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[ 30 septembre 2025 ] Imprimer

Droit de la famille

Acte de notoriété constatant une possession d’état contredisant une filiation légalement établie

Si le dernier alinéa de l'article 317 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019, prohibe l'exercice d'une voie de recours contre la délivrance, par le juge d'instance, d'un acte de notoriété constatant la possession d'état, ou contre le refus de le délivrer, ce texte n'interdit toutefois pas une action contentieuse ultérieure en contestation de la validité de l'acte ou de la possession d'état qu'il constate. Viole, par fausse application, les dispositions de ce texte la cour d'appel qui rejette une demande tendant à l'annulation, subsidiairement à l'inopposabilité, d'un acte de notoriété au motif qu'un tel acte n'est pas sujet à recours, alors qu'elle était saisie, sur le fondement de l'article 320 du Code civil, d'une action contentieuse en contestation de la validité de cet acte.

Civ. 1re, 2 juill. 2025, n° 24-11.220

Aux termes de l’article 320 du Code civil, tant qu'elle n'a pas été contestée en justice, la filiation légalement établie fait obstacle à l'établissement d'une autre filiation qui la contredirait.

Par ailleurs, il résulte du dernier alinéa de l’article 317 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 applicable en la cause, que ni l’acte de notoriété constatant la possession d’état délivré par le juge d’instance, ni le refus de le délivrer, ne sont sujets à recours.

C’est l’articulation de ces deux dispositions que la première chambre civile est venue préciser dans la décision commentée pour résoudre leur contradiction apparente en admettant, à certaines conditions, le principe d’une action en contestation de la filiation établie par une possession d’état constatée dans un acte de notoriété, nonobstant l’interdiction légale d’exercer une voie de recours contre cet acte.

Au cas d’espèce, une personne disposant, au vu de son acte de naissance, d’une filiation paternelle établie à l’égard du mari de sa mère, a obtenu d’un juge d’instance la délivrance d’un acte de notoriété constatant sa possession d’état d’enfant à l’égard d’un autre homme. Mentions de cet acte et de la filiation paternelle établie par la possession d’état ont été portées en marge de naissance de l’intéressée.

Le fils de cet homme a alors saisi un tribunal judiciaire en annulation, subsidiairement, en inopposabilité, de l’acte de notoriété délivré en contradiction d’une première paternité légale.

Par un arrêt confirmatif, la cour d’appel a rejeté ses demandes en considérant que, si en vertu de l’article 320 du Code civil, l’acte de notoriété n’aurait pas dû être délivré, cet acte ne pouvait, compte tenu des dispositions du dernier alinéa de l’article 317 du Code civil, dans sa rédaction précitée, faire l’objet d’un recours.

Relevant d’office le moyen tiré de la violation de ce dernier texte, la première chambre civile énonce que si le dernier alinéa de ce texte prohibe l'exercice d'une voie de recours contre la délivrance d'un acte de notoriété ou le refus de le délivrer, cette disposition n'interdit cependant pas une action contentieuse ultérieure en contestation de la validité de l'acte ou de la possession d'état qu'il constate, comme le prévoit d’ailleurs expressément l’article 335 du Code civil, l’action en contestation de la filiation établie par une possession d’état constatée dans un acte de notoriété pouvant être intentée « par toute personne qui y a intérêt » dans un « délai de dix ans à compter de la délivrance de l’acte ». L’arrêt d’appel est cassé dans la mesure où les juges du fond étaient précisément saisis d’une action en contestation de la validité de l’acte de notoriété, sur le fondement de l’article 320 du Code civil.

Deux arrêts antérieurs, rendus en application des articles 72 et 317 du Code civil dans leur rédaction alors applicable et dont les dispositions étaient similaires à celles appliquées en l’espèce, avaient déjà admis l’annulation d’un acte de notoriété constatant la possession d’état à raison de sa délivrance hors du délai légalement prévu à cet effet (Civ. 1re, 14 oct. 2009, n° 08-14.430 ; Civ. 1re, 23 févr. 2011, n° 10-13.685) mais sans en affirmer le principe, comme dans l’arrêt commenté. 

Cette interprétation restrictive du dernier alinéa de l’article 317 du Code civil, qui doit s’entendre comme prohibant seulement l’exercice d’une voie de recours, au sens du code de procédure civile, contre la délivrance de l’acte de notoriété ou le refus de le délivrer, est à mettre en relation avec la première branche du troisième moyen qui soutenait qu’un recours était possible en l’espèce, le juge d’instance ayant commis un excès de pouvoir en délivrant l’acte de notoriété en violation des dispositions de l’article 320 du Code civil, cette branche ayant été rejetée aux motifs que l'acte de notoriété, destiné à faire la preuve de la possession d'état, est dépourvu de caractère juridictionnel en sorte que la loi soustrait sa délivrance comme le refus de sa délivrance aux voies de recours. Reste ouverte en revanche la voie d’une action ultérieure en contestation de la validité de cet acte. Or le pourvoi posait également la question de l’effet du principe chronologique énoncé à l’article 320 du Code civil lorsque, comme en l’espèce, a été délivré un acte de notoriété constatant une possession d’état contredisant une filiation préalablement établie, étant précisé qu’à la date à laquelle la Cour a statué, cette filiation n’avait pas été anéantie en justice. Après avoir rappelé qu’en vertu de l’article 310-3 du Code civil, la possession d’état constatée dans l’acte de notoriété établit la filiation, la première chambre civile juge qu’il résulte de la combinaison de ce texte et avec ceux issus des articles 317 et 320 du Code civil qu’un acte de notoriété constatant une possession d’état contredisant une première filiation encourt l’annulation puisqu’il revient à établir une double filiation paternelle légalement proscrite. C’est au motif de cette prohibition que la Cour annule en l’espèce l’acte de notoriété litigieux.

La première chambre civile applique donc à l’acte de notoriété dressé en méconnaissance de l’article 320 du Code civil une sanction différente de celle de la privation d’effet retenue pour l’acte de reconnaissance (Civ.1re, 30 nov. 2022, n° 21-14.726 : Il résulte de l'article 320 du Code civil que la reconnaissance d'un enfant qui a déjà une filiation légalement établie n'est pas nulle, mais est seulement privée d'effet, tant que cette filiation n'a pas été anéantie en justice). Cette différence peut s’expliquer par la nature distincte de ces deux actes, volontaire et déclaratif pour la reconnaissance, délivré par le juge sur la base de déclarations d’au moins trois témoins attestant d’une réunion suffisante de faits au sens de l'article 311-1 du Code civil pour l’acte de notoriété.

Il y a lieu d’observer que les conditions de délivrance de l’acte de notoriété n’ayant pas été modifiées par la loi du 23 mars 2019 qui a en confié la délivrance au notaire tout en supprimant le dernier alinéa de l’article 317, la sanction de l’annulation de l’acte dans le cas de figure de l’arrêt commenté pourrait, de la même manière, s’appliquer à l’acte de notoriété constatant la possession d’état délivré par un notaire.

Références :

■ Civ. 1re, 14 oct. 2009, n° 08-14.430 : RTD civ. 2010. 93, obs. J. Hauser

■ Civ. 1re, 23 févr. 2011, n° 10-13.685 : AJ fam. 2011. 267, obs. X. Labbée ; RTD civ. 2011. 334, obs. J. Hauser

■ Civ.1re, 30 nov. 2022, n° 21-14.726 D. 2022. 2161 ; ibid. 2023. 523, obs. M. Douchy-Oudot ; ibid. 662, obs. P. Hilt ; RTD civ. 2023. 85, obs. A.-M. Leroyer

 

Auteur :Merryl Hervieu


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