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[ 25 janvier 2013 ] Imprimer

Procédure pénale

Action publique : précision des contours et effets de la notion d’acte interruptif de la prescription

Mots-clefs : Action publique, Interruption de la prescription, Acte d’instruction et de poursuite

La chambre criminelle de la Cour de cassation juge dans un premier arrêt du 12 décembre 2012 que la réquisition d’un officier de police judiciaire aux fins d’identification constitue un acte d’instruction interruptif de la prescription. Dans un second arrêt du même jour, elle rappelle les effets de l’acte interruptif : celui-ci fait repartir un nouveau délai identique au précédent qui entraînera acquisition de la prescription si aucun acte interruptif postérieur n’intervient avant son terme.

Les articles 78 et 9 du Code de procédure pénale définissent le régime de la prescription de l’action publique. Cette dernière se prescrit : 

– par dix ans pour les crimes ;

– trois ans pour les délits ; 

– et un an pour les contraventions.

Toutefois, le législateur a prévu que ce délai de prescription soit interrompu par les actes réguliers d’instruction et de poursuites. Ces actes sont définis par la Cour de cassation comme ceux qui « ont pour objet de constater une infraction, d’en rassembler les preuves et d’en rechercher les auteurs » (Crim. 9 mai 1936). Cette notion a donné lieu à une jurisprudence abondante de la part de la Cour de cassation qui ne cesse, comme c’est le cas dans ces deux arrêts du 12 décembre 2012, d’en préciser les contours et les effets.

Dans la première espèce, un individu est mis en examen le 14 mars 2012 pour un viol commis le 24 juin 2001. Il invoque l’absence d’acte interruptif de la prescription entre le 21 août 2001, date du classement sans suite de la plainte de la victime, et le 31 août 2011 soit dix ans après. Toutefois, l’arrêt de la chambre criminelle rapporte que le 29 août 2005, soit seulement quatre ans après le classement sans suite, un officier de police judiciaire demande par réquisition l’inscription au Fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG) du profil ADN établi par l’analyse de la trace prélevée sur un vêtement porté par la victime au moment de son agression.

La question est donc de savoir si cette réquisition a eu pour effet d’interrompre la prescription. La Cour, sans surprise répond par l’affirmative. Elle avait déjà jugé par le passé que l’enquête à laquelle procède la police judiciaire est interruptive de la prescription (Crim. 23 juin 1998).

Dans la seconde espèce, un individu est poursuivi des chefs de diverses contraventions à la législation sur les transports commises le 16 septembre 2008. L’action publique s’enclenche lourdement : le procureur de la République de Metz, le 19 février 2009, transmet dans un premier temps la procédure pour compétence au procureur de Troyes lequel, à son tour, communique la procédure par soit-transmis au directeur régional de l’équipement de Châlons-en-Champagne le 25 septembre 2009 pour avis. Le 7 mai 2010, il cite l’auteur des faits à comparaître devant le tribunal correctionnel le 8 novembre 2010, soit un an et deux mois après le dernier soit-transmis.

Sur la question de savoir si le soit-transmis du procureur constitue un acte interruptif de la prescription, la Cour confirme ce qu’elle avait jugé précédemment en répondant implicitement par l’affirmative (Crim. 20 févr. 2002). En effet, elle prend en compte la date du soit-transmis pour avis à l’autorité administrative comme point de départ du nouveau délai de prescription et non, comme l’avait fait la cour d’appel, la date antérieure de la communication de la procédure par le procureur de Metz à son homologue troyen.

Ces deux arrêts semblent s’inscrire dans la continuité d’une jurisprudence traditionnellement hostile aux règles de prescription de l’action publique qui se traduit par une conception large de la notion d’actes interruptifs de la prescription. En effet, la Cour a précédemment et encore très récemment eu l’occasion d’élargir cette catégorie d’acte. Elle juge ainsi que les actes préparatoires aux poursuites pénales constituent des « actes tendant à la recherche et à la poursuite des infractions » interrompant de ce chef la prescription. Il en va ainsi des demandes de renseignements aux autorités administratives mais encore de la lettre adressée au président d’une chambre départementale des huissiers de justice pour lui demander de provoquer les explications d’un confrère visé par une plainte (Crim. 1er févr. 2012). De même, la requête par laquelle le ministère public porte devant le tribunal un incident contentieux relatif à l’exécution d’une sentence pénale est un acte interruptif de la prescription (Crim. 31 mai 2012). En revanche, une décision rendue par défaut et non signifiée n’interrompt pas le délai de prescription car elle n’est pas définitive (Crim. 21 févr. 2012).

Malgré la confirmation de la conception large de la notion d’actes interruptifs de la prescription, il se dégage de ces deux arrêts une certaine volonté d’équilibre de la part de la Cour de cassation.

Dans le second arrêt, la Cour tire les conséquences rigoureuses du régime de l’interruption de la prescription, lorsqu’elle estime qu’ « aucun acte interruptif de la prescription n’ayant été accompli entre le sois-transmis du 25 septembre 2009 et la citation du 8 novembre 2010, la prescription des contraventions était acquise ». La Cour entend rappeler, par cet arrêt de censure, l’effet de l’interruption de la prescription. Le nouveau délai partant du dernier acte interruptif n’est pas éternel, et demeure identique au premier, ce dont la cour d’appel semblait en l’espèce avoir fait fi. Le nouveau délai de prescription peut certes être interrompu à l’infini par des actes de poursuites ou d’instruction réguliers, créant ainsi une imprescriptibilité potentielle de fait, mais il n’est pas en lui-même infini. Il doit être interrompu pour pouvoir repartir.

La Cour retient en général une conception finaliste de l’acte interruptif. Il importe que l’acte manifeste la volonté de l’auteur de réprimer l’infraction ou d’en rechercher les auteurs. Or, si le procureur, avant d’engager des poursuites, demande un avis à une autorité administrative, c’est que sa décision de poursuivre risque d’être conditionnée par le contenu de cet avis. Cependant, un tel avis n’est pas un acte interruptif de la prescription. Pour éviter la prescription de l’action publique et conformément à la logique finaliste de la Cour de cassation, on aurait pu imaginer que celle-ci, à défaut d’avoir recours à l’interruption de la prescription au jour de l’avis, se contente de suspendre ce délai entre la demande d’avis et le jour où celui-ci a été effectivement rendu. Ceci aurait en l’espèce permis d’éviter l’acquisition de la prescription. Toutefois, soucieuse de ne pas dénaturer les textes, la Cour enferme la suspension de la prescription dans des conditions très précises, exigeant un obstacle de droit ou de fait insurmontable. Si elle a jugé que la question préjudicielle au jugement de l’action publique ou le sursis à statuer dans l’attente d’une décision administrative permettait de suspendre la prescription (Crim. 29 mars 1897, S. 1901. 1. 452), l’attente d’un avis d’une autorité administrative avant l’engagement des poursuites ne suffit visiblement pas à produire une telle suspension.

La Cour, se montre donc traditionnellement hostile aux règles de prescription mais malgré tout soucieuse de préserver l’essence d’un certain droit à l’oubli.

Crim. 12 déc. 2012, n°12-85.274.

Crim. 12 déc. 2012, n°12-80.707.

Références

Code de procédure pénale

Article 7

« En matière de crime et sous réserve des dispositions de l'article 213-5 du code pénal, l'action publique se prescrit par dix années révolues à compter du jour où le crime a été commis si, dans cet intervalle, il n'a été fait aucun acte d'instruction ou de poursuite.

S'il en a été effectué dans cet intervalle, elle ne se prescrit qu'après dix années révolues à compter du dernier acte. Il en est ainsi même à l'égard des personnes qui ne seraient pas impliquées dans cet acte d'instruction ou de poursuite.

Le délai de prescription de l'action publique des crimes mentionnés à l'article 706-47 du présent code et le crime prévu par l'article 222-10 du code pénal, lorsqu'ils sont commis sur des mineurs, est de vingt ans et ne commence à courir qu'à partir de la majorité de ces derniers. »

Article 8

En matière de délit, la prescription de l'action publique est de trois années révolues ; elle s'accomplit selon les distinctions spécifiées à l'article précédent. 

Le délai de prescription de l'action publique des délits mentionnés à l'article 706-47 et commis contre des mineurs est de dix ans ; celui des délits prévus par les articles 222-12, 222-30 et 227-26 du code pénal est de vingt ans ; ces délais ne commencent à courir qu'à partir de la majorité de la victime. 

Le délai de prescription de l'action publique des délits mentionnés aux articles 223-15-2, 311-3, 311-4, 313-1, 313-2, 314-1, 314-2, 314-3, 314-6 et 321-1 du code pénal, commis à l'encontre d'une personne vulnérable du fait de son âge, d'une maladie, d'une infirmité, d'une déficience physique ou psychique ou de son état de grossesse, court à compter du jour où l'infraction apparaît à la victime dans des conditions permettant l'exercice de l'action publique. »

Article 9

« En matière de contravention, la prescription de l'action publique est d'une année révolue ;  elle s'accomplit selon les distinctions spécifiées à l'article 7».

 Crim. 9 mai 1936, DH 1936.333.

 Crim. 23 juin 1998, n°98-818.49.

 Crim. 20 févr. 2002, n°01-85.042, RSC 2003. 585, obs. Giudicelli.

 Crim. 1er févr. 2012, n°11-83.072, RSC 2012. 391, obs. Salva.

 Crim. 31 mai 2012, n°11-84.687.

 Crim. 21 févr. 2012, n°11-87.163.

 Crim. 29 mars 1897, S. 1901. 1. 452.

 

Auteur :C. d. B.


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