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Droit des obligations
Actions en responsabilité pour manquement au devoir de mise en garde du banquier dispensateur de crédit : application différenciée du point de départ de la prescription
Selon la qualité des parties et la nature du contrat conclu, le point de départ de l’action en responsabilité contractuelle du banquier pour manquement à son obligation de mise en garde peut être la date de conclusion du contrat ou celle de la connaissance du préjudice lié au manquement de la banque.
Civ. 1re, 5 janv. 2022, n° 19-24.436 et n° 20-18.893
En matière de devoirs d’information, de mise en garde et de conseil, il est de jurisprudence classique, au moins pour la chambre commerciale et concernant le contrat de prêt, de retenir qu’en cas de manquement, le dommage réside en une perte de chance de ne pas contracter, en sorte qu’il se réalise au jour de la conclusion du contrat, lequel marque le point de départ de la prescription de l’action (en ce sens, v. not. Com. 26 janv. 2010, n° 08-18.354 ; Com. 27 mars 2012, n° 11-13.719 ; Com. 17 mai 2017, n° 15-21.260). Les deux arrêts rapportés viennent tempérer cette solution, la première chambre confirmant l’ajustement réalisé par la jurisprudence civile et commerciale rendue en matière de point de départ de la prescription en cas de manquement au devoir de mise en garde dans le cadre des crédits dispensés par les professionnels. Elle y ajoute de surcroît une nouvelle approche, dépendante du caractère profane ou averti de l’emprunteur.
■ Emprunteur averti
Dans la première affaire (n° 19-24.436), une banque avait, en 2014, prononcé la déchéance du terme d’un prêt immobilier conclu en janvier 2008 et assigné l'emprunteur en paiement des échéances impayées. Le 2 septembre 2016, celui-ci avait notamment sollicité des dommages-intérêts au titre de manquements de la banque à son obligation de mise en garde lors de l'octroi du prêt ainsi qu’à son obligation d'information et de conseil au titre de l'assurance souscrite.
Ses demandes sont rejetées.
Concernant le prêt. – La Cour de cassation approuve la cour d’appel d’avoir jugé ses demandes irrecevables comme prescrites, au motif que le point de départ de la prescription quinquennale devait être fixé, compte tenu de la qualité de l’emprunteur, à la date de la souscription du contrat et que la demande formée le 2 septembre 2016 était dès lors atteinte par la prescription : en effet, la banque n’était pas ici tenue ici d'un devoir de mise en garde, l’emprunteur étant « averti » puisqu’à la date de conclusion du prêt, il était depuis plusieurs années associé majoritaire d'une société qu’il avait créée et gérant d'une autre, spécialisées en matière immobilière ; l'exercice de ses fonctions lui ayant « permis d'acquérir une expérience professionnelle et une connaissance certaine du monde des affaires », c’est à bon droit que les juges du fond ont écarté le point de départ de la prescription invoqué par l’emprunteur, à savoir la date de la manifestation et de sa connaissance effective du dommage, pour faire courir ce délai à compter de la conclusion du prêt. La solution se justifie d’une part par la règle générale selon laquelle la perte de chance de ne pas contracter résultant d’un manquement au devoir d’information se réaliserait toujours au jour de la conclusion du contrat, lequel devrait invariablement constituer le point de départ de la prescription, et d’autre part, par la circonstance particulière tenant au caractère averti de l’emprunteur, qui ne pouvait pour cette raison légitimement ignorer, à la date de la conclusion du contrat, l’existence de son dommage : dès la date de l’octroi du prêt, le demandeur était donc censé connaître les risques liés au crédit.
Concernant le contrat d’assurance de groupe. – Il en va autrement à propos de l’assurance adjointe au prêt. Lorsqu'un emprunteur a adhéré à un contrat d'assurance de groupe du prêteur pour garantir l'exécution de ses engagements, le délai de prescription de son action en responsabilité au titre d'un manquement du prêteur au devoir d'information et de conseil sur les risques couverts court à compter du jour où il a connaissance du défaut de garantie du risque qui s'est réalisé. Par ce motif de pur droit, substitué à ceux critiqués et fondés sur le maintien du point départ au jour de la conclusion du contrat, la Cour confirme le choix déjà opéré par la deuxième chambre civile (Civ. 2e, 18 mai 2017, n° 16-17.754) et par la chambre commerciale (Com. 22 janv. 2020, n° 17-20.819 ; Com. 6 janv. 2021, n° 18-24.954) de reporter, dans le cas d’un contrat d’assurance adossé à un crédit, le point de départ de la prescription à la date du refus de la prise en charge. La solution se justifie dans ce cas par le transfert de l’objet de la perte de chance, qui n’est plus de ne pas contracter mais de ne pas pouvoir bénéficier de la prise en charge, de sorte que le point de départ de la prescription ne peut qu’être reporté au moment du défaut de prise en charge, lors du refus de garantie opposé par l’assureur (v. Com. 6 janv 2021, préc.). Cependant, malgré ce report, la demande introduite au-delà du délai de prescription quinquennale était, en l’espèce, de nouveau prescrite.
■ Emprunteur non-averti
Dans la seconde affaire (n° 20-18.893), une banque avait consenti à un couple un prêt professionnel, conclu le 14 janvier 2013, destiné au rachat d'une licence de taxi. À la suite d’échéances impayées et l’un des époux ayant été placé en redressement judiciaire, la banque avait assigné l’autre époux en paiement. En appel, celui-ci avait sollicité, le 8 février 2018, des dommages-intérêts au titre d'un manquement de la banque à son devoir de mise en garde.
La cour d’appel rejeta la demande de l’emprunteur, retenant que le dommage résultant d'un manquement à l'obligation de mise en garde se manifeste dès l'octroi du crédit, pour en déduire que le délai de prescription de cinq ans avait commencé à courir dès la date de souscription du contrat et que l’action était par conséquent prescrite.
La Cour de cassation casse cette décision : « l'action en responsabilité de l'emprunteur non averti à l'encontre du prêteur au titre d'un manquement à son devoir de mise en garde se prescrit par cinq ans à compter du jour du premier incident de paiement, permettant à l'emprunteur d'appréhender l'existence et les conséquences éventuelles d'un tel manquement ». La cour d'appel a violé l’article 2224 du code civil, selon lequel la prescription d’une action en responsabilité court à compter de la réalisation du dommage, ou de la date à laquelle il est révélé à la victime si celle-ci établit qu’elle n’en a pas eu précédemment connaissance ; or si dans l’hypothèse d’un emprunteur averti, il est légitime de considérer que le dommage naît au jour de la conclusion du contrat, dans le cas d’un emprunteur profane, seul créancier d’un devoir de mise en garde supposant qu’il n’est pas apte à prendre seul conscience des risques consécutifs au crédit au jour où l’opération est conclue, risques dont il ne peut se convaincre qu’au moment où ils se réalisent, il est tout aussi légitime d’admettre que la manifestation du dommage ne découle pas dans ce cas de la conclusion du contrat, mais de la réalisation du risque lié au crédit. Là réside d’ailleurs l’utilité du devoir de mise en garde : attirer spécifiquement l’attention de l’emprunteur sur ce qu’induit et recouvre la teneur du contrat au regard de sa situation personnelle. Par ailleurs, la réalisation du risque, qui ne peut apparaître que tardivement, est en ce cas différée. Dès lors, il est à notre connaissance pour la première fois décidé que le point de départ du délai de prescription doit être reporté à la date de cette réalisation.
Conclusion - Selon la première chambre civile, qui s’accorde ainsi à la deuxième et à la chambre commerciale, la règle de principe applicable à l’obligation de mise en garde du banquier, qui prévoit de fixer le point de départ de la prescription de l’action en responsabilité à la date de la conclusion du contrat, est relative. Elle dépend de la qualité du créancier de cette obligation, et du contrat souscrit. Les dérogations ici apportées ou rappelées à cette règle de principe participent d’un mouvement jurisprudentiel tendant à fixer le point de départ de la prescription de l’action pour manquement aux devoirs d’information, de mise en garde et de conseil au jour de la réalisation du risque (comp. avec le contrat de cautionnement, Com. 4 mai 2017, n° 15-22.830). En ce sens, il doit être relevé que dans tous ces cas dérogatoires, la réalisation du risque qui détermine la fixation du point de départ de la prescription se détache de la conclusion du contrat pour se déplacer au stade de l’exécution du contrat.
Références :
■ Com. 26 janv. 2010, n° 08-18.354, D. 2010. 934, obs. V. Avena-Robardet, note J. Lasserre Capdeville ; RTD com. 2010. 770, obs. D. Legeais
■ Com. 27 mars 2012, n° 11-13.719
■ Com. 17 mai 2017, n° 15-21.260, RTD civ. 2017. 865, obs. H. Barbier
■ Com. 22 janv. 2020, n° 17-20.819, AJ contrat 2020. 245, obs. J. Moreau
■ Com. 6 janv. 2021, n° 18-24.954, D. 2021. 76 ; RTD civ. 2021. 411, obs. H. Barbier ; ibid. 421, obs. P. Jourdain
■ Com. 4 mai 2017, n° 15-22.830, RTD civ. 2017. 865, obs. H. Barbier
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