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Droit des biens
Acte de simple tolérance : de l’impossible prescription acquisitive
Mots-clefs : Biens, Acte de tolérance, Possession (non), Prescription (non)
Les actes de simple tolérance ne peuvent fonder une prescription acquisitive.
Une habitante d’un immeuble avait demandé que lui soit judiciairement reconnu le droit de jouissance exclusif qu’elle estimait détenir sur le jardinet situé sous ses fenêtres et avait, en ce sens, sollicité l’annulation de la délibération prise par l’assemblée générale des copropriétaires lui ayant refusé ce droit.
Pour rejeter sa demande, les juges du fond déduisirent des attestations des premiers habitants de l’immeuble que la jouissance du jardinet n’ayant été que verbalement consentie à l’appelante au titre d’une simple tolérance, cette faveur ne pouvait suffire à lui conférer la propriété d’un droit réel de jouissance, exclusif et perpétuel, sur le jardinet.
La propriétaire forma alors un pourvoi en cassation, que la troisième chambre civile rejeta au motif « qu’ayant retenu, à bon droit, qu’un acte de pure faculté de simple tolérance ne pouvait fonder ni possession ni prescription, la cour d’appel en a exactement déduit que Mme X… ne pouvait se voir reconnaître un droit exclusif et perpétuel de jouissance sur ce jardin ».
La protection possessoire est depuis toujours ouverte aux détenteurs d’une chose ayant sur celle-ci un droit réel à l’effet de protéger non pas leur détention de la chose, mais la possession de leur droit réel.
L'extension de la protection possessoire aux détenteurs de la chose, ceux qui ne peuvent prétendre à aucun droit réel sur celle-ci, avait cependant été admise par la jurisprudence à propos de l'action en réintégration (Cass. req., 22 janv. 1878 ; Civ. 1re, 9 oct. 1974). En revanche, les autres actions possessoires (complainte et dénonciation) n’étaient admises qu'au profit des seuls possesseurs ou quasi-possesseurs. Cette différence de traitement fut abolie par la loi du 9 juillet 1975, ayant étendu la protection possessoire à tous les titulaires d'un droit personnel sur le bien (C. civ., art. 2278, al. 2), dans le but principal d’en faire bénéficier les preneurs à bail (seuls mentionnés par les travaux préparatoires). L'avantage recherché consistait, en effet, à éviter au locataire d’avoir à s'adresser au bailleur pour que ce dernier agisse contre le fauteur de troubles. Pour le dire autrement, le preneur peut, depuis cette loi, intenter lui-même l'action possessoire. Cela étant, la loi du 9 juillet 1975 n'a pas été jusqu'à étendre la protection possessoire à ceux qui exercent une emprise sur le fonds en vertu d'une seule tolérance du propriétaire.
La question de priver de cette protection les bénéficiaires d’une simple tolérance fut néanmoins posée. Pour la leur refuser, fut très tôt affirmée l’idée que les actes de simple tolérance ou de pure faculté (sur cette idée de simple faculté, pour une question d'atteinte au bénéfice d'un ensoleillement qui, ne constituant pas une servitude, n'est pas protégé au possessoire, v. Civ. 3e, 1er avr. 2009) sont impropres à caractériser une possession (C. civ., art. 2262), et donc à fonder une action possessoire : « il appartient aux juges du fond de déclarer, par une appréciation souveraine, que les faits de possession invoqués ne constituent que des actes de pure faculté et de simple tolérance, et non un état de fait pouvant fonder la protection légale engendrant l'action possessoire » (Cass. req., 26 janv. 1910. – V. aussi, à propos d'un droit de passage, Cass. req., 7 juin 1885. – Civ. 3e, 16 juin 2004 – Ouverture de la protection possessoire lorsque la simple tolérance est dépassée : Civ. 3e, 21 mars 2006).
Cette analyse doit néanmoins être nuancée : si les actes de simple tolérance ne peuvent certes fonder une prescription acquisitive, ils peuvent toutefois justifier une protection possessoire dès lors qu'une emprise matérielle sur la chose peut être effectivement constatée. Ainsi, Aubry et Rau soutenaient-ils que « le particulier qui, en vertu d'une concession administrative, ou même à la faveur de la simple tolérance de l'administration, aurait exercé des actes d'usage ou de jouissance sur un objet dépendant du domaine public, serait autorisé à former une action possessoire contre les tiers qui le troubleraient dans cette possession ». Cette position doctrinale, cantonnée par ses auteurs au seul domaine public, pourrait sans doute être généralisée. En effet, que l'emprise soit exercée sur la chose en vertu d'un droit réel ou personnel ou en vertu d'une simple tolérance importe peu dès lors que les tiers sont, dans tous les cas, tenus de la respecter. La protection possessoire devrait ainsi pouvoir être reconnue au bénéficiaire d’une tolérance victime d’un trouble.
Dans cette attente, un rappel de Saint François de Sales : « Ne semez point vos désirs sur le jardin d’autrui, cultivez seulement bien le vôtre ».
Civ. 3e, 06 mai 2014, n°13-16.790
Références
■ Code civil
« Les actes de pure faculté et ceux de simple tolérance ne peuvent fonder ni possession ni prescription. »
« La possession est protégée, sans avoir égard au fond du droit, contre le trouble qui l'affecte ou la menace.
La protection possessoire est pareillement accordée au détenteur contre tout autre que celui de qui il tient ses droits. »
■ Cass. req., 22 janv. 1878, DP 1878, 1, 316.
■ Civ. 1re, 9 oct. 1974, Bull. civ. 1974 I, n° 257.
■ Civ. 3e, 1er avr. 2009, n° 07-16.551, Constr.-Urb. 2009. 33, obs. M.-L. Pagès de Varenne.
■ Cass. req., 26 janv. 1910, DP 1910, 1, 147.
■ Cass. req., 7 juin 1885, DP 1886, 1, p. 323.
■ Civ. 3e, 16 juin 2004, n° 03-12.937.
■ Civ. 3e, 21 mars 2006, n° 05-12.698.
■ C. Aubry et C. Rau, Droit civil français, 7e éd., Librairies techniques, 1961, § 185, p. 197.
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