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[ 15 octobre 2025 ] Imprimer

Droit bancaire - droit du crédit

Action en paiement d’un chèque non fondée sur le droit cambiaire : précisions sur les règles de preuve applicables au bénéficiaire

Lorsque la demande en paiement d'une somme figurant sur un chèque n'est pas fondée sur le droit cambiaire mais sur le rapport fondamental liant le tireur au bénéficiaire, il appartient à celui qui poursuit le paiement de prouver l'existence de l'obligation dont il réclame l'exécution.

Com. 10 sept. 2025, n° 24-16.453

Si le chèque est devenu un instrument de paiement en voie de disparition (2 % des opérations de paiement passées dans notre pays en 2024), son droit, pourtant ancien, est encore source d’incertitudes. La Cour de cassation doit alors y apporter des clarifications. Ce à quoi elle procède dans la décision rapportée, qui précise qu’en matière probatoire, résulte de la combinaison des articles 1353 du Code civil et L. 131-35 du Code monétaire et financier la règle selon laquelle lorsque la demande en paiement d’une somme figurant sur un chèque n’est pas fondée sur le droit cambiaire mais sur le rapport fondamental liant le tireur au bénéficiaire, « il appartient à celui qui poursuit le paiement de prouver l'existence de l'obligation dont il réclame l'exécution ».

Au cas d’espèce, une société avait remis à une autre deux chèques d'un montant total de 4.500 € en règlement de prestations de maîtrise d'œuvre pour la construction d'un immeuble, puis fait opposition à leur paiement. En dépit de cette opposition, la société bénéficiaire l’assigna en paiement de la somme figurant sur les deux chèques devant le tribunal judiciaire, qui a fait droit à sa demande. Après avoir énoncé qu'aux termes de l’article L. 131-35 du Code monétaire et financier, il n'est admis d'opposition au paiement par chèque qu'en cas de perte, de vol ou d'utilisation frauduleuse du chèque, de procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaires du porteur, le jugement a retenu que la société émettrice ne démontrait pas l'utilisation frauduleuse des chèques ayant motivé son opposition, et ajouté que sa remise de deux chèques à la société bénéficiaire contredisait ses allégations d'absence de créance liquide, certaine et exigible, tout paiement supposant une dette. 

Cette analyse est censurée par la Cour de cassation, qui reproche au tribunal d’avoir déduit l’existence de la créance invoquée par la demanderesse de la seule remise des chèques, sans que la preuve de l’obligation contractuelle dont elle réclamait l’exécution n’ait été rapportée. La solution est rendue, en l’absence d’action cambiaire, sur le fondement du droit commun de la preuve, dont l’article 1353 du Code civil (anc. art. 1315) impose à celui qui réclame l’exécution d’une obligation de la prouver. Or en l’espèce, l’action en paiement reposant sur le seul lien d’obligation entre tireur et bénéficiaire, la démonstration du droit de créance de la société bénéficiaire était rendue nécessaire par la disposition de droit commun précitée, qui règle la charge de preuve entre les parties au litige. En principe, c’est le demandeur à l’instance qui endosse le fardeau de la preuve. Cette règle est fondée sur l’idée que le demandeur, parce qu’il entend remettre en cause une situation « normale », doit assumer la charge de la preuve (A. Marais, Introduction au droit, Vuibert, 5e éd., n° 256, p. 216). En effet, « normalement, personne ne doit rien à personne » (H. Roland et L. Boyer, Droit civil, Introduction au droit, Litec, 5e éd., n° 1525). Il en résulte, en droit des contrats, que le vendeur qui réclame l’exécution du contrat de vente doit en établir l’existence. Il s’en déduit, en l’espèce, que la société bénéficiaire, qui réclamait le paiement de deux chèques frappés d’opposition, endossait la charge de prouver qu’elle avait exécuté le contrat de maîtrise d’œuvre en établissant la réalité des prestations invoquées à l'appui de sa demande en paiement, de façon à établir l’existence de son obligation, seule à même de faire aboutir sa demande en paiement : ainsi, la seule remise des chèques litigieux ne suffisait pas à prouver l’existence de sa créance à l’égard de la société défenderesse ayant émis ces chèques ; encore fallait-il, au préalable, établir l’existence de l’obligation contractuelle ayant justifié leur émission.

 

Auteur :Merryl Hervieu


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