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Libertés fondamentales - droits de l'homme
Accouchement sous X et droit d’accès aux origines de l’enfant
Le refus de communiquer l’identité de la mère ayant accouché sous X, fondée sur son refus exprès, ne constitue pas violation du droit à la vie privée et familiale de l’enfant (Conv. EDH, art. 8) si celui-ci a pu bénéficier d’une procédure permettant la demande de la levée du secret, ainsi qu’accéder à des informations non identifiantes sur ses origines.
CEDH 30 janv. 2024, Cherrier c/ France, n° 18843/20
La requérante, née sous X, souhaite accéder à l’identité de sa mère biologique. Elle requiert cette information auprès du Conseil national pour l’accès aux origines personnelles (CNAOP). Cet organisme public crée par la loi du 22 janvier 2002 (n° 2002-93) est destiné à faciliter l’accès aux origines personnelles des personnes nées sans connaître leurs parents.
■ Conditions de l’accès aux origines. En vertu des articles L. 147-6 et L. 147-7 du Code de l’action sociale et des familles, l’identité des parents peut être partagée dans quatre cas : si les parents ont spontanément levé le secret de leur identité (1) ; si le parent n’a pas manifesté le souhait de préserver son identité (2) ; si les parents sont décédés sans s’opposer à la levée du secret (3) ; et enfin si le CNAOP parvient à recueillir le consentement des parents (4).
En l’espèce, la mère exprime vouloir préserver le secret de son identité (pt.1). Le CNAOP refuse donc de communiquer son identité à la requérante. Elle saisit les juridictions nationales, et épuise les voies de recours interne. La juridiction administrative suprême relève que le système prévu par le droit français poursuit « un équilibre entre le respect dû au droit à l’anonymat garanti à la mère (…) et le souhait légitime de l’enfant de connaître ses origines. » (CE 16 oct. 2019, n° 420230, pt. 5). La requérante saisit par la suite la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), dénonçant une éventuelle violation de l’article 8 de la Conv. EDH.
■ Article 8, droit au respect de la vie privée et familiale. Est admis par la Cour de Strasbourg que le refus de partager l’identité de la mère constitue une ingérence dans la vie privée de la requérante (pts. 47 et 56). Une telle ingérence peut être admise si elle est prévue par la loi (1), et nécessaire (2) à la poursuite d’un but légitime (3). La Cour examine donc selon ces trois critères et relève que l’ingérence est prévue par la loi, et poursuit le but légitime de protection des droits d’autrui prévu à l’article 8 § 2.
Quant à la question de la nécessité, notons que l’article 8 § 1 de la Conv. EDH énonce que « toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (…) ». Tant la mère que la fille bénéficient de ce droit. Cela crée une situation où les droits et intérêts en cause sont « difficilement conciliables ». La CEDH souligne « qu’il ne faut pas sous-estimer l’impact [de la levée du secret] (…) sur la vie privée de la mère » mais que « la douleur que peut causer le maintien du secret [à l’enfant] (…) doit être prise au sérieux » (pt. 72). En effet, il est dans l’intérêt du respect de la vie privée de sa mère que son identité ne soit pas révélée, et dans celle de sa fille que le secret soit levé.
La Cour prend en compte le fait que, bien que la question du secret de l’identité des parents soit liée à des questions éthiques délicates (pt. 68), la France se trouve minoritaire parmi les États membre du Conseil de l’Europe « qui, dans leur majorité, ne connaissent pas l’institution de l’accouchement dans le secret dans une forme aussi poussée (…) » (pt. 69). Cela réduit la marge d’appréciation accordée à l’État.
Rappelant sa jurisprudence (v. Odièvre c/ France et Godelli c/ Italie), la Cour rappelle ne pas mettre en cause la possibilité de maintenir un système d’accouchement dans l’anonymat. Mais, est « jugé nécessaire qu’ils [les États] organisent (…), une procédure permettant de solliciter la réversibilité du secret » (pt. 76) sous réserve d’accord du parent ; ainsi que l’accès à des informations non identifiantes sur ses origines. En l’espèce, tel est le cas. La requérante a pu effectuer une procédure auprès de la CNAOP et, malgré le refus de la mère, accéder à des informations non-identifiantes (pt. 78). Elle a aussi bénéficié d’une procédure juridictionnelle contradictoire qui lui a permis de faire valoir ses arguments.
La CEDH affirmant qu’elle ne « sous-estime pas l’impact » (pt. 81) du refus litigieux sur la vie privée de la requérante, conclut que, compte tenu des éléments susmentionnés, le juste équilibre entre le droit de la requérante à connaître ses origines, et les droits et intérêts de la mère à maintenir son anonymat, n’a pas été rompu. L’État français n’a pas excédé la marge d’appréciation dont elle bénéficie.
La non-violation est conclue à six voix contre une.
Notons, que la Cour de Strasbourg considère « regrettable » (pt. 77) le fait que l’accès aux origines ait été qualifié de « souhait légitime » et non de « droit subjectif » par les juridictions françaises, à l’instar du droit à accoucher sous X.
Références :
■ CE 16 oct. 2019, n° 420230 A : AJDA 2019. 2085 ; D. 2019. 2299, obs. L. Carayon ; AJ fam. 2019. 654, obs. M. Saulier ; ibid. 615, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; RDSS 2019. 1101, note F. Monéger ; RTD civ. 2020. 75, obs. A.-M. Leroyer.
■ CEDH gd. ch. 13 févr. 2003, Odièvre c/ France, n° 42326/98 : AJDA 2003. 603, chron. J.-F. Flauss ; D. 2003. 739, et les obs. ; ibid. 1240, chron. B. Mallet-Bricout ; RDSS 2003. 219, note F. Monéger ; RTD civ. 2003. 276, obs. J. Hauser ; ibid. 375, obs. J.-P. Marguénaud.
■ CEDH gd. ch. 25 sept. 2012, Godelli c/ Italie, n° 33783/09 : D. 2012. 2309, et les obs. ; ibid. 2013. 798, obs. M. Douchy-Oudot ; ibid. 1235, obs. Regine ; ibid. 1436, obs. F. Granet-Lambrechts ; AJ fam. 2012. 554, obs. F. Chénedé ; RTD civ. 2013. 104, obs. J. Hauser.
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