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Action en responsabilité civile : l’obligation de conseil de l’avocat plaidant inclut l’appel en cause de l’avocat rédacteur d’acte responsable d’un défaut d’information
Selon l’article 2225 du Code civil, l’action en responsabilité dirigée contre les personnes ayant représenté ou assisté les parties en justice se prescrit par cinq ans à compter de la fin de leur mission. Il résulte de l’article 412 du Code de procédure civile que la mission d’assistance en justice de l’avocat inclut une obligation de conseil de son client qui porte notamment, lorsque l’avocat est mandaté pour obtenir réparation d’un dommage subi par son client, sur l’appel en la cause de tout débiteur potentiel de la réparation, dont l’avocat rédacteur de l’acte de cession ayant manqué à son devoir d’information.
Civ. 1re, 14 mai 2025, n° 23-21.782
Un acte préparatoire à une cession de parts d’une société commerciale, locataire des fonds, avait été établi par un avocat rédacteur, qui avait procédé un an plus tard à la cession. Or trois mois après la finalisation de la cession, le bailleur des fonds avait signifié à la société cédée un congé avec refus de renouvellement du bail commercial. Estimant que les cédants lui avaient dissimulé l’imminence de ce refus de renouvellement, la société cessionnaire les avait assignés en réparation de son préjudice, assistée d’un avocat plaidant. Sa demande en réparation fut rejetée par un arrêt devenu irrévocable. Considérant ensuite que l’avocat rédacteur de l’acte de cession était également responsable de son préjudice, causé par l’inexécution de son devoir d’information quant au risque de non renouvellement du bail, et que l’avocat plaidant avait lui-même commis une faute en ne lui ayant pas conseillé d’agir en responsabilité contre cet avocat rédacteur, la société cessionnaire les a assignés tous les deux en responsabilité civile.
La Cour d’appel déclara irrecevable, comme prescrite, son action contre l'avocat plaidant sur le fondement de l’article 2224. Les juges du fond ont estimé qu’il n'était pas établi que l'avocat plaidant avait été mandaté pour rechercher judiciairement tous les moyens lui permettant d'obtenir réparation du préjudice invoqué par sa cliente, en sorte que l'article 2225 du Code civil n'était pas applicable à l'action en responsabilité engagée contre ce dernier pour avoir omis d'engager celle de l'avocat rédacteur.
La première chambre civile de la Cour de cassation censure cette analyse au double visa des articles 2225 du Code civil et 412 du Code de procédure civile. Selon le premier de ces textes, l'action en responsabilité dirigée contre les personnes ayant représenté ou assisté les parties en justice se prescrit par cinq ans à compter de la fin de leur mission. Il résulte du second que la mission d'assistance en justice de l'avocat inclut une obligation de conseil de son client qui porte notamment, lorsque l'avocat est mandaté pour obtenir réparation d'un dommage subi par son client, sur l'appel en la cause de tout débiteur potentiel de la réparation. Or la cour d’appel a constaté que l'action intentée contre les cédants par la cessionnaire avec l'assistance de l'avocat plaidant tendait à la réparation du préjudice que cette dernière estimait avoir subi en raison de l'ignorance dans laquelle elle avait été maintenue par les vendeurs (ie les cédants) de la volonté du bailleur de ne pas renouveler le bail commercial à son échéance, de sorte que la mise en cause de l'avocat rédacteur de l'acte de cession relevait de la mission d'assistance en justice confiée à l'avocat plaidant.
L’avocat plaidant a une double mission de représentation et d’assistance en justice. Représenter, c’est le pouvoir et le devoir d'accomplir, au nom du mandant, les actes de la procédure (C. pr. civ., art. 411). Assister, c’est le pouvoir et le devoir de conseiller la partie et de présenter sa défense sans l'obliger (C. pr. civ., art. 412). Le mandat de représentation emporte mission d'assistance (C. pr. civ., art. 413). L’action en responsabilité susceptible d’être à ces deux titres engagée contre l’avocat plaidant obéit à un régime de prescription qui lui est propre. Selon l’article 2225 du Code civil, suivant donc immédiatement l’article 2224 de droit commun, l’action en responsabilité dirigée contre les personnes ayant représenté ou assisté une partie en justice pour toute faute commise dans l’exercice de leurs missions se prescrit par cinq ans à compter de leur terme. En adoptant ces dispositions, le législateur a souhaité éviter aux avocats ayant représenté et/ou assisté une partie en justice d’avoir à conserver, au-delà d’un délai de cinq ans courant à compter de la fin de leur mission, les pièces nécessaires à leur défense en cas d’éventuelle mise en cause de leur responsabilité. Cependant, de façon à préserver également les intérêts des clients, la Cour de cassation a récemment fait évoluer sa jurisprudence pour ne faire courir désormais le délai pour agir en responsabilité contre l’avocat plaidant qu’à compter de l’expiration du délai de recours contre la décision ayant terminé l’instance pour laquelle il avait reçu mandat de représenter ou d’assister son client, sauf si les relations entre le client et son avocat ont cessé avant cette date (depuis Civ. 1re,14 juin 2023, n° 22-17.520).
Encore faut-il, pour que ce texte spécial de prescription trouve application, caractériser la faute commise par l’avocat plaidant. Sa mission de représentation et d’assistance en justice, propre à la profession d’avocat et à certaines personnes spécialement habilitées, se distingue par sa nature de l’activité de conseil ou de la rédaction d’actes, également susceptibles d’être exercées par les avocats. Sa spécificité explique que l’article 412 du Code de procédure civile justifie par la mission d’assistance incombant à l’avocat plaidant son pouvoir, mais également son devoir, de « conseiller la partie et de présenter sa défense sans l’obliger ». Ce devoir fonde l’obligation de l’avocat plaidant, ici consacrée, d’appeler à l’instance tout débiteur potentiel de la dette de réparation lorsqu’une action en responsabilité civile a été engagée. Et nul besoin qu’il ait été expressément mandaté à cette fin par son client : il convient de considérer que l’avocat plaidant a implicitement reçu mandat de rechercher et de mettre en œuvre tous les moyens judiciaires disponibles pour obtenir la réparation du dommage subi par son client, même s’il ne s’agit que d’une obligation de moyens. En l’espèce, l’avocat plaidant du cessionnaire victime d’un défaut d’information et, à ce titre, demandeur en indemnisation, se devait donc d’attraire en la cause tout débiteur potentiel de la dette indemnitaire, dont le rédacteur de l’acte de cession qui, bien qu’ayant assisté son client dans les négociations antérieures à la conclusion de l’acte de cession, ne l’avait pas informé du non-renouvellement du bail à échéance alors qu’il avait connaissance de cette information. Au titre de sa mission d’assistance, l’avocat plaidant aurait donc dû conseiller à son client d’agir contre l’avocat rédacteur, coresponsable du préjudice qu’il invoquait, d’autant plus après l’échec de l’action en réparation initialement engagée contre les cédants. Ce manquement à son obligation de conseil rend l’article 2225 du Code civil applicable à l’action en responsabilité engagée contre l’avocat plaidant, à raison de la faute ainsi commise dans l’exécution de sa mission d’assistance.
Référence :
■ Civ. 1re,14 juin 2023, n° 22-17.520 : D. 2023. 1180 ; RTD civ. 2024. 210, obs. N. Cayrol
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