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Acquisition de la nationalité française : la condition relative à la durée de la résidence habituelle en France prévue par l’article 21-13-2 du Code civil s’apprécie au jour de la majorité
Dans un avis du 27 novembre 2024, la première chambre de la Cour de cassation se prononce sur la condition de délai de la résidence habituelle en France dans le cadre de l'acquisition de la nationalité française par déclaration, en qualité de frère ou sœur de Français.
Civ. 1re, 27 nov. 2024, n° 24-70.006
L'article 21-13-2, alinéa 1er, du Code civil dispose que peuvent réclamer la nationalité française à leur majorité, par déclaration souscrite auprès de l'autorité administrative en application des articles 26 à 26-5, les personnes qui résident habituellement sur le territoire français depuis l'âge de six ans, si elles ont suivi leur scolarité obligatoire en France dans des établissements d'enseignement soumis au contrôle de l'État, lorsqu'elles ont un frère ou une sœur ayant acquis la nationalité française en application des articles 21-7 ou 21-11. Cette disposition consacre un cas d’acquisition de la nationalité française par déclaration, récemment introduit dans notre droit pour répondre à certaines difficultés rencontrées dans le cadre de la procédure de naturalisation, et pour remédier aux inégalités au sein des familles. Elle vise les jeunes majeurs dont un frère ou une sœur a acquis la nationalité française, soit sur le fondement de l’article 21-7 du Code civil, c’est-à-dire de plein droit à la majorité, en raison de la naissance et de la résidence en France, soit sur le fondement de l’article 21-11 du Code civil, par déclaration anticipée à l’âge de seize ou treize ans. L’intéressé doit avoir atteint l’âge de la majorité au moment de la souscription de la déclaration, avoir résidé habituellement en France depuis l’âge de six ans, et avoir suivi sa scolarité obligatoire en France dans un établissement d’enseignement soumis au contrôle de l’État.
Concernant les conditions d’application de ce texte, la Cour de cassation était saisie de la question suivante : en l’absence de précision textuelle, la condition relative à la durée de la résidence habituelle en France doit-elle être appréciée au jour de la majorité du demandeur à la nationalité, et être ainsi encadrée dans un délai de douze ans, ou au jour de la déclaration de nationalité, quel que soit le délai écoulé entre la majorité du demandeur et la déclaration de souscription de nationalité ?
Au cas d’espèce, par décision du 28 octobre 2019, le ministre de l'intérieur avait refusé l'enregistrement de la déclaration de nationalité française souscrite par une jeune femme marocaine de 31 ans, effectuée sur le fondement de l'article 21-13-2 du Code civil, au motif qu'elle n'avait pas fixé sa résidence habituelle en France, son époux, avec lequel elle est mariée depuis 2015, résidant à l'étranger. Par acte du 7 mars 2020, la requérante avait alors assigné le procureur de la République aux fins d'ordonner l'enregistrement de sa déclaration de nationalité française. Le tribunal judiciaire de Marseille la débouta de sa demande, après avoir constaté son extranéité. Après qu’elle eut interjeté appel de cette décision, la cour d’Aix-en-Provence a transmis une demande d’avis à la Cour de cassation. Nouvelle, la question présentait en outre une difficulté sérieuse et récurrente (v. COJ, art. L. 441-1, al. 1er : « Avant de statuer sur une question de droit nouvelle, présentant une difficulté sérieuse et se posant dans de nombreux litiges, les juridictions de l'ordre judiciaire peuvent, par une décision non susceptible de recours, solliciter l'avis de la Cour de cassation »). En effet, la disposition de l’article 21-13-2 du Code civil est relativement récente puisqu’elle est issue de la loi n° 2016-274 du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France. Par ailleurs, la Cour de cassation n’avait jamais statué sur la question dont elle était saisie à l’occasion de la présente demande d’avis, Rare, le contentieux est toutefois en augmentation.
Sur le fond, la demande d’avis soulevait une question à laquelle plusieurs réponses sont susceptibles d’être apportées, présentant ainsi un risque réel de contrariété de jurisprudence. La question posait donc une difficulté sérieuse. En effet, lorsqu’une déclaration de nationalité est souscrite, comme en l’espèce, postérieurement à la majorité de l’intéressé, l’article 21-13-2 ne précise pas si la condition de résidence habituelle en France depuis l'âge de 6 ans doit être remplie jusqu'à la majorité, ou s'il faut prouver une résidence habituelle en France depuis l'âge de 6 ans jusqu'à la date de la déclaration. Le cas de figure n’a pas été prévu par le texte. Cette lacune a été soulignée par la doctrine, qui observe à cet égard un décalage entre la teneur des débats parlementaires et le texte finalement adopté. L’article 21-13-2 du Code civil requiert une résidence habituelle en France « depuis » l’âge de six ans, ce qui pourrait laisser penser que la condition doit s’apprécier sur toute la période allant de l’âge de six ans jusqu’au jour de la souscription de la déclaration. Au contraire, les travaux à l’Assemblée nationale révèlent que les débats parlementaires reposent sur le postulat implicite que la condition de résidence couvre une période de douze ans (de l’âge de six ans jusqu’à la majorité), ce qui suggère une appréciation de la condition de résidence habituelle à la date de la majorité de l’intéressé. En écho à cette alternative, la formulation de la demande d’avis conduisait à envisager deux manières différentes d’apprécier la durée de la résidence habituelle requise par l’article 21-13-2 :
• Soit l’on se place au jour de la majorité du demandeur à la nationalité, ce qui revient à exiger une durée de résidence de douze ans, entre l’âge de six et dix-huit ans ;
• Soit l’on se place au jour de la déclaration de nationalité, quel que soit le délai écoulé entre la majorité du demandeur et la déclaration de nationalité, ce qui revient à exiger une résidence habituelle continue en France, depuis l’âge de six ans jusqu’au jour de la déclaration.
En faveur de cette dernière approche (appréciation de la condition de résidence habituelle au jour de la souscription de la déclaration), l’argument principal tient dans une interprétation littérale du texte, visant les personnes « qui résident habituellement sur le territoire français depuis l’âge de six ans ». L’emploi du présent suggère que l’on se place au jour de la souscription, et la préposition « depuis » indique le point de départ dans le temps d'une résidence qui dure jusqu'au moment où la nationalité est demandée. Un autre argument peut s’appuyer sur le fondement des cas d’acquisition de la nationalité par déclaration. Rappelons qu’en comparaison avec la naturalisation, conçue comme une faveur (discrétionnaire) faite par la France à l’intéressé, l’acquisition par déclaration s’apparente à un droit subjectif à devenir Français, dès lors que les conditions légales en sont remplies. Toute acquisition par déclaration suppose, dès lors, l’existence de liens particulièrement forts et effectifs avec la France. Or en cas de résidence habituelle à l’étranger entre la date de la majorité et la date de la souscription de la déclaration, l’effectivité des liens a pu s’affaiblir. En l’espèce, l’appréciation de la condition de résidence au jour de la déclaration de nationalité correspond à la position défendue par le ministère public.
Préférant la première approche (appréciation de la condition de résidence habituelle au jour de la majorité), la Cour de cassation fait le choix d’une interprétation téléologique et systématique de l’article 21-13-2. Le premier argument avancé par la Cour en faveur de cette interprétation tient à l’objectif, exprimé au cours des travaux parlementaires, de faveur et de simplification par rapport à la procédure de naturalisation. La première intention du législateur était en effet de simplifier les démarches d’accès à la nationalité française pour des personnes qui, en raison de l’ancienneté de leur séjour en France et de l’intensité de leurs liens avec ce pays, bénéficient d’une « présomption d’assimilation » (pt 5). Dans les hypothèses où, ainsi qu’en l’espèce, la déclaration est souscrite postérieurement à la majorité, la requérante ayant 31 ans au jour de la déclaration, apprécier la condition de résidence au jour de sa déclaration reviendrait à exiger une résidence habituelle en France de 25 ans. Une telle durée ne semble pas compatible avec ce cas d’acquisition de la nationalité, considérée comme une mesure de faveur par rapport à la naturalisation. Le second argument avancé par la Cour tient à l’objectif également poursuivi par le législateur de remédier aux inégalités au sein des fratries (pt 5). Or apprécier la condition de résidence au jour de la déclaration empêche d’atteindre cet objectif. En effet, les frères et sœurs nés sur le territoire français deviennent Français de plein droit à la majorité, en sorte qu’un déménagement ultérieur à l’étranger n’aura aucun impact sur leur nationalité française. Pour l’aîné né à l’étranger, au contraire, un déménagement à l’étranger après la majorité risquerait de rendre impossibles non seulement une acquisition de la nationalité par déclaration, mais sans doute aussi une naturalisation (pt 7). Pourtant, pour une personne placée dans la situation de la requérante, venue en France à l’âge d’un an et onze mois, la différence de situation avec ses frères et sœurs nés en France apparaît minime. En conséquence, la Cour de cassation est d’avis que la condition relative à la résidence habituelle en France depuis l’âge de six ans, prévue par l’article 21-13-2, al.1, du code civil, s’apprécie à la date de la majorité de l’intéressé (pt 8).
Ce délai étant acquis, une déclaration de nationalité peut être souscrite postérieurement à la majorité, mais sous l’importante réserve d’une résidence habituelle en France au jour de la souscription. L’on peut hésiter en effet à admettre une acquisition de la nationalité par déclaration au profit d’une personne établie à l’étranger, après avoir résidé en France jusqu’à sa majorité, si elle n’a pas rétabli sa résidence habituelle en France au moment de la souscription de la déclaration de nationalité : faute de rétablissement de la résidence habituelle en France, les liens avec le pays se sont distendus, ce qui fragilise la présomption d’assimilation. Pour cette raison, si la Cour souscrit à la thèse d’une appréciation de la condition de résidence au jour de la majorité, elle y ajoute la condition nécessaire de la résidence habituelle en France au jour de la déclaration sans toutefois exiger, pour les raisons qui précèdent, une résidence habituelle continue en France entre la date de la majorité et celle de la souscription de la déclaration.
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