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Droit des obligations
Action paulienne : l’apport d’un immeuble à une SCI en contrepartie de parts sociales constitue un acte d’appauvrissement du débiteur
Selon l'article 1167 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, les créanciers peuvent, en leur nom personnel, attaquer les actes faits par leur débiteur en fraude à leurs droits. Ne donne pas de base légale à sa décision une cour d'appel qui rejette la demande d'un créancier en inopposabilité d'un acte par lequel le débiteur a fait apport de son immeuble à une société civile immobilière et a reçu, en contrepartie, des parts sociales d'un montant équivalent à la valeur de l'immeuble, sans rechercher, comme il lui était demandé, si la difficulté de négocier les parts sociales et le risque d'inscription d'hypothèques sur l'immeuble du chef de la société ne constituaient pas des facteurs de diminution de la valeur du gage du créancier et d'appauvrissement du débiteur.
Com. 29 mai 2024, n° 22-20.308
L’action paulienne est une voie de droit visant à protéger le créancier contre les actes passés par le débiteur en fraude de ses droits. Elle permet au créancier d’attaquer les actes frauduleux du débiteur et de réintégrer les sommes ou les biens volontairement dissipés dans le but d’empêcher le créancier de faire saisir ces biens. Il ne s’agit plus, comme dans l’action oblique, de protéger le créancier contre la carence du débiteur, mais contre la fraude susceptible d’être commise par ce dernier. Au titre de son droit de gage général, tout créancier chirographaire peut donc, à l’effet de le restaurer, exercer cette action dont l’objet est d’obtenir l’inopposabilité des actes passés en fraude de ses droits. Rappelons qu’un tiers peut tenir un acte pour inexistant, alors même que celui-ci est efficace et valable entre les parties, notamment en cas de fraude. L’inopposabilité ne doit pas être confondue avec la révocation, qui se définit comme la suppression de l’acte litigieux, sur la demande d’une partie, par effet de la loi ou par décision judiciaire.
Pour être recevable, l’action paulienne suppose que le débiteur ait commis un acte d’appauvrissement. Celui-ci repose à la fois sur un élément subjectif, visant l’intention frauduleuse du débiteur, et objectif, consistant dans la diminution de son patrimoine. À l’origine dépendant de la preuve de l’intention de nuire, le premier élément a été progressivement assoupli pour être finalement limité à la simple connaissance par le débiteur du préjudice causé au créancier du fait de l’acte attaqué, tel que l’atteinte à la solvabilité du débiteur ou l’établissement de la privation d’un droit sur un bien spécial (C. civ., art. 1341-2 in fine). Quant à l’élément objectif lié à l’appauvrissement du débiteur, il n’est pas toujours aisé à établir, notamment en droit des sociétés. Ainsi de l’hypothèse de l’espèce, en pratique fréquente, de l’apport frauduleux d’un immeuble par un associé à une SCI. À proprement parler, il n’y a pas d’appauvrissement puisque l’associé acquière en contrepartie des droits sociaux. Si le propriétaire de l’immeuble se défait de certaines de ses prérogatives, il le fait donc selon le principe de commutativité, soit en contrepartie d’une valeur, ici représentée par les parts sociales. C’était précisément l’analyse retenue par la cour d’appel dans cette affaire, qui réfuta en conséquence l’atteinte alors prétendument portée aux droits du créancier. Selon les juges du fond, l'apport d'un immeuble à une SCI en contrepartie de parts sociales ne peut constituer un acte d'appauvrissement du débiteur. N’entendant pas pour sa part restreindre le champ d’application de l’article 1167 (réd. antérieure Ord. n° 2016-131, 10 févr. 2016, devenu C. civ., art. 1342-1), la Cour de cassation considère à l’inverse que l’existence d’une contrepartie ne doit pas faire obstacle à la reconnaissance d’une fraude au droit du créancier, dès lors que l’apport d’un immeuble à une société civile immobilière constitue un facteur d’appauvrissement du patrimoine des associés et de diminution de la valeur du gage du créancier. Certes, il n’y a pas d’amenuisement objectif du patrimoine du débiteur, en raison de la contrepartie obtenue. Toutefois, l’objectif dans ce cas poursuivi par l’associé est de rendre plus difficile l’exercice par le créancier de son droit, en remplaçant des biens facilement saisissables par des biens plus difficiles à appréhender ou à liquider. Les parts sociales trouvant beaucoup plus difficilement acquéreur qu’un immeuble, le préjudice est alors constitué. Il est en outre aggravé par le risque encouru par le demandeur à l’action paulienne, simple créancier chirographaire, d’une inscription hypothécaire sur le bien apporté en SCI, soit le risque que le créancier hypothécaire, auquel ne s’étend pas l’inopposabilité paulienne, procède à la vente de l’immeuble en quelques mains qu’il se trouve (droit de suite) et soit payé par préférence sur le prix (droit de préférence).
Entraver l’action du créancier suffit donc à fonder l’action paulienne (dans le même sens, pour le créancier privilégié, titulaire d’un droit spécial sur le bien : « le préjudice peut exister, en dehors même de l’insolvabilité du débiteur, dès lors que […] le débiteur a réduit la valeur de ces biens de façon à diminuer l’efficacité de l’exercice des droits dont le créancier s’était assuré l’avantage » (nous soulignons, v. Civ. 1re, 15 oct. 1980, n° 79-12.489 ; Civ. 3e, 31 mars 2016, n° 14-25.604). Il revient alors aux juges du fond de rechercher si, malgré l’existence d’une contrepartie, les termes et conditions de l’acte d’apport argué de fraude ne constituent pas néanmoins de la part du débiteur un acte d’appauvrissement de nature à réduire la valeur du gage du créancier chirographaire sur l’immeuble (en ce sens, déjà, Civ. 3e, 20 déc. 2000, n° 98-19.343 : « En statuant ainsi, alors que les apports n'étaient plus la propriété des époux, et sans rechercher si la difficulté de négocier les parts sociales et le risque d'hypothèque sur les immeubles du chef des sociétés ne constituaient pas des facteurs de diminution de la valeur du gage du créancier et d'appauvrissement des débiteurs, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision »).
Références :
■ Civ. 1re, 15 oct. 1980, n° 79-12.489
■ Civ. 3e, 31 mars 2016, n° 14-25.604 : D. 2016. 782 ; ibid. 2017. 1388, obs. A. Leborgne ; AJDI 2016. 856, obs. F. de La Vaissière ; RTD civ. 2016. 347, obs. H. Barbier
■ Civ. 3e, 20 déc. 2000, n° 98-19.343 : AJDI 2001. 470, obs. S. Porcheron
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