°86-16.236.
■ Civ. 2e, 7 juin 1990, n°89-14.016.
■ Civ. 2e, 13 févr. 1991, n°89-10.054.
■ Civ. 2e, 8 janv. 1992, n°89-18.663, D. 1992. 403, note J.-L. Aubert.
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