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Droit de la famille
Adoption frauduleuse : la tierce opposition des héritiers est recevable
Une adoption frauduleuse rend la tierce opposition formée par les enfants biologiques de l’adoptant défunt, en leur qualité d’héritiers réservataires, recevables et justifie l’annulation du jugement d’adoption dès lors qu’elle ne porte pas une atteinte excessive au droit des adoptées à leur droit à une vie familiale normale.
Un père, décédé le 7 mai 2013, avait laissé pour lui succéder, d’une part, ses deux enfants biologiques, nés de son mariage avec une femme dont il était divorcé à la date de son décès, d’autre part, deux jumelles, nées à l’étranger le 31 octobre 1974 et qu'il avait adoptées par jugement en date du 26 avril 2007.
Le 3 avril 2015, les filles adoptives du défunt avaient assigné leurs frères et sœurs en partage judiciaire de la succession. Le 7 septembre de la même année, ces derniers avaient formé tierce opposition au jugement d’adoption, sur le fondement de l’article 353-2 du Code civil.
Les adoptées firent d’abord grief à la cour d’appel d’avoir déclaré recevable la tierce opposition formée par les premiers enfants du défunt. En vain, la Cour de cassation approuvant la décision des juges du fond qui, après avoir relevé que la requête en adoption du défunt ne mentionnait pas l'existence d'enfants nés de son mariage, héritiers réservataires, avec lesquels il était en conflit ouvert, notamment dans la procédure en révocation de donations pour ingratitude qui l'opposait à eux, ont souverainement déduit de ces faits, sans confondre recevabilité et bien-fondé de la tierce opposition, que les faits allégués caractérisaient une omission et une réticence dolosive constitutives d'une fraude rendant recevable la tierce opposition formée.
Les jumelles reprochaient également aux juges d’appel d’avoir reçu la tierce opposition et ordonné en conséquence la rétractation du jugement d'adoption, l’annulation de celle-ci en même temps que la suppression de l’adjonction du nom patronymique du défunt au leur. Ce grief est également écarté par la Haute cour, qui confirme l’analyse des juges du fond ayant exactement rappelé que la finalité de l'adoption réside dans la création d'un lien de filiation et que son utilisation à des fins étrangères à celle-ci constitue un détournement de l'institution, ce qui était le cas en l’espèce : la cour d’appel ayant relevé que l’adoptant n'avait ni élevé ni éduqué ses filles adoptives, dont il n’avait fait la connaissance que lorsque celles-ci avaient 22 ans, qu'il entretenait une liaison avec leur mère et que le but poursuivi était en fait de nature exclusivement successorale et fiscale, la décision d’adopter les deux fillettes ayant eu pour seul but de les rendre héritières réservataires à l’effet de réduire ainsi les droits de ses deux premiers enfants; elle en a souverainement déduit que, l'institution adoptive ayant été détournée de son but, la décision d’adoption antérieurement prononcée devait être rétractée.
Les requérantes prétendaient enfin que la rétractation d'un jugement d'adoption ne doit pas constituer une ingérence injustifiée dans l'exercice du droit au respect dû à la vie familiale de l'adopté, ni porter une atteinte excessive au droit au respect de ses biens, ingérence qu’elles estimaient avoir subie : l’atteinte à leur droit à une vie familiale normale était, selon elles, disproportionnée par rapport aux intérêts successoraux dont se prévalaient les enfants biologiques et la privation subséquente de leur droit à hériter de leur père, abusive. Elles sont là encore déboutées par la Cour de cassation qui, sur le fondement du principe de proportionnalité et l’emploi de la méthode en découlant de la « balance » des intérêts en présence, juge que si les relations entre un parent adoptif et un enfant adopté, même majeur, sont protégées par l'article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, et que si l'annulation d'une adoption s'analyse en une ingérence dans l'exercice du droit au respect de la vie privée et familiale, cette ingérence peut néanmoins être justifiée dans les conditions du paragraphe 2 de du texte précité ; elle ajoute que l'annulation de l'adoption est prévue par la loi française ; que l'article 353-2 du Code civil, texte clair et précis, est accessible aux justiciables et prévisible dans ses effets ; elle poursuit en soulignant que la tierce opposition poursuit un but légitime, au sens du paragraphe 2 de l'article 8 précité, en ce qu'elle tend à protéger les droits des tiers qui n'ont pas été partie à la procédure qui leur porte préjudice et auxquels la décision n'a pas été notifiée ; que cette procédure est strictement réglementée par la loi française puisqu’en effet, elle est conçue de façon restrictive en matière d'adoption, dans un but de sécurité et de stabilité de la filiation adoptive, n'étant ouverte que si le demandeur établit l'existence d'un dol ou d'une fraude imputable aux adoptants ; qu'ainsi conçue, elle est une mesure nécessaire pour parvenir au but poursuivi et adéquate au regard de cet objectif.
Cependant, il appartient au juge d'apprécier si, concrètement, dans l'affaire qui lui est soumise, la mise en œuvre de ce texte ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale de l'intéressé, au regard du but légitime poursuivi et, en particulier, si un juste équilibre est ménagé entre les intérêts publics et privés concurrents en jeu.
Or en l’espèce, la cour d’appel avait relevé que l'adoptant avait sciemment dissimulé des informations essentielles à la juridiction saisie de la demande d'adoption, pour détourner la procédure à des fins successorales et consacrer une relation amoureuse. Elle constatait aussi que les requérantes, vu l’âge auquel elles ont connu leur père, n'avaient pas été éduquées ou élevées par lui, outre le fait qu’elles avaient été accueillies chez lui dans des conditions très particulières, notamment pendant le temps du mariage et sans l'accord de l’épouse de leur père ; elle énonçait également que l'adoption avait été annulée neuf ans après son prononcé mais trois ans seulement après le décès de l'adoptant, date à laquelle les enfants issus de son mariage en avaient eu connaissance. De ces constatations et énonciations, la cour d'appel a donc pu déduire que l'annulation de l'adoption ne portait pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale des requérantes.
Ayant ensuite et enfin fait ressortir que l'annulation de cette adoption ménageait un juste équilibre entre les intérêts en présence et ne constituait pas une atteinte disproportionnée au droit au respect des biens des requérantes, la cour d'appel a légalement justifié sa décision au regard de l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Partant, peuvent être retenus de cette riche et dense décision les trois conclusions suivantes :
● Les circonstances entourant la tierce opposition formée contre un jugement d’adoption par les enfants biologiques de l’adoptant, en leur qualité d’héritiers réservataires, avec lesquels il était en conflit ouvert, et dont l’existence a été sciemment dissimulée au tribunal, ont rendu celle-ci recevable.
● L’adoptant ayant eu pour seule intention, par cette adoption, de réduire les droits de ses enfants biologiques pour conférer à ceux adoptés et aux dépens des premiers la qualité d’héritiers réservataires, cette démarche, entreprise dans un but purement successoral et fiscal, constituait un détournement de l’institution de l’adoption justifiant l’annulation de celle en l’espèce prononcée.
● A l’issue d’un contrôle de proportionnalité, les juges ont déduit du fait que l'adoption avait été annulée neuf ans après son prononcé mais trois ans seulement après le décès de l'adoptant, date à laquelle ses enfants biologiques en avaient eu connaissance, qu’une telle annulation ne portait pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie familiale des adoptées et que, sous cet angle du contrôle de l’équilibre des intérêts en présence, elle pouvait légitimement être prononcée.
Civ. 1re, 13 juin 2019, n° 18-19.100
Références
■ Convention européenne des droits de l’homme
Article 8
« Droit au respect de la vie privée et familiale. 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »
■ Protocole additionnel [n° 1] du 20 mars 1952 à la Convention
Article 1er
« Protection de la propriété. Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes. »
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