Actualité > À la une

À la une

[ 27 février 2023 ] Imprimer

Droit des obligations

Action en responsabilité de la banque pour défaut de mise en garde : uniformisation des règles relatives au point de départ de la prescription

Dans un arrêt rendu le 25 janvier 2023, la chambre commerciale de la Cour de cassation modifie sa position concernant le point de départ de la prescription pour agir en responsabilité pour défaut de mise en garde du banquier dispensateur de crédit. Elle juge désormais que le délai court, non plus à la date de conclusion du contrat de prêt, mais à la date d'exigibilité des sommes au paiement desquelles l'emprunteur non averti n'est pas en mesure de faire face. Ce faisant, elle aligne sa jurisprudence sur celle rendue par la première chambre civile.

Com. 25 janv.2023, n° 20-12.811 P

L’arrêt rapporté consacre l’harmonisation de la jurisprudence de la chambre commerciale avec celle rendue par la première chambre civile concernant le point de départ du délai de prescription de l'action en responsabilité de l’emprunteur non averti contre le banquier prêteur de deniers en cas de manquement de ce dernier à son obligation de mise en garde. La chambre commerciale renonce en effet à faire courir le délai quinquennal de prescription à la date de conclusion du contrat de prêt pour le fixer, conformément à l’article 2224 du Code civil (« Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. ») à la date d’exigibilité des sommes à rembourser.

En l’espèce, par acte notarié du 13 novembre 2008, une banque avait consenti à plusieurs emprunteurs solidaires un prêt personnel dit « dirigeants » pour un montant de 200 000 €, remboursable au 31 octobre 2010 afin d’être apporté en compte courant d’associé à une société, elle-même détenue par plusieurs sociétés. Un avenant au contrat, daté du 19 décembre 2008, avait prévu que le prêt serait garanti par une hypothèque conventionnelle sur l’un des immeubles appartenant à l’un des emprunteurs. La société ayant bénéficié de l’apport en compte courant et pris en charge le prêt litigieux avait été placée en redressement puis en liquidation judiciaire si bien que le 29 juin 2011, la banque avait notifié la déchéance du terme du prêt et poursuivi en exécution forcée le paiement des sommes dues à ce titre sur l’immeuble hypothéqué. Les 12 et 14 février 2014, le garant hypothécaire avait, en sa qualité d’emprunteur, assigné la banque prêteuse pour manquement à son devoir de mise en garde.

En appel, sa demande fut jugée irrecevable comme prescrite au motif que le délai de la prescription courait depuis la conclusion du contrat de prêt si bien que l’action de l’emprunteur, engagée plus de cinq ans après le 13 novembre 2008, date de l’acte notarié de prêt, était prescrite. Le coemprunteur forma un pourvoi en cassation dont le deuxième moyen, au cœur du débat soulevé par l’arrêt rapporté, critiquait la fixation du point de départ du délai pour agir contre la banque au jour de la conclusion du contrat au lieu du jour de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il s'est révélé à la victime. En ce sens, le demandeur arguait qu’en l’espèce, le délai de la prescription n’avait pas pu commencer à courir avant la survenance du dommage lié au manquement au devoir de mise en garde, en sorte que son point de départ devait être fixé au plus tôt à la date où le capital du prêt était devenu exigible, soit le 31 octobre 2010. Revenait donc à la chambre commerciale le choix de fixer le point de départ de cette action soit à la date de conclusion du prêt, soit à celle de l’exigibilité des sommes réclamées et insusceptibles d’être réglées par l’emprunteur. Ce choix se révélait d’autant plus crucial que la chambre commerciale s’oppose depuis longtemps à la première chambre civile sur cette question, même si elle s’en était récemment rapprochée par plusieurs arrêts dont la portée, en raison des circonstances propres aux espèces considérées, demeurait toutefois incertaine.

L’arrêt sous commentaire lève le doute qui subsistait, la chambre commerciale confirmant l’abandon de la date de conclusion du contrat pour fixer le point de départ de la prescription à la date, postérieure à celle de la souscription, de « l’exigibilité des sommes au paiement desquelles l’emprunteur n’est pas en mesure de faire face ».

À titre liminaire, il convient de rappeler qu’avant même l’entrée en vigueur de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile, et la rédaction de l’article 2224 du Code civil qui en fut issue, la Cour de cassation était unanime à reconnaître que « la prescription d’une action en responsabilité court à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime si celle-ci établit qu’elle n’en avait pas eu précédemment connaissance » (Com. 28 mars 2006, n° 04-15.506 ; 17 févr. 2009, n° 08-10.191 ; Civ. 1re, 9 juill. 2009, n° 08-10.820). Bien que l’énoncé de ce principe fût uniforme au sein des chambres, en revanche, son interprétation en matière de responsabilité bancaire était à l’origine de nettes divergences entre la première chambre civile et la chambre commerciale. Alors que la première en déduisait que le délai devait commencer à courir à compter de l’apparition des premières difficultés de remboursement révélatrices du dommage (Civ. 1re, 9 juill. 2009, préc.), la seconde considérait au contraire que le dommage de l’emprunteur, consistant en une perte de chance de ne pas contracter, se manifestait dès l’octroi du crédit, de sorte que le point de départ de la prescription de l’action en responsabilité contre le banquier se situait à la date de conclusion de l’emprunt (Com. 26 janv. 2010, n° 08-18.354). Ce faisant, la chambre commerciale superposait la date de réalisation et la date de manifestation du dommage alors qu’en pratique, l’emprunteur ignore généralement, à la date de conclusion du contrat, l’existence de son dommage.

C’est la raison pour laquelle la chambre commerciale avait infléchi sa position par deux arrêts remarqués, toutefois rendus au cas particulier d’un prêt adossé à un produit financier (Com. 22 janv. 2020, n° 17-20.819 ; 24 mars 2021, n° 19-20.697). Elle avait admis que le délai de prescription de l'action en indemnisation d'un tel dommage commençait à courir, non à la date de conclusion du contrat de prêt, mais à la date d'exigibilité des sommes au paiement desquelles l'emprunteur n'est pas en mesure de faire face. Malgré cette évolution, la chambre commerciale n’avait pas invalidé clairement la position qu’elle avait adoptée dans l’arrêt précité du 26 janvier 2010. Là résidait tout l’enjeu du pourvoi formé, par lequel son auteur entendait exploiter l’article 2224 désormais en vigueur, étant précisé que la jurisprudence attaquée de la chambre commerciale s’appuyait sur des faits antérieurs à la réforme. Or l’article 2224 nouveau, qui s’applique également pour mettre en œuvre la prescription des actions prévue à l’article L. 110-4, I, du Code de commerce (« Les obligations nées à l'occasion de leur commerce entre commerçants ou entre commerçants et non-commerçants se prescrivent par cinq ans si elles ne sont pas soumises à des prescriptions spéciales plus courtes. » ), dispose expressément que «  (l)es actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. » De surcroît, par plusieurs arrêts rendus le 5 janvier dernier (n° 20-18.893 ; 19-24.436 ; 20-16.031 ; 20-16.350), la première chambre civile avait, au visa de cet article, réitéré son refus de fixer le point de départ à la date de conclusion du contrat puisque celle-ci avait affirmé que l’action en responsabilité pour défaut de mise en garde se prescrit par cinq ans à compter du jour du premier incident de paiement, lequel permet à l'emprunteur d'appréhender l'existence et les conséquences éventuelles d'un tel manquement.

Ainsi, le deuxième moyen du pourvoi offrait-il à la chambre commerciale l’opportunité de mettre sa jurisprudence en conformité avec les dispositions de l’article 2224 du Code civil et la jurisprudence rendue sur son fondement par la première chambre civile, en cassant l’arrêt attaqué ayant retenu la date de conclusion du prêt comme étant le point de départ du délai de prescription de l’action en responsabilité au titre d’un manquement à l’obligation de mise en garde due par le banquier.

Cette occasion est saisie : au visa des articles 2224 du Code civil et L. 110-4 du Code de commerce, dont la combinaison conduit à prescrire les obligations entre commerçants et non-commerçants par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer, elle juge que le manquement d'une banque à son obligation de mettre en garde un emprunteur non averti sur le risque d'endettement excessif né de l'octroi d'un prêt prive cet emprunteur d'une chance d'éviter le risque qui s'est réalisé, la réalisation de ce risque supposant que l'emprunteur ne soit pas en mesure de faire face au paiement des sommes exigibles au titre du prêt. Il en résulte que le délai de prescription de l'action en indemnisation d'un tel dommage commence à courir, non à la date de conclusion du contrat de prêt, mais à la date d'exigibilité des sommes au paiement desquelles l'emprunteur n'est pas en mesure de faire face.

La chambre commerciale se rapproche-t-elle de la première chambre civile : sans faire sienne sa solution, fixant le point de départ au jour du premier incident de paiement, elle s’en inspire cependant pour délaisser purement et simplement la date de conclusion du contrat comme point de départ de la prescription et faire courir le délai au jour où les sommes deviennent exigibles, i. e. à la date de réalisation du risque correspondant, concrètement, à celle où l’emprunteur prend connaissance de son impossibilité de payer. Une parfaite harmonisation des solutions serait néanmoins bienvenue, et la réunion de la Cour en sa formation, plénière ou mixte, en conséquence attendue.

Références :

■ Com. 28 mars 2006, n° 04-15.506

■ Com. 17 févr. 2009, n° 08-10.191

■ Civ. 1re, 9 juill. 2009, n° 08-10.820 P : D. 2009. 1960, obs. X. Delpech ; RTD civ. 2009. 728, obs. P. Jourdain ; RTD com. 2009. 794, obs. D. Legeais ; ibid. 2010. 413, obs. B. Bouloc.

■ Com. 26 janv. 2010, n° 08-18.354 P : D. 2010. 934, obs. V. Avena-Robardet, note J. Lasserre Capdeville ; RTD com. 2010. 770, obs. D. Legeais.

■ Com. 22 janv. 2020, n° 17-20.819 AJ contrat 2020. 245, obs. J. Moreau.

■ Com. 24 mars 2021, n° 19-20.697

■ Civ. 1er, 5 janv. 2023, nos 20-18.893 B, 19-24.436 B, 20-16.031 B et 20-16.350 D. 2022. 68 ; AJDI 2022. 217 ; Rev. prat. rec. 2022. 25, chron. O. Salati ; RTD com. 2022. 134, obs. D. Legeais.

 

Auteur :Merryl Hervieu


  • Rédaction

    Directeur de la publication-Président : Ketty de Falco

    Directrice des éditions : 
    Caroline Sordet
    N° CPPAP : 0122 W 91226

    Rédacteur en chef :
    Maëlle Harscouët de Keravel

    Rédacteur en chef adjoint :
    Elisabeth Autier

    Chefs de rubriques :

    Le Billet : 
    Elisabeth Autier

    Droit privé : 
    Sabrina Lavric, Maëlle Harscouët de Keravel, Merryl Hervieu, Caroline Lacroix, Chantal Mathieu

    Droit public :
    Christelle de Gaudemont

    Focus sur ... : 
    Marina Brillié-Champaux

    Le Saviez-vous  :
    Sylvia Fernandes

    Illustrations : utilisation de la banque d'images Getty images.

    Nous écrire :
    actu-etudiant@dalloz.fr