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Libertés fondamentales - droits de l'homme
Actualité des droits fondamentaux en droit du travail : jurisprudence de la Cour de cassation 2017
Mots-clefs : Droits fondamentaux, Religion, Journée de la femme, Discrimination, Harcèlement
Question religieuse, journée de la femme, discrimination et harcèlement sont quelques thèmes d’arrêts retenus par Dalloz Actu Étudiant afin de faire un point sur l’actualité de la chambre sociale de la Cour de cassation en matière de droits fondamentaux.
■ Travail et liberté religieuse
« Ne jurez pas ! ». Le 1er février 2017, la chambre sociale de la cour de cassation rend un arrêt concernant la prestation de serment d’agents de contrôle de la RATP (n° 16-10.459). Si ces derniers sont bien des salariés de droit privé, et que leurs litiges les opposant à leur employeur relèvent bien des conseils de prud’hommes, on comprend aisément que la question soulevée dépasse le seul droit du travail. L’assermentation des agents de la RATP est prévue par une loi de 1845 relative à la police des chemins de fer. Dans son article 23, cette loi prévoit qu’ « au moyen du serment prêté devant le tribunal de grande instance de leur domicile, les agents (…) pourront verbaliser sur toute la ligne du chemin de fer auquel ils seront attachés ». Devant le président du TGI, un agent, récemment promue, refuse de « jurer », cet acte allant à l’encontre de ses convictions religieuses. Elle propose une autre formule qu’elle juge compatible avec sa foi chrétienne, mais le président la rejette et prend acte de son refus de prêter serment. Son employeur, la RATP, décide alors de la licencier pour faute grave. Saisie du pourvoi de la salariée, la Cour de cassation aurait pu, pour le rejeter, estimer que l’acte de jurer n’a plus aujourd’hui aucune connotation religieuse et qu’il est donc parfaitement neutre vis-à-vis de quelque religion. Mais elle retient « qu'il résulte de l'article 23 de la loi du 15 juillet 1845 sur la police des chemins de fer que le serment des agents de surveillance exerçant au sein des entreprises visées par cette disposition peut être reçu selon les formes en usage dans leur religion ». Et de conclure que le licenciement prononcé est discriminatoire, portant atteinte à la liberté religieuse. L’arrêt d’appel est ainsi cassé, sous le double visa de l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme consacrant la liberté religieuse et de l’article L. 1132-1 du Code du travail prohibant les discriminations. Notons que la loi de 1845 ne prévoit en réalité aucune forme spécifique dans laquelle le serment devrait être donné. L’interprétation dynamique de ce texte permet ainsi à la Cour de cassation de forger un compromis entre l’exigence légale de prêter serment et la liberté religieuse. Reste que, ce faisant, elle n’hésite pas à donner un sens religieux au serment que les salariés pourront exprimer « dans leur religion ».
■ Congé réservé aux femmes à l’occasion de la journée de la femme.
Une résolution de l’ONU de 1977 invite tous les États à proclamer un jour de l’année Journée des Nations Unies pour les droits de la femme et la paix internationale. Deux ans auparavant, la date du 8 mars avait déjà été choisie par l’ONU. Certaines conventions collectives de travail se sont fait l’écho en France de cet appel, ce qui illustre l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 12 juillet dernier (n° 15-26.262). L’affaire concerne une entreprise de transport dont un accord collectif conclu en son sein prévoit au bénéfice du seul personnel féminin une demi-journée de congé à l’occasion du 8 mars. Un salarié masculin se plaint alors d’inégalité de traitement et réclame à ce titre un dédommagement. La Cour de cassation, par cet arrêt du 12 juillet 2017, rejette son pourvoi contre l’arrêt d’appel l’ayant débouté. Se plaçant sur le terrain de l’égalité des chances, elle estime par une formule somme toute laconique qu’ « un accord collectif peut prévoir au seul bénéfice des salariées de sexe féminin une demi-journée de repos à l'occasion de la journée internationale pour les droits des femmes, dès lors que cette mesure vise à établir l'égalité des chances entre les hommes et les femmes en remédiant aux inégalités de fait qui affectent les chances des femmes ».
Dans une note explicative publiée sur son site internet, la Cour de cassation précise qu’elle fonde sa décision sur une évolution du droit de l’union européenne qui restreignait auparavant les discriminations positives au cas des dérogations justifiées par la condition biologique de la femme (maternité et grossesse). Dès lors que les avantages liés à la maternité et la grossesse relèvent aujourd’hui de l’application de l’égalité entre les femmes et les hommes, plutôt que des discriminations positives, il y a lieu d’étendre ces dernières à d’autres considérations, comme ici la question de l’égalité des chances au travail.
La note explicative précise ensuite que l’arrêt s’inscrit dans « les évolutions récentes de la chambre sociale cherchant à restituer aux partenaires sociaux dans les entreprises une large marge d’appréciation quant à la définition de la norme collective qui régira les relations de travail ». Cette justification conduit ainsi la Cour à privilégier l’autonomie collective reconnue aux partenaires sociaux sur l’application du principe de proportionnalité. Car si l’objectif de corriger les inégalités de fait qui affectent les femmes au travail est parfaitement louable, on peut sérieusement se demander si la disposition de la convention collective en cause est apte à atteindre ce résultat.
En effet, ce congé spécial ne conduit-il pas à renvoyer les femmes chez elles, l’on ose dire à leur foyer, à l’occasion de la journée … de la femme ?
■ Précisions sur la preuve et l’établissement des discriminations et du harcèlement
Plusieurs affaires permettent à la Cour de cassation de préciser sa jurisprudence tant en matière de discrimination que de harcèlement.
Discrimination. Les discriminations font l’objet d’un régime de preuve particulier prévu par le Code du travail qui transpose des directives européennes. Sans renverser la charge de la preuve, ce régime s’appuie sur une manière de présomption. L’article du Code du travail prévoit ainsi que la victime « présente des éléments de fait laissant supposer l'existence L. 1134-1 d'une discrimination directe ou indirecte » et que « au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination ». Deux arrêts illustrent la volonté de la Cour de cassation d’encadrer l’établissement de la présomption.
Une première affaire concerne un salarié chargé de clientèle affecté à la gestion d’aires de gens du voyage pour le compte d’une société commerciale qui propose ses services à diverses collectivités territoriales. À la suite d’un arrêt maladie, le salarié est déclaré apte à la reprise du travail mais sous réserve de ne plus être en contact avec les populations des aires du voyage. Un reclassement sur un poste distant de plus de 200 km lui est alors proposé au moyen d’une clause de mobilité figurant dans son contrat de travail. Le salarié se dit alors victime de discrimination quant à son état de santé, ce qu’approuve la Cour d’appel. Mais pour la Cour de cassation, le reclassement « ne constitue pas un élément laissant présumer l’existence d’une discrimination en raison de l’état de santé » (Soc. 26 avr. 2017, n° 14-29.089). La nécessité de la mutation paraissait acquise compte tenu de la réserve émise par le médecin du travail.
Dans une seconde affaire, des salariés adhérent à un dispositif de pré-retraite mis en place par accord collectif. Ils se voient alors dispensés d’activité jusqu’à leur départ en retraite, tout en conservant une partie de leur rémunération antérieure. S’estimant victime d’une discrimination en raison de leur âge, ils saisissent la juridiction prud’homale. Par un arrêt du 1er juin 2017 (n° 15-23.580), la Cour de cassation confirme l’arrêt d’appel les ayant déboutés. Elle affirme que « le principe de non-discrimination en raison de l'âge n'est pas applicable à la rupture d'un contrat de travail résultant de l'adhésion volontaire d'un salarié à un dispositif de pré-retraite prévu par un accord collectif ». On comprend que le caractère volontaire de la démarche des salariés fait obstacle à l’établissement d’une discrimination dont ils auraient été victimes.
Harcèlement. Depuis la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, le régime de la preuve du harcèlement, qu’il soit sexuel ou moral, se trouve aligné sur celui des discriminations. La victime doit « présenter des éléments de faits laissant supposer l’existence d’un harcèlement » (C. trav. art. L. 1154-1). La victime n’a donc pas à établir le harcèlement, mais doit-elle présenter plusieurs faits ou peut-elle se contenter d’invoquer l’agissement isolé d’un tiers ?
Un arrêt du 17 mai 2017 est l’occasion pour la Cour de cassation de répondre à la question (n° 15-19.300). En l’espèce, une salariée d’une association liée au mouvement scout reproche toute une série de comportements adoptés par son président courant 2002 et 2003. La cour d’appel écarte alors la plupart d’entre eux et ne retient comme avérés que les propos tenus par le président qui a « conseillé » à la salariée qui se plaignait de coups de soleil de « dormir avec lui dans sa chambre », « ce qui lui permettrait de lui faire du bien ». Mais les juges du fond considèrent ces propos comme ambigus et estiment qu’en tout état de cause ils ne sont pas suffisants, le harcèlement supposant la répétition d’agissements à l’encontre d’une victime. La Cour de cassation censure toutefois ce raisonnement. Elle affirme clairement qu’ « un fait unique peut suffire à caractériser le harcèlement sexuel » et donc que la salariée est fondée à n’établir qu’un seul fait laissant présumer ce harcèlement. Depuis la loi n° 2012-954 du 6 août 2012, cette solution peut se déduire de l’article L. 1153-1 du Code du travail qui prévoit désormais explicitement que sont assimilés au harcèlement sexuel les faits « consistant en toute forme de pression grave, même non répétée, exercée dans le but réel ou apparent d'obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l'auteur des faits ou au profit d'un tiers ». En revanche, elle ne peut pas concerner le harcèlement moral, l’article L. 1152-1 du Code du travail exigeant pour sa part l’existence d’agissements répétés.
Références
■ Soc. 1er févr. 2017, n° 16-10.459 P : D. 2017. 550, note J. Mouly ; ibid. 840, obs. P. Lokiec et J. Porta ; Dr. soc. 2017. 215, étude J.-G. Huglo et R. Weissmann ; RDT 2017. 332, obs. I. Desbarats.
■ Soc. 12 juill. 2017, n° 15-26.262 P : D. 2017. 1475, obs. N. explicative de la Cour de cassation ; ibid. 1600, entretien D. Roman.
■ Soc. 26 avr. 2017, n° 14-29.089 P : D. 2017. 1050.
■ Soc. 17 mai 2017, n° 15-19.300 P : D. 2017. 1129 ; RDT 2017. 548, obs. P. Adam.
■ Convention européenne des droits de l’homme
Article 9
« Liberté de pensée, de conscience et de religion. 1. Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l'enseignement, les pratiques et l'accomplissement des rites.
2. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l'ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »
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