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Adoption définitive de la proposition de loi sur les influenceurs : vers un encadrement juridique contraignant pour lutter contre les arnaques et les dérives sur les réseaux sociaux ?
L’Assemblée nationale et le Sénat ont adopté à l’unanimité le texte définissant l’activité d’influence, dans sa rédaction issue de la commission mixte paritaire, respectivement le 31 mai et le 1er juin. Si cette proposition de loi transpartisane ne comble pas de vide juridique à proprement parler, elle pose, de façon inédite, une définition claire de « l’influence commerciale » et entend lutter contre les abus des influenceurs à l’égard des consommateurs. Les objectifs de ce texte porté par les députés Arthur Delaporte (NUPES) et Stéphane Vojetta (Renaissance) sont clairs : instaurer un « texte qui responsabilise, pédagogique, mais qui sanctionne aussi ». Fruit de plusieurs mois de concertation entre les professionnels du secteur (agences d’influenceurs et plateformes) et les autorités publiques et privées (Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes ; Autorité des marchés financiers ; Autorité de régulation professionnelle de la publicité), le texte émerge à la suite de diverses polémiques et scandales ces derniers mois autour d’escroqueries et de pratiques trompeuses voire abusives (arnaque au copy-trading avec l’affaire Blata, dropshipping, arnaque aux NFT et cryptomonnaies, arnaque au compte personnel de formation, etc.).
■ Compléter le cadre juridique d’un secteur en plein essor
Alors que le secteur de l’influence, selon Bruno Le Maire, ministre de l'Économie, représente un « formidable vecteur de créativité et de richesse économique », les règles n'étaient pourtant pas claires. Une intervention du législateur était donc nécessaire afin de faire de l'influence « un vrai métier encadré », tout en accompagnant et responsabilisant les influenceurs, dans le respect des impératifs de protection des consommateurs. D’autant plus que le secteur présente des enjeux socio-économiques non négligeables. En effet, on estime à quelque 150 000 le nombre d’influenceurs actifs en France sur les principales plateformes (YouTube, Instagram, TikTok, Meta) pour un marché de l’influence français qui pèse aujourd’hui environ 1 milliard d’euros. Or, cette croissance fulgurante du secteur depuis l’avènement des réseaux sociaux s’est parfois accompagnée de pratiques abusives ou d’escroqueries, principalement contre de jeunes consommateurs, majoritairement âgés de 16 à 24 ans. Une enquête conduite entre 2021 et 2023 par la DGCCRF sur les pratiques commerciales d’une soixantaine d’influenceurs (dont certains disposant d’un nombre très significatif d’abonnés) a conclu que 60 % d’entre eux ne respectaient pas la réglementation en vigueur sur la publicité et le droit des consommateurs.
Attendue, cette proposition de loi entend couvrir la multiplicité des acteurs (influenceurs mineurs, agents, plateformes d'hébergement des contenus) en donnant, en particulier, et c’est là la grande nouveauté, des définitions légales des métiers d’influenceur et d’agent d’influenceur justifiant, ensuite, de poser un cadre juridique contraignant et cohérent à respecter sous peine de sanctions.
■ Une définition légale inédite de l’activité d’influence commerciale pour accompagner les acteurs...
L’article 1er du texte dispose que sont considérés comme des influenceurs les personnes physiques ou morales qui font la « promotion de biens, de services ou d’une cause quelconque en contrepartie d’un bénéfice économique ou d’un avantage en nature ». Le texte vise ainsi spécifiquement les influenceurs qui reçoivent une contrepartie économique, soit sous la forme de commissions, de cryptomonnaies, de NFT (non-fongible tokens) ou encore sous la forme d’avantages en nature (produits et services offerts par les marques par exemple). Cependant, cette définition reste très large puisque, tout en visant les activités relatives à « l’influence commerciale », elle inclut également les influenceurs qui font la promotion d’une « cause quelconque », telle que l’influence politique par exemple. Néanmoins, cette définition ne vise que les influenceurs « stars » aux audiences les plus larges, puisque le texte précise que la contrepartie devra être d’un montant « dont la valeur est supérieure aux seuils fixés par décret ». Une précision que les sénateurs n’ont pas manqué de critiquer souhaitant, eux, que cette définition de l’activité d’influence commerciale intègre l’ensemble des influenceurs commerciaux.
Outre l’activité d’influenceur, le texte définit plusieurs notions. D’abord, celle d’agent d’influenceur, comme une activité consistant, à titre onéreux, à représenter un mandant (contrat de mandat avec l’influenceur) ou « à mettre en relation » (contrat de courtage) un influenceur et une marque. Ensuite, il est précisé que pour emporter la qualification juridique « d'agent », il faut pour cela que l’intéressé soit chargé de « la défense des intérêts des personnes exerçant l’activité d’influence commerciale ». Enfin, le texte établit un cadre juridique clair autour de la relation entre l’influenceur et son agent en posant l’obligation de rédiger un « contrat unissant un influenceur à une agence ou un annonceur » et qui « doit être passé par écrit, sous peine de nullité, et comporter un certain nombre de mentions » (art. 2 bis de la proposition de loi n° 122, texte unanimement adopté par les deux chambres).
Il est également précisé que tout influenceur établi hors d’un État de l’Union européenne est dans l’obligation de désigner un représentant légal, qui peut être l’agence de ce dernier, ce qui signifie que l’ensemble de ces dispositions s’appliquera aux influenceurs, quelle que soit leur localisation (Dubaï par exemple...) dès lors qu’ils s’adressent à un public français. Par ailleurs, puisque la proposition de loi entend modifier le Code de la consommation et le Code de commerce, le régime des pratiques commerciales trompeuses s’appliquera aux influenceurs comme aux agents. De surcroît, le texte prévoit une protection spécifique s’agissant des influenceurs mineurs en ce que « tout mineur de moins de 16 ans devra obtenir un agrément auprès des services de l'État, et 90 % des sommes perçues grâce à cette activité devront être consignées jusqu'à sa majorité ». Ces précisions viennent compléter celle de la loi « enfants influenceurs » du 19 octobre 2020.
■ … et mieux protéger les consommateurs
Le texte prévoit une meilleure protection des consommateurs, dont les plus vulnérables, les 16-24 ans. D’abord, en matière de transparence, le texte pose par exemple l’obligation selon laquelle le caractère promotionnel du contenu devra être « explicitement indiqué par une mention (...) sur l’image ou la vidéo durant l’intégralité de la promotion » (art. 2 C de la proposition de loi n° 790 adoptée par l’Assemblée nationale). Une obligation vers davantage de sincérité qui fait d’ailleurs consensus puisque les sénateurs sont favorables à l’apposition d’une telle mention « publicité » obligatoire pour chaque contenu à caractère promotionnel partagé par les influenceurs sur les réseaux sociaux (art. 2 C (I) de la proposition de loi n° 1194 modifiée par le Sénat). Ensuite, sur le plan de l’information du consommateur, les informations sanitaires relatives à certains produits alimentaires promus devront être communiquées par le créateur de contenu (ajouts de sucre, sel, édulcorants, etc.). Également, pour éviter d’induire le consommateur en erreur, et à l’instar du régime encadrant la publicité traditionnelle, l’influenceur devra faire apparaître une mention « visible » sur le contenu publié en cas d’usage de filtres ou de retouches, des techniques pouvant induire le consommateur en erreur. Enfin, d’autres obligations s’imposent à l’influenceur dans un souci de responsabilisation de celui-ci : mention de l’identité du fournisseur, de la disponibilité du produit, et garantie d’absence de contrefaçon (art. 2 E de la proposition de loi n° 122, texte unanimement adopté par les deux chambres).
Toutefois, le texte ne s’en tient pas qu’à soumettre les influenceurs aux mêmes règles que les médias traditionnels en matière de publicité. Il entend aussi créer des interdits particuliers au secteur. En effet, afin de rééquilibrer le texte pour permettre de lutter de façon plus ciblée contre les diverses dérives des influenceurs et en complément de l’interdiction de toute promotion de la chirurgie esthétique adoptée par les députés à l’Assemblée, les sénateurs ont proposé d’interdire la promotion de l’abstention thérapeutique et des sachets de nicotine ainsi que toute autre promotion de traitements médicaux, médicamenteux, voire chirurgicaux, portant atteinte à la protection de la santé. Également, les sénateurs sont favorables à l’interdiction pour les influenceurs de promouvoir des abonnements à des pronostics sportifs ainsi que de se mettre en scène avec des animaux non domestiques sur les réseaux sociaux. Des mesures qui s’ajoutent à celles précédemment adoptées par les députés à l’instar de l’interdiction pour les influenceurs de faire la promotion de « produits illicites et contrefaisants » ou encore de certains services financiers afin d’endiguer les escroqueries sur les placements ou investissements à risque. À ce titre, la promotion des jeux d’argent sera davantage réglementée (sans pour autant poser d'interdiction) tandis que la publicité pour des NFT ne sera autorisée que sous réserve d’enregistrement auprès de l’autorité des marchés financiers (AMF). Il en résulterait que toutes les règles existantes encadrant les communications commerciales, peu importe le support, seront applicables de plein droit aux influenceurs.
Par ailleurs, en commission puis en séance publique, les sénateurs ont insisté sur le fait que les règles existantes en matière de publicité et de promotion s'appliquent déjà au marketing d’influence. Les influenceurs devront donc se conformer aux règles existantes en matière sanitaire (comme la loi Evin du 10 janvier 1991 relative à la lutte contre le tabagisme et l’alcoolisme), financière et de jeux d’argent ou de hasard (point n° 18 du « Guide de bonne conduite » à destination des influenceurs et des créateurs de contenus publié par le ministère de l’Économie). Les sanctions prévues en cas de non-respect par ces derniers de leurs obligations sont lourdes : 2 ans d’emprisonnement et 300 000 euros d’amende avec la possibilité de faire l’objet d’une peine d’interdiction provisoire ou définitive d’exercer sur les réseaux sociaux (suivant les modalités prévues à l’article 131-27 du Code pénal). Néanmoins, on peut s’interroger sur le risque de porter une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression, en ce que l’influenceur est d’abord un intermédiaire qui donne un avis, lui-même influencé ou non, sur un produit dont il n’est pas le vendeur final.
Enfin, le texte vise également à responsabiliser les plateformes (art. 4 de la proposition de loi n° 122, texte unanimement adopté par les deux chambres). Conformément à la législation européenne sur les services numériques (Digital Services Act), la plateforme devra mettre en place des mécanismes de modération « clairs et lisibles » permettant le signalement de contenus illicites, impliquant in fine leur retrait, ainsi qu’un traitement prioritaire de certains signalements effectués par des « signaleurs de confiance », au premier chef desquels les associations de défense des consommateurs. La DGCCRF sera, par ailleurs, impliquée dans cette mission de surveillance en coopérant avec les plateformes notamment en leur fournissant une « liste des sites internet faisant la promotion illicite de produits ou de services ». Les signalements seront donc simplifiés et une « brigade de l'influence commerciale » sera créée au sein de la DGCCRF, chargée de surveiller, répondre aux signalements, adopter des sanctions, et saisir le juge compétent.
■ Des avancées redoutées par les professionnels du secteur
Le législateur peut-il réellement limiter les influenceurs dans leurs pratiques les plus controversées et protéger leurs abonnés ? Les mesures prévues par ce texte permettent-elles de réguler efficacement le secteur de l’influence ? Puisque même si cette proposition de loi a été appuyée par le gouvernement, elle ne recueille pas l’assentiment de l’ensemble des acteurs du secteur. À ce titre, plus de 100 créateurs de contenus, à l’initiative de l’UMICC (Union des métiers de l’influence et des créateurs de contenus), ont dénoncé un risque de « sur-légiférer » au travers d’un texte qu’ils perçoivent comme une remise en cause de leur modèle économique, dynamique et rentable. Si cet argument s’appuie sur la liberté d’entreprise et de prestation de services, protégée par le droit de l’Union européenne, « il ne saurait s’opposer à l’intérêt général et la protection de la santé publique et des personnes » comme le souligne le Professeur Malaurie-Vignal.
Ainsi, les récents débats à l’Assemblée comme au Sénat ont permis d’aboutir à une définition claire de l’influence commerciale, du métier d’influenceur et de celui d’agent, faisant de la France l’un des premiers pays au monde à légiférer sur ce sujet. Des interdictions complétées par des sanctions inédites accompagnent ce texte afin de protéger les consommateurs sans pour autant être trop restrictives au risque de freiner le développement de cette économie fructueuse. Cette proposition de loi est donc importante et innovante en ce qu’elle consacre un principe d’égalité de traitement entre le secteur de la publicité sur les médias traditionnels et le « monde de l'influence commerciale ». Toutefois, ce texte ne pose pas un cadre juridique parfaitement complet pour encadrer des pratiques diverses et disparates (44 % des influenceurs en France ont moins de 5 000 abonnés). C’est pourquoi celui-ci doit être rapproché de l’arsenal législatif déjà existant à l’instar du droit de la diffamation et du droit des pratiques commerciales déloyales. Par ailleurs, ce texte ouvre la voie à une série d’autres propositions de loi actuellement en discussion à l’Assemblée. À ce titre, la protection des plus jeunes sur les réseaux sociaux est une priorité comme en témoigne la proposition de loi n° 758 « visant à garantir le respect du droit à l’image des enfants sur les réseaux sociaux », actuellement débattue à l’Assemblée.
Références :
■ Loi n° 91-32 du 10 janvier 1991 relative à la lutte contre le tabagisme et l’alcoolisme
■ Règlement (UE) 2022/2065 du 19 octobre 2022 relatif à un marché unique des services numériques et modifiant la directive 2000/31/CE (règlement sur les services numériques), Digital Services Act (DSA).
■ Marie Malaurie-Vignal, « Que prévoit le texte visant à lutter contre les arnaques et les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux ? », le Club des juristes, 4 avril 2023
■ Proposition de loi n° 758 visant à garantir le respect du droit à l'image des enfants
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