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Libertés fondamentales - droits de l'homme
Accouchement anonyme : la Cour européenne des droits de l'homme exige la relativité du secret des origines
Mots-clefs : Cour européenne des droits de l'homme, Droit à la vie privée, Adoption, Accouchement anonyme, Accès aux origines, Filiation
En refusant à l'enfant adopté et non reconnu à la naissance toute possibilité de demander soit l'accès à des informations non identifiantes sur ses origines, soit la réversibilité du secret de l'identité de sa mère, la législation italienne ne tente de ménager aucun équilibre entre le droit de l'enfant à connaître ses origines et les droits et les intérêts de la mère à maintenir son anonymat.
Plus de soixante ans après son abandon par sa mère biologique à la naissance — lequel a donné lieu à son adoption simple —, une Italienne saisit le bureau de l'état civil de son lieu de naissance d'une demande tendant à obtenir des renseignements sur ses origines. Son acte de naissance ainsi obtenu ne contenant pas le nom de sa mère biologique, conformément au souhait de cette dernière, la requérante se tourne vers la justice. Son recours est rejeté puisque, conformément à la loi italienne sur l'adoption du 4 mai 1983, l'accès aux informations sur ses origines était interdit à la requérante, la mère ayant, au moment de sa naissance, refusé la divulgation de son identité.
Estimant que le secret de sa naissance et l'impossibilité en résultant pour elle de connaître ses origines constituent une violation de son droit au respect de sa vie privée et familiale garanti par l'article 8 de la Conv. EDH, la requérante a saisi la Cour de Strasbourg.
Après avoir rappelé que, pour ce qui relève de la protection de l'article 8 de la Conv. EDH, il faut avoir égard au juste équilibre à ménager entre les intérêts concurrents, et que les États parties jouissent d'une certaine marge d'appréciation quant aux obligations positives et négatives inhérentes à un respect effectif de la vie privée, la Cour constate que cette protection bénéficie à l'enfant comme à la mère : à l'enfant, dont le droit à la connaissance de ses origines trouve son fondement dans la notion de vie privée ; à la mère, dont l'intérêt à conserver l'anonymat pour sauvegarder sa santé en accouchant dans des conditions médicales appropriées n'est pas sans lien avec l'intérêt général qui s'attache à la préservation de la santé de la mère et de l'enfant.
Les juges poursuivent en énonçant que le droit à l'identité - dont relève le droit de connaître son ascendance - faisant partie intégrante de la notion de vie privée, un examen plus approfondi s'impose pour peser les intérêts concurrents.
C'est une comparaison avec l'état du droit français en la matière qui fournit les bases de cet examen, et fonde en grande partie le raisonnement développé en l'espèce pour constater la violation de la Convention. Dans ce contentieux, la CEDH s'est en effet déjà prononcée positivement sur la conformité du droit français aux prévisions de la Convention, dans un arrêt Odièvre c/ France (CEDH, 13 févr. 2003), abondamment cité dans l'arrêt ici commenté. Dans cette espèce voisine, la Cour a estimé que l'état du droit français résultant de la loi no 2002-93 du 22 janvier 2002 relative à l'accès aux origines des personnes adoptées et pupilles de l'État, tente d'atteindre un équilibre et une proportionnalité suffisante entre les intérêts en cause. Ce texte, tout en maintenant le principe de l'admission de l'accouchement anonyme, a renforcé et organisé la possibilité de lever le secret de l'identité de la mère, avec l'accord exprès de cette dernière (v. CASF, art. L. 147-1 s., et spéc. art. L. 147-6). À défaut d'avoir pu connaître l'identité de sa mère de naissance, la requérante française avait d'ailleurs eu accès à des informations non identifiantes relatives à sa mère et sa famille biologique, ce qu'autorise le code de l'action sociale et des familles même dans l'hypothèse où les intéressés n'auraient pas consenti à la levée du secret de leur identité (CASF, art. L. 147-6, al. 5)
Rien de tel dans la loi italienne, la requérante s'étant vu opposer un refus absolu et définitif d'accéder à ses origines personnelles, lui interdisant de recueillir la moindre information susceptible de lui permettre « d'établir quelques racines de son histoire dans le respect de la préservation des intérêts des tiers » (§ 68).
L'analyse comparée des législations italienne et française en matière d'accès aux origines amène les juges à conclure que la tentative de rechercher un équilibre entre les intérêts en présence, à laquelle s'était prêté le législateur français, faisait totalement défaut au sein de la législation italienne, entraînant la violation de l'article 8 de la Conv. EDH par l'État italien.
Cette condamnation sera probablement un aiguillon puissant pour amener le Parlement italien à adopter un projet de loi à l'examen depuis 2008 prévoyant, sur le modèle français, d'organiser la réversibilité du secret de l'identité de la mère, sous réserve de son accord exprès.
CEDH 25 sept. 2012, affaire Godelli c/ Italie, req. no 33783/09
Références
■ CEDH 13 févr. 2003, affaire Odièvre c/ France, req. no 42326/98, JCP 2003. II. 10049, note A. Gouttenoire et F. Sudre ; Dr. fam. 2003. Comm. 58, note P. Murat ; RTD civ. 2003. 276, obs. J. Hauser, et 375, obs. J.-P. Marguénaud.
■ Article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme – Droit au respect de la vie privée et familiale
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »
■ Code de l’action sociale et des familles
« Un Conseil national, placé auprès du ministre chargé des affaires sociales, est chargé de faciliter, en liaison avec les départements et les collectivités d'outre-mer, l'accès aux origines personnelles dans les conditions prévues au présent chapitre.
Il assure l'information des départements, des collectivités d'outre-mer et des organismes autorisés et habilités pour l'adoption sur la procédure de recueil, de communication et de conservation des renseignements visés à l'article L. 147-5, ainsi que sur les dispositifs d'accueil et d'accompagnement des personnes à la recherche de leurs origines, des parents de naissance et des familles adoptives concernés par cette recherche ainsi que sur l'accueil et l'accompagnement des femmes demandant le bénéfice des dispositions de l'article L. 222-6.
Il émet des avis et formule toutes propositions utiles relatives à l'accès aux origines personnelles. Il est consulté sur les mesures législatives et réglementaires prises dans ce domaine.
Il est composé d'un magistrat de l'ordre judiciaire, d'un membre de la juridiction administrative, de représentants des ministres concernés, d'un représentant des conseils généraux, de trois représentants d'associations de défense des droits des femmes, d'un représentant d'associations de familles adoptives, d'un représentant d'associations de pupilles de l'État, d'un représentant d'associations de défense du droit à la connaissance de ses origines, et de deux personnalités que leurs expérience et compétence professionnelles médicales, paramédicales ou sociales qualifient particulièrement pour l'exercice de fonctions en son sein. »
« Le conseil communique aux personnes mentionnées au 1° de l'article L. 147-2, après s'être assuré qu'elles maintiennent leur demande, l'identité de la mère de naissance :
- s'il dispose déjà d'une déclaration expresse de levée du secret de son identité ;
- s'il n'y a pas eu de manifestation expresse de sa volonté de préserver le secret de son identité, après avoir vérifié sa volonté ;
- si l'un de ses membres ou une personne mandatée par lui a pu recueillir son consentement exprès dans le respect de sa vie privée ;
- si la mère est décédée, sous réserve qu'elle n'ait pas exprimé de volonté contraire à l'occasion d'une demande d'accès à la connaissance des origines de l'enfant. Dans ce cas, l'un des membres du conseil ou une personne mandatée par lui prévient la famille de la mère de naissance et lui propose un accompagnement.
Si la mère de naissance a expressément consenti à la levée du secret de son identité ou, en cas de décès de celle-ci, si elle ne s'est pas opposée à ce que son identité soit communiquée après sa mort, le conseil communique à l'enfant qui a fait une demande d'accès à ses origines personnelles l'identité des personnes visées au 3° de l'article L. 147-2.
Le conseil communique aux personnes mentionnées au 1° de l'article L. 147-2, après s'être assuré qu'elles maintiennent leur demande, l'identité du père de naissance :
- s'il dispose déjà d'une déclaration expresse de levée du secret de son identité ;
- s'il n'y a pas eu de manifestation expresse de sa volonté de préserver le secret de son identité, après avoir vérifié sa volonté ;
- si l'un de ses membres ou une personne mandatée par lui a pu recueillir son consentement exprès dans le respect de sa vie privée ;
- si le père est décédé, sous réserve qu'il n'ait pas exprimé de volonté contraire à l'occasion d'une demande d'accès à la connaissance des origines de l'enfant. Dans ce cas, l'un des membres du conseil ou une personne mandatée par lui prévient la famille du père de naissance et lui propose un accompagnement.
Si le père de naissance a expressément consenti à la levée du secret de son identité ou, en cas de décès de celui-ci, s'il ne s'est pas opposé à ce que son identité soit communiquée après sa mort, le conseil communique à l'enfant qui a fait une demande d'accès à ses origines personnelles l'identité des personnes visées au 3° de l'article L. 147-2.
Le conseil communique aux personnes mentionnées au 1° de l'article L. 147-2 les renseignements ne portant pas atteinte à l'identité des père et mère de naissance, transmis par les établissements de santé, les services départementaux et les organismes visés au cinquième alinéa de l'article L. 147-5 ou recueillis auprès des père et mère de naissance, dans le respect de leur vie privée, par un membre du conseil ou une personne mandatée par lui. »
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