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Droit des biens
Admission de l’action en revendication contre un tiers prétendant tirer ses droits d’un prétendu dépositaire
La preuve d’une possession viciée est suffisante pour faire droit à l’action en revendication dirigée par les héritiers du propriétaire des biens contre un tiers prétendant tirer ses droits d’un prétendu dépositaire.
Civ. 1re, 15 mai 2024, n° 22-23.822
Alors que la propriété établit un rapport de droit entre une personne et une chose, la possession consiste en un rapport de fait entre la personne et la chose. Or l’on sait qu’ « (e)n fait de meubles, la possession vaut titre » (C. civ., art. 2276, al. 1), ce qui signifie que celui qui possède, en matière mobilière, est réputé instantanément propriétaire du bien. La possession remplit alors deux fonctions : une fonction acquisitive, la possession constituant un mode d’acquisition du droit de propriété, assortie d’une fonction probatoire, la possession constituant un mode de preuve faisant présumer jusqu’à preuve contraire le droit de propriété. Il en résulte une possibilité de combattre l’effet acquisitif de la possession. Par sa fonction probatoire, au cœur de la décision rapportée, la possession permet de présumer le titre de propriété du possesseur. Le possesseur, dispensé de prouver son droit de propriété, sera le défendeur. Il appartiendra donc à celui qui conteste son droit de combattre cette présomption, soit en rapportant la preuve que la possession est viciée, soit en rapportant la preuve du caractère précaire de la détention, en produisant un contrat de prêt ou de dépôt. Mais encore faut-il déterminer la qualité exacte de celui contre qui l’action en revendication est dirigée : le conflit oppose-t-il les revendiquants au prétendu dépositaire du bien, ou à un tiers possesseur prétendant tenir ses droits de ce prétendu dépositaire ? Dans la décision rapportée, la question se trouvait posée à propos d’œuvres d’art dont la propriété était revendiquée, induisant des conséquences directes sur l’objet de la preuve à rapporter. Au cas d’espèce, un peintre avait, de son vivant, confié divers travaux sur ses œuvres à une entreprise familiale dont la fille avait repris la direction. Or cette dernière avait confié plusieurs de ces œuvres à une voisine, laquelle avait ensuite conclu avec un marchand d’art divers mandats de vente des œuvres d’art placées en sa possession. À la mort de leur propriétaire, ses héritiers avaient alors assigné la voisine en revendication de ces œuvres qu’elle détenait, selon eux, en seule qualité de dépositaire, soit à titre précaire. La cour d’appel de Paris les débouta de leur demande au motif que les revendiquants ne rapportaient pas la preuve que les œuvres litigieuses avaient fait l’objet d’un contrat de dépôt. Par le pourvoi formé par les héritiers devant la Cour de cassation, se trouvait posée la question de savoir si en l’absence de preuve du dépôt des œuvres d’art, l’action en revendication intentée par les héritiers du propriétaire contre un tiers-possesseur, prétendant tirer ses droits du prétendu dépositaire, pouvait néanmoins prospérer. Au visa des articles 2261 et 2276 du Code civil, la première chambre civile y répond par l’affirmative. Elle invalide en conséquence l’analyse des juges du fond, que contredit le fait que le litige n’oppose pas les revendiquants au prétendu dépositaire des œuvres, mais à un tiers prétendant tenir ses droits de ce dernier. Autrement dit, dans la mesure où la preuve d’une détention précaire, soit la preuve du dépôt des œuvres, était ici sans objet puisque l’action n’était pas dirigée contre leur dépositaire, les éléments retenus au fond tendant à démontrer les vices de possession du tiers - possesseur suffisaient à faire droit à l’action en revendication des héritiers du véritable propriétaire. La solution mérite d’être approuvée. En effet, si la preuve du dépôt eût été nécessaire pour établir la qualité de détenteur précaire de l’entreprise elle-même, elle n’était nullement requise à l’endroit du tiers – possesseur, dépourvu de cette qualité. Concernant la voisine, la preuve que sa possession n’était pas « utile » en raison des vices dont elle était entachée suffisait alors à accueillir l’action en revendication des héritiers. Or les juges du fond avaient notamment constaté que les œuvres avaient été stockées dans une pièce peu fréquentée de sa maison, de sorte qu’en l’absence de publicité, sa possession était viciée (C. civ., art. 2261). Ainsi, la Cour de cassation restitue-t-elle les droits des héritiers en faisant dépendre le succès de leur action en revendication de la seule inutilité de la possession du défendeur, tiers possesseur tenant ses droits du dépositaire des œuvres.
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