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Droit de la consommation
Acquisition de parts sociales : conciliation avec la notion de consommateur
Une personne physique qui souscrit un prêt destiné à financer des parts sociales ne perd pas nécessairement la qualité de consommateur.
Civ. 1re, 20 avr. 2022, n° 20-19.043
La personne physique qui souscrit un prêt personnel destiné à financer l’acquisition de parts sociales peut-elle encore être considérée comme un consommateur ? Tel était le problème, difficile à résoudre, soulevé par les faits ayant donné à l’arrêt rapporté.
Deux époux avaient, par acte notarié du 7 mars 2007, souscrit un prêt pour financer l’acquisition de parts sociales. Or le prêt n’indiquait pas expressément dans quelle société ces parts devaient être acquises. Les emprunteurs n’ayant pu rembourser la banque, celle-ci avait fait pratiquer une saisie-attribution sur leurs comptes bancaires pour se désintéresser des sommes prêtées. Invoquant la prescription, les emprunteurs avaient demandé l’annulation du procès-verbal de saisie-attribution. Le juge de l’exécution avait fait droit à leur demande au motif que la prescription biennale de l’article L. 218-2 du code de la consommation était acquise. La banque interjeta appel avec succès : pour infirmer le jugement entrepris, la juridiction du second degré retint en effet que le prêt ayant été destiné à l’acquisition de parts sociales, les emprunteurs ne pouvaient être considérés comme des consommateurs si bien que l’opération échappait au jeu de la prescription biennale, réservée aux seuls consommateurs, pour se trouver assujettie au délai quinquennal de l’article L. 110-4 du code de commerce, encore en cours. En conséquence, le procès-verbal de saisie-attribution n’encourrait pas l’annulation. Les emprunteurs ont alors formé un pourvoi en cassation, reprochant aux juges du fond d’avoir conclu à leur qualité de professionnel au regard du seul objet de l’opération - l’acquisition de parts sociales -, alors que la qualité de consommateur ne peut être ôtée à des personnes physiques contractant hors du champ de leur activité professionnelle, et ce même à l’effet d’acquérir des parts sociales. À l’inverse, il était soutenu par la banque que les parts acquises étant celles d’une société exploitant un fonds de commerce de boulangerie, dans lequel les deux époux étaient salariés, la qualité de professionnels de ses emprunteurs avait à bon droit été caractérisée.
La cassation de la décision des juges du fond est prononcée au seul visa de l’article L. 218-2 précité. L’article liminaire du code de la consommation, qui définit le consommateur comme « toute personne physique qui agit à des fins qui n'entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole », n’est pas convoqué en raison de l’antériorité de la date de conclusion du contrat litigieux à l’entrée en vigueur de ce texte (L. n° 2014-344 du 17 mars 2014 ; Ord. n° 2016-301 du 14 mars 2016). Se référant alors, sans le citer, à l’article liminaire actuellement en vigueur, la Haute juridiction se prononce sur la perte de la qualité de consommateur, qui dépend du but dans lequel le contrat a été conclu : ce dernier doit l’avoir été « à des fins entrant dans le cadre de son activité professionnelle ». Partant, « la personne physique qui souscrit un prêt destiné à financer l'acquisition de parts sociales ne perd la qualité de consommateur que si elle agit à des fins qui entrent dans le cadre de son activité professionnelle ». Ainsi des emprunteurs conservent-ils la possibilité d’agir hors de leur activité professionnelle pour procéder à une telle acquisition sans que celle-ci puisse conduire à leur faire perdre, par automatisme, leur qualité de consommateurs. Autrement dit, « l'acquisition de parts sociales ne suffisait pas, à elle seule, à exclure la qualité de consommateur des emprunteurs » (c’est nous qui soulignons).
Au regard de la nature même de l’opération, la solution a de quoi surprendre. Habituellement liée à l’exercice d’une activité professionnelle, l’acquisition de parts sociales justifierait d’écarter par principe la qualité de consommateur de celui qui contracte pour la financer. C’était d’ailleurs cette voie qu’avaient empruntée les juges du fond, inférant la perte de la qualité de consommateur des emprunteurs de la commercialité présumée de l’opération. Moins dogmatique et plus nuancée, la règle énoncée par la Cour de cassation, selon laquelle l’acquisition de parts sociales n’est pas en soi une opération de nature à exclure la qualité de consommateur (§ 10), admet la possibilité de renverser cette présomption. À rebours de l’analyse des juges d’appel, la première chambre civile considère que l’acquisition de parts sociales n’est pas inconciliable avec la qualité de consommateur dont la perte ne peut, même dans le cadre d’une telle opération, être automatiquement constatée. En effet, pour ôter à l’emprunteur sa qualité de consommateur, la commercialité de l’opération que le prêt a vocation à financer ne suffit pas ; encore faut-il établir que le prêt souscrit l’a été dans un but entrant dans le cadre de l’exercice de sa profession, conformément au critère de l’activité professionnelle habituellement retenu en droit de la consommation. Or il arrive que le contrat de prêt n’ait pas été conclu dans un tel cadre : ainsi, celui qui acquiert des parts d’une SCI destinée à assurer le logement de la famille n’agit pas à des fins professionnelles. Ainsi convient-il de tenir compte non pas de la nature de l’opération mais de sa finalité, appréciée in concreto (J. Calais-Auloy, H. Temple et M. Dépincé, Droit de la consommation, 10e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2020, p. 8, n°7). En ce sens, loin d’être un simple arrêt d’application, la décision rapportée indique une méthodologie générale centrée sur la finalité exacte de l’acte dont la portée sera utile pour juger à l’avenir de tous les actes couramment liés à une activité commerciale. Si l’apparence commerciale, potentiellement trompeuse, ne suffit donc pas à faire perdre mécaniquement à l’emprunteur sa qualité de consommateur, celle ici reconnue aux emprunteurs paraît toutefois discutable dans l’hypothèse, en l’espèce non écartée, où les parts sociales acquises auraient bien été celles d’une société exploitant un fonds de commerce de boulangerie dans lequel travaillaient les époux emprunteurs. Or l’enjeu de cette qualification était de taille, le délai de prescription variant de deux ans pour l’article L. 218-2 du code de la consommation à cinq ans pour des situations régies par l’article L. 110-4 du code de commerce. On peut encore et enfin s’étonner que la cassation ait été prononcée pour violation de la loi et non pour manque de base légale alors que la Cour entend essentiellement exiger des juges du fond saisis de tels conflits de qualification de parfaire la motivation de leurs décisions dans un sens conforme à la méthodologie indiquée.
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