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[ 7 décembre 2016 ] Imprimer

Droit de la famille

Action en contribution à l'entretien : une recevabilité indépendante de l’action en recherche de paternité

Mots-clefs : Famille, Filiation, Action en recherche de paternité, Déclaration judiciaire, Obligation d’entretien, Action en contribution, Titulaires de l’action, Recevabilité de l’action

L’engagement de l’action en recherche de paternité par l’enfant majeur, n’empêche pas sa mère d’exercer une action en contribution à l’entretien contre le père de l’enfant.

Une enfant dont seule la filiation maternelle avait été établie à sa naissance avait attrait, alors qu’elle allait atteindre sa vingtième année, son père prétendu devant un tribunal en établissement judiciaire de sa paternité. Après avoir, avant dire droit, déclaré l'action recevable et ordonné une expertise biologique, le tribunal avait reconnu le défendeur comme étant bien le père de l’enfant, et mis à sa charge une contribution à son entretien et à son éducation à compter de la date de l’assignation et ce jusqu'à la fin de ses études. N’honorant pas son obligation, la mère de l’enfant l’avait assigné en justice. La cour d’appel déclara sa demande de contribution à l'entretien et à l'éducation de sa fille irrecevable et rejeta sa demande de dommages-intérêts au motif que l'action en recherche de paternité ayant été engagée par l'enfant devenue majeure, la mère de celle-ci était désormais sans qualité pour réclamer une contribution à l'entretien et l'éducation, seul l'enfant devenu majeur pouvant exercer cette action.

La question soumise à la Cour de cassation était celle de savoir si l’engagement par l’enfant d’une action en établissement de sa filiation paternelle avait fait perdre à sa mère son droit d’agir en contribution à son entretien et à son éducation. A cette question la Cour répond, au visa des articles 331 et 371-2 du Code civil, par la négative, affirmant que la recevabilité de l'action en contribution à l'entretien n'est pas subordonnée à celle de l'action en recherche de paternité et que les effets d'une paternité légalement établie remontant à la naissance de l'enfant, la mère de celle-ci était recevable à agir à cette fin. 

L’article 371-2 alinéa premier du Code civil impose à chacun des parents de contribuer à l’entretien et à l’éducation de leurs enfants à proportion de ses ressources, de celles de l’autre parent, ainsi que des besoins de l’enfant. Si comme en l’espèce, les parents ne parviennent pas à s’entendre sur le principe ou le montant de cette contribution, le juge a la faculté d’intervenir (C. civ., art. 373-2-8 : « Le juge peut (…) être saisi par l’un des parents (…) à l’effet de statuer (…) sur la contribution à l’entretien et à l’éducation de l’enfant »). Figurant au visa de la solution rapportée, l’article 331 du Code civil prévoit d’ailleurs que le juge qui s’est prononcé sur une action aux fins d’établissement de la filiation « statue, s’il y a lieu, sur (…) la contribution à l’entretien et à l’éducation de l’enfant ».

Le défendeur est naturellement le débiteur de l'obligation, c’est-à-dire l'un des parents, voire les deux, et le demandeur est en principe l'enfant puisqu’il est le créancier exclusif de l’obligation. Lorsque celui-ci est mineur, donc incapable, l'action est intentée en son nom par son représentant légal, concrètement, par son autre parent, du moins s'il est administrateur légal (C. civ., art. 389 s. ancien et C. civ., art. 382 s. nouv.), étant précisé que l'exercice des actions relatives aux droits patrimoniaux de l'enfant fait partie des actes que chacun des parents peut accomplir seul (V. Civ. 1re, 8 mars 1988, n° 86-16.153). Lorsque l'enfant est majeur, et donc capable d’ester en justice, il peut agir lui-même et réclamer en justice à ses parents la mise en œuvre de leur obligation d'entretien. L'article 371-2 du Code civil dispose en son alinéa 2 que l'obligation d'entretien et d'éducation “ne cesse pas de plein droit lorsque l'enfant est majeur” (V. Civ. 2e, 8 févr. 1989, n° 87-17.771), les juges du fond demeurant cependant libres de déterminer l'exact contour de sa durée, généralement calquée sur celle des études poursuivies, comme en l’espèce.

Si par principe, c’est donc au jeune majeur qu’il appartient d’agir (Versailles, 28 déc. 1994), pour lui éviter la difficulté morale et psychologique d’engager une action à l'encontre de l'un de ses parents, la jurisprudence permet depuis longtemps au parent qui en assume la charge d'agir en justice à sa place. Le législateur a consacré cette possibilité en ces termes : « le parent qui assume à titre principal la charge d'un enfant majeur qui ne peut subvenir lui-même à ses besoins peut demander à l'autre parent de lui verser une contribution à son entretien et à son éducation » (C. civ., art. 373-2-5). Sur un plan plus technique, la jurisprudence estime également que cette obligation s'analyse non seulement en une obligation envers l'enfant qui, parvenu à la majorité, peut en invoquer le bénéfice, mais aussi en une obligation entre les parents eux-mêmes permettant à celui qui en assume la charge exclusive de se retourner contre l'autre pour la part lui incombant, compte tenu de ses ressources » (Civ. 2e, 12 juill. 1971, n° 69-14.601 – Civ. 2e, 12 juin 1975, n° 74-13.342). Le texte permet ainsi au parent qui assume à titre principal la charge d'enfants majeurs ne pouvant subvenir eux-mêmes à leurs besoins de demander à l'autre de lui verser une contribution à leur entretien et à leur éducation. C’est la première raison pour laquelle l’action en l’espèce intentée par la mère de l’adolescente est jugée recevable. Si cette action est en principe exercée par l’enfant puisqu’elle est prévue à son seul profit, celle-ci ne lui est cependant pas attitrée. De manière plus souple, les juges admettent qu’elle soit exercée par l’un des parents, en dépit de la majorité de l’enfant. La seconde raison permettant de justifier la solution tient à l’inapplicabilité de la maxime « aliments ne s’arréragent point » à la contribution à l’entretien et à l’éducation de l’enfant. Parce que c'est le lien de filiation qui constitue le fondement de l'obligation, laquelle est d’ordre public, celui qui ne l’a pas remplie doit être condamné à verser une pension non seulement pour l’avenir mais aussi une somme couvrant une partie des frais que l’autre parent a supporté seul, par le passé, voire depuis la naissance de l’enfant. Les effets d’une déclaration judiciaire de paternité remontant à la naissance de l’enfant (Civ. 1re, 11 juil. 2006, n° 04-14.185), et l’obligation d’entretien pesant conjointement sur les père et mère depuis cette même date, il ne peut donc pas être déduit de l'inaction du parent durant la minorité de l'enfant que les besoins de ce dernier ont été satisfaits pour déclarer son action irrecevable. 

Civ. 1re, 9 novembre 2016, n° 15-27.246

Références

■ Civ. 1re, 8 mars 1988, n° 86-16.153.

■ Civ. 2e, 8 févr. 1989, n°87-17.771 P, D. 1990. 115.

■ Versailles, 28 déc. 1994 : RTD civ. 1995, p. 350, obs. J. Hauser.

■ Civ. 2e, 12 juill. 1971, n° 69-14.601.

■ Civ. 2e, 12 juin 1975, n° 74-13.342 P.

 

■ Civ. 1re, 11 juill. 2006, n° 04-14.185 P, D. 2006. 2122 ; ibid. 2007. 1460, obs. F. Granet-Lambrechts ; AJ fam. 2006. 425, obs. F. C. ; RTD civ. 2006. 736, obs. J. Hauser.

 

Auteur :M. H.

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