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Administration légale et fonctionnement du compte bancaire d’un mineur : la banque doit demander l’accord des parents
En administration légale pure et simple, les parents accomplissent ensemble les actes de disposition sur les biens du mineur. La modification d’un compte ou livret ouvert au nom d’un mineur constituant un acte de disposition, la banque manque à son devoir de vigilance et engage sa responsabilité si elle autorise un parent administrateur légal à opérer seul des virements importants sans l’accord de l’autre parent.
Com. 12 juin 2025, n° 24-13.604
Entremêlant les règles applicables aux opérations bancaires avec le droit des mineurs et plus particulièrement, le régime de l’administration légale exercée conjointement par les deux parents, la solution rapportée clarifie la responsabilité encourue par la banque en cas de virement effectué au débit du compte d’un client mineur par un seul de ses parents, au mépris du principe de cogestion.
Trois enfants mineurs sont titulaires de différents comptes d’épargne ouverts dans les livres d’un établissement bancaire. Leur père, qui exerce l’administration légale conjointement avec leur mère, verse au crédit de ces comptes diverses sommes appartenant aux enfants, puis procède seul à un virement de 5 000 € au débit de chacun des trois comptes concernés au profit du compte professionnel de son entreprise. D’autres virements ainsi que des retraits sont ensuite opérés sur ces mêmes comptes jusqu’à ce que le solde de chaque compte bancaire des enfants soit quasiment épuisé. Après avoir pris connaissance de telles opérations, la mère alerte le juge des tutelles, qui désigne un administrateur ad hoc. Parallèlement, elle assigne la banque – tant en son nom personnel qu’en qualité de représentante de ses enfants mineurs – pour manquement à son obligation de vigilance concernant les opérations réalisées, sans son autorisation, par le père de ses enfants.
En cause d’appel, les juges du fond condamnent l’établissement bancaire en raison de sa connaissance de la destination des fonds vers un compte de l’entreprise du père des mineurs à l’origine des virements, effectués dans des circonstances faisant suspecter un détournement de fonds. Or si la banque n’est pas garante de l’emploi des fonds par l’administrateur légal et ne peut en conséquence être tenue pour responsable des retraits des fonds même importants ayant été effectués, elle reste néanmoins tenue à un devoir de vigilance face à des opérations susceptibles de compromettre manifestement l’intérêt du mineur.
Devant la Cour de cassation, la banque rappelle le principe de non-ingérence du banquier dans les affaires de son client pour en déduire, concernant la gestion du compte d’un mineur, qu’il n’a pas à garantir l’emploi des capitaux décidé par son administrateur légal. Elle conteste également, en l’absence d’anomalies apparentes, le recours par les juges du fond au devoir de vigilance bancaire. Selon le pourvoi, l’administrateur légal détient le pouvoir de procéder, seul et sans motif, à la réception des capitaux échus au mineur, comme de les retirer du compte de dépôt sur lequel il les a versés. Par conséquent, la banque n’aurait pas à s’alerter de ce type d’opérations, qui n’ont rien de suspect.
Pour consacrer l’existence d’un devoir de vigilance bancaire concernant la gestion des comptes du mineur, et rejeter pour ce motif le pourvoi formé par la banque, la Cour de cassation répond à la question controversée de la qualification des virements et retraits litigieux, soit des opérations bancaires opérées par un parent seul au débit du compte de son enfant mineur. Alors que ces opérations sont généralement qualifiées d’actes d’administration (J. Lasserre Capdeville, M. Storck, M. Mignot, J.-P. Kovar et N. Éréséo, Droit bancaire, 4e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2024, n°738), même lorsqu’elles sont effectuées sur le compte d’un client mineur par son administrateur légal (Civ. 1re, 11 oct. 2017, n° 15-24.946 ; v. P. Bonfils et A. Gouttenoire, Droit des mineurs, 3e éd., Dalloz, 2021, coll. « Précis », n° 920), la chambre commerciale juge autrement que les opérations effectuées constituent des actes de disposition soumis, dans l’administration légale pure et simple, à l’accord des deux parents en sorte que la banque, en ne sollicitant pas cette double autorisation, a manqué à son devoir de vigilance et ainsi, commis une faute engageant sa responsabilité.
Prenant appui sur l’annexe n° 1 du décret n° 2008-1484 du 22 décembre 2008 selon laquelle « est un acte de disposition la modification de tout compte ou livret ouverts au nom de la personne protégée », la Cour apporte ainsi une clarification essentielle : les opérations de retrait et de virement bancaires effectuées sur le compte du mineur par son administrateur légal relèvent de la catégorie des actes de disposition, partant soumis à l’accord des deux parents ou, à défaut d’accord entre eux, à l’autorisation du juge des tutelles (anc. art. 389-5 ; 387-1). Un parent exerçant conjointement l’administration légale ne peut donc y procéder seul. Le choix de cette qualification fait en effet disparaître la présomption irréfragable du pouvoir de chaque parent de passer seul un acte d’administration au nom et pour le compte de son enfant mineur (anc. art. 389-4 ; 382-1), en sorte que dans l’hypothèse de l’espèce, la banque est tenue d’exercer son devoir de vigilance en sollicitant l’accord de l’autre parent et en s’abstenant, en cas d’opposition de sa part, d’exécuter les ordres de retrait et de virement demandés.
Ainsi la banque a-t-elle en l’espèce commis une faute engageant sa responsabilité. Sa faute réside dans le manquement à l’obligation de vigilance qui lui incombe face à aux anomalies apparentes affectant les opérations de banque (v. réc. Com. 12 juin 2025, n° 24-10.168, sur la fraude au président). Rappelons que la caractérisation d’une anomalie apparente repose sur la méthode du faisceau d’indices. Il convient de réunir plusieurs éléments concordant vers une irrégularité manifeste ne pouvant échapper au banquier normalement diligent. En l’espèce, le défaut de pouvoir du père de procéder seul à des virements au débit du compte du mineur est sans aucun doute l’élément déterminant, auquel s’ajoutent d’autres circonstances qui auraient dû alerter la banque (montant et chronologie des opérations, destination des fonds, épuisement des soldes). La mise en œuvre de l’obligation de vigilance n’en est pas moins ici originale. Cette obligation n’est normalement invoquée que lorsqu’il existe une anomalie apparente et se trouve pour cette raison principalement mobilisée en cas d’escroquerie bancaire. Au cas présent, elle s’étend au dysfonctionnement manifeste de l’administration légale, que la banque est tenue de détecter et de signaler à celui qui souhaite réaliser l’opération sans l’accord de l’autre administrateur.
L’obligation de vigilance bancaire en ressort naturellement renforcée : le banquier sera désormais tenu de vérifier au préalable les pouvoirs de celui qui se présente comme le représentant du mineur et de s’assurer qu’il a obtenu l’autorisation du second parent en cas d’administration légale conjointe, sans quoi sa responsabilité sera engagée si l’opération est néanmoins effectuée. De cette façon, cet arrêt contribue à la construction prétorienne du régime de l’obligation de vigilance qui s’est développée autour des anomalies apparentes, par le biais inattendu droit de l’administration légale des biens du mineur.
Références :
■ Civ. 1re, 11 oct. 2017, n° 15-24.946 : D. 2017. 2405, note C. Farge ; AJ fam. 2017. 645, obs. F. Viney ; AJ contrat 2018. 41, obs. Y. Dagorne-Labbe ; RTD civ. 2018. 76, obs. D. Mazeaud
■ Com. 12 juin 2025, n° 24-10.168 : D. 2025. 1116
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