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Droit de la famille
Adoption : illégalité d'un refus d'agrément opposé à une femme homosexuelle
Mots-clefs : Adoption (célibataire), Agrément (refus illicite), Discrimination (orientation sexuelle), Homosexualité, Homoparentalité
Par jugement du 10 novembre 2009, le tribunal administratif de Besançon a déclaré illégal un refus d'agrément en vue de l'adoption opposé à une femme homosexuelle.
Dans le cadre d'une affaire ayant été portée jusque devant la Cour européenne des droits de l'homme, un tribunal administratif juge illégal le refus d'agrément en vue de l'adoption opposé à une femme homosexuelle qui s'appuyait sur un « décalage entre [la demanderesse] et sa compagne concernant leur positionnement respectif vis-à-vis de l'enfant à adopter » et des « différences notables quant au projet d'adoption » (tenant, pour l'essentiel, à l'âge de l'enfant à adopter).
Répondant à la requérante qui invoquait, pour l'essentiel, un détournement de pouvoir de la part du président du conseil général du Jura à l'origine des deux refus successifs (leur motivation réelle tenant à son orientation sexuelle), le tribunal administratif estime que les motifs retenus (positionnement de la compagne de la requérante au regard du projet d'adoption et divergence dans le couple quant à l'âge de l'enfant à adopter) n'étaient pas susceptibles de justifier légalement la décision de rejet de la demande d'agrément. Il conclut que le président du conseil général a fait une application inexacte des dispositions légales applicables (art. L. 225-17 et R. 225-4 CASF). Eu égard au motif d'annulation, il enjoint l'intéressé à délivrer à la requérante l'agrément sollicité dans un délai de quinze jours, sous astreinte de 100 euros par jour de retard.
Ce jugement, qui clôt une procédure de douze ans, tire les leçons de la condamnation prononcée le 22 janvier 2008 par la Cour européenne des droits de l'homme à l'encontre de la France (CEDH 22 janv. 2008, E. B. c. France). Saisis d'une requête fondée sur une violation des articles 8 (droit au respect de la vie privée) et 14 (interdiction de la discrimination) de la Convention, les juges strasbourgeois avaient estimé que la référence implicite à l'homosexualité de l'intéressée et son influence sur l'appréciation de la demande d'agrément avaient revêtu un caractère décisif ; cette différence de traitement étant uniquement fondée sur l'orientation sexuelle et l'un des motifs du refus d'agrément (l'absence de référent paternel) revêtant un caractère illégitime, une violation de l'article 14, combiné avec l'article 8, avait été constatée (v. contra, CEDH 26 févr. 2002, Fretté c. France).
On rappellera que le droit français autorise l'adoption d'un enfant par un célibataire (art. 343-1 C. civ. pour l'adoption plénière ; art. 361 C. civ. par renvoi à l'art. 343-1 C. civ. pour l'adoption simple) ; il ouvre ainsi la voie à l'adoption par une personne célibataire homosexuelle, le Code civil restant muet quant à la nécessité d'un référent d'un autre sexe. Le jugement du 10 novembre 2009 rappelle donc que l'orientation sexuelle du demandeur célibataire ne peut, à elle seule, justifier un refus d'agrément. Il relance également la question, tant juridique que sociétale, de l'adoption par un couple homosexuel (qui, elle-même, rejoint celle du mariage homosexuel). Une modification de la loi n'apparaît pas à l'ordre du jour, le gouvernement ayant d'ores et déjà rappelé, par l'intermédiaire de son porte-parole, qu'il n'y était pas favorable, précisant que ce jugement alimenterait néanmoins la réflexion sur ce sujet. Une réflexion qui devrait se poursuivre en 2011, à l'occasion de la révision des lois sur la bioéthique, les participants aux états généraux organisés de février à juin dernier s'étant prononcés en faveur de l'adoption par les couples homosexuels.
TA Besançon, 10 nov. 2009
Références
■ Adoption plénière
« Adoption provoquant une rupture de tout lien juridique entre la famille d’origine et l’enfant adopté et assimilant ce dernier à un enfant légitime dans la famille adoptive. »
■ Adoption simple
« Adoption laissant subsister des liens juridiques entre l’enfant et sa famille d’origine, tout en créant des liens de filiation entre l’adoptant et l’adopté. »
■ Détournement de pouvoir
« Illégalité consistant, pour une autorité administrative, à mettre en œuvre l’une de ses compétences dans un but autre que celui en vue duquel elle lui a été conférée. »
Source : Lexique des termes juridiques 2010, 17e éd., Dalloz, 2009.
■ Code de l’action sociale et des familles
Article L. 225-17
« Les personnes qui accueillent, en vue de son adoption, un enfant étranger doivent avoir obtenu l'agrément prévu aux articles L. 225-2 à L. 225-7. »
Article R. 225-4
« Avant de délivrer l'agrément, le président du conseil général doit s'assurer que les conditions d'accueil offertes par le demandeur sur les plans familial, éducatif et psychologique correspondent aux besoins et à l'intérêt d'un enfant adopté.
À cet effet, il fait procéder, auprès du demandeur, à des investigations comportant notamment :
– une évaluation de la situation familiale, des capacités éducatives ainsi que des possibilités d'accueil en vue d'adoption d'un enfant pupille de l'État ou d'un enfant étranger ; cette évaluation est confiée à des assistants de service social, à des éducateurs spécialisés ou à des éducateurs de jeunes enfants, diplômés d'État ;
– une évaluation, confiée à des psychologues territoriaux aux mêmes professionnels relevant d'organismes publics ou privés habilités mentionnés au septième alinéa de l'article L. 221-1 ou à des médecins psychiatres, du contexte psychologique dans lequel est formé le projet d'adopter.
Les évaluations sociale et psychologique donnent lieu chacune à deux rencontres au moins entre le demandeur et le professionnel concerné. Pour l'évaluation sociale, une des rencontres au moins a lieu au domicile du demandeur.
Le demandeur est informé, au moins quinze jours avant la consultation prévue à l'article R. 225-5, qu'il peut prendre connaissance des documents établis à l'issue des investigations menées en application des alinéas précédents. Les erreurs matérielles figurant dans ces documents sont rectifiées de droit à sa demande écrite. Il peut, à l'occasion de cette consultation, faire connaître par écrit ses observations sur ces documents et préciser son projet d'adoption. Ces éléments sont portés à la connaissance de la commission. »
■ Code civil
Article 343-1
« L'adoption peut être aussi demandée par toute personne âgée de plus de vingt-huit ans.
Si l'adoptant est marié et non séparé de corps, le consentement de son conjoint est nécessaire à moins que ce conjoint ne soit dans l'impossibilité de manifester sa volonté. »
Article 361
« Les dispositions des articles 343 à 344, 346 à 350, 353, 353-1, 353-2, 355 et des deux derniers alinéas de l'article 357 sont applicables à l'adoption simple. »
■ Convention européenne des droits de l’homme
Article 8 – Droit au respect de la vie privée et familiale
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »
Article 14 - Interdiction de discrimination
« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »
■ CEDH 26 févr. 2002, Fretté c. France, Rec. 2002-I ; D. 2002. Somm. 2024, obs. Granet, et 2569, obs. Courtin ; AJ fam. 2002. 142 ; AJDA 2002. 401, note Poirot-Mazères ; RTD civ. 2002. 389, obs. Marguénaud.
■ CEDH 22 janv. 2008, E. B. c. France, D. 2008. Jur. 2038, note Hennion-Jacquet ; ibid. 2008. Pan. 1786, obs. Lemouland et Vigneau ; AJ fam. 2008. 118, obs. Chénédé ; RTD civ. 2008. 249, obs. Marguénaud.
■ P. Murat, Droit de la famille, 14e éd., Dalloz, coll. « Dalloz Action », 2008-2009, n° 111 s., 232 s.
■ C. Neirinck, « Homoparentalité et adoptions », in Mélanges P. Catala, Litec, 2000, p. 356.
■ F. Rome, « Elles se marièrent et eurent beaucoup d'enfants », D. 2008. Édito. 401.
■ V. égal. le rapport final des États généraux de la bioéthique sur http://www.etatsgenerauxdelabioethique.fr/.
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