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Droit des obligations
Action paulienne : l’acte à prix normal, mais dissimulable, peut être attaqué
Le créancier dispose de l'action paulienne lorsque la cession, consentie au prix normal, a pour effet de faire échapper un bien à ses poursuites en le remplaçant par des fonds plus aisés à dissimuler. Le préjudice du créancier s’inférant du remplacement d’un fonds de commerce par une somme d’argent, il est de ce fait caractérisé en sorte que le succès de son action paulienne n'est pas subordonné à la preuve de l'appauvrissement du débiteur.
Com. 29 janv. 2025, n° 23-20.836
L’action paulienne est une voie de droit visant à protéger le créancier contre les actes d’appauvrissement passés par le débiteur en fraude de ses droits (C. civ., art. 1342-1). Plus précisément, elle permet au créancier de se faire déclarer inopposable un acte d’appauvrissement du débiteur, ie un acte qui crée ou aggrave la situation d’insolvabilité de ce dernier. En outre, lorsque l’acte a été conclu à titre onéreux, l’action paulienne est conditionnée à la preuve de la mauvaise foi du tiers.
En toutes hypothèses, l’action paulienne suppose que le débiteur ait commis un acte d’appauvrissement, soit qu’il aura donné son bien, soit qu’il l’aura bradé. En effet, dans l’un ou l’autre cas, le débiteur se sera appauvri, dans le but d’organiser son insolvabilité et de se protéger de son créancier. C’est pourquoi en principe, la recevabilité de l’action paulienne engagée contre le débiteur dépend d’une diminution de son patrimoine. Sans appauvrissement du débiteur, l’acte ne peut être attaqué. Pourtant, la Cour reconnaît parfois au créancier le droit d’attaquer, par la voie de l’action paulienne, un acte qui ne se matérialise par aucun appauvrissement. En témoigne la décision rapportée.
Au cas d’espèce, un débiteur avait cédé son fonds de commerce pour un prix « normal », soit à sa valeur nominale. Il ne s’était donc pas appauvri. Cependant, la substitution dans son patrimoine du prix de la vente, donc d’une somme d’argent, en lieu et place du fonds de commerce, affectait les droits du créancier. En effet, il est plus facile de dissimuler une somme d’argent qu’un fonds de commerce. Bien qu’il n’y ait pas eu d’appauvrissement objectif du débiteur, en raison de la contrepartie obtenue, l’objectif frauduleux recherché était de rendre plus difficile l’exercice par le créancier de son droit de poursuite, en remplaçant un bien facilement saisissable par un bien facilement dissimulable. Même consentie au prix normal, la cession litigieuse ayant opéré cette substitution avait donc pour but et pour effet de faire échapper le bien aux poursuites du créancier. Cependant, la cour d’appel débouta le créancier de son action paulienne, faute pour lui d’avoir établi l’insolvabilité, du moins apparente, du débiteur au moment de la cession de son fonds de commerce. Aux yeux des juges du fond, dans ce cas où la fraude paulienne ne résulte pas d’un acte appauvrissement mais d’un acte à prix normal, quoique dissimulable, le créancier reste tenu de prouver l’insolvabilité apparente du débiteur. N’entendant pas restreindre ainsi le champ d’application de l’article 1342-1 du Code civil, la Cour de cassation rappelle que la fraude paulienne peut résulter, non pas d’un acte d’appauvrissement, mais d’un acte permettant au débiteur de remplacer un bien aisé à saisir par un bien aisé à dissimuler : l’absence d’appauvrissement, en raison de la normalité du prix convenu, ne doit donc pas faire obstacle à la reconnaissance d’une fraude au droit du créancier dès lors que la substitution frauduleuse opérée suffit à établir le préjudice de ce dernier (v. déjà, Civ. 1re, 18 févr. 1971, n° 69-12.540 ; Com. 1er mars 1994, n° 92-15.425). L’action paulienne reste ainsi ouverte au créancier même en l’absence de preuve de l’insolvabilité du débiteur : la Cour précise en effet que dans le cas de l’espèce d’une fraude résultant de la substitution d’un actif aisé à saisir par un actif aisé à dissimuler, il n’est pas requis du créancier qu’il prouve l’insolvabilité apparente du débiteur. Ce qui justifie la cassation de la décision des juges du fond, et signifie que le préjudice du créancier peut exister en dehors même de l’insolvabilité du débiteur, du seul fait que l’effectivité de ses droits se trouve entravée par l’action frauduleuse de son débiteur. En l’espèce, le créancier devait ainsi conserver son droit d’exercer l’action paulienne dès lors que l’intention poursuivie par le débiteur était de faire échapper son fonds de commerce à ses poursuites en le remplaçant par des fonds, plus aisés à dissimuler. Dans ces conditions, le succès de l'action paulienne ne peut être subordonné à la preuve de l'insolvabilité du débiteur dès lors que l’acte n’opérant aucun appauvrissement, il est sans impact sur l’insolvabilité.
Protectrice des droits du créancier, la solution confère toutefois à ce dernier un pouvoir sans doute démesuré d’immixtion dans les droits du débiteur : dès lors que celui-ci n’est ni insolvable, ni dessaisi de ses droits, aucune raison valable ne semble pouvoir s’opposer à ce qu’il puisse céder un bien non grevé, pour un prix normal. En outre, renoncer à la preuve de l’insolvabilité fait naître une difficulté immédiate liée à la nécessité, quant à elle maintenue, de caractériser dans tous les cas d’un acte conclu à titre onéreux l’intention frauduleuse du tiers : or en l’absence d’appauvrissement, comment établir que le tiers savait que par cet acte, le débiteur entendait non pas se rendre insolvable, mais remplacer un bien facilement saisissable par un actif facilement dissimulable afin d’échapper à son créancier ? Cette preuve promet d’être bien difficile à rapporter.
Références :
■ Civ. 1re, 18 févr. 1971, n° 69-12.540
■ Com. 1er mars 1994, n° 92-15.425 : D. 1994. 215, obs. E. Fortis
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