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Droit de la famille
Adoption plénière de l’enfant du conjoint : précisions sur les conditions de fond et de délai
L'adoption plénière de l'enfant du conjoint, permise lorsque l'enfant n'a de filiation établie qu'à l'égard de ce conjoint, requiert le consentement de celui-ci, lequel peut être rétracté pendant deux mois ; sous cette réserve, le consentement donné, qui ne se rattache pas à une instance particulière, n'est pas limité dans le temps.
Dès lors que le divorce n’était pas définitivement prononcé au moment où la cour a statué, ce dont il se déduit que les épouses étaient encore unies par les liens du mariage, les conditions légales de l'adoption de l'enfant du conjoint étaient réunies, et la cour a pu valablement prononcer l’adoption par l’épouse, en instance de divorce, de l’enfant de sa conjointe.
Civ. 1re, 11 mai 2023, n° 21-17.737 B
Si l’adoption plénière concerne principalement des orphelins ou des mineurs délaissés par leurs géniteurs, elle est également envisageable pour des enfants qui vivent avec l’un de leurs parents. En effet, lorsque leur parent vit en couple, ces enfants sont susceptibles d’être adoptés par celui ou celle qui partage la vie de leur mère ou de leur père. Cette adoption intrafamiliale n’est toutefois pas toujours admise, d’autant moins qu’à celles normalement applicables à toute adoption plénière s’ajoutent des conditions propres à l’adoption de l’enfant de son conjoint ou, désormais, de son concubin ou partenaire de Pacs. Aussi cette adoption peut-elle faire l’objet d’un droit de rétractation, reconnu au parent de l’enfant. L’arrêt rapporté apporte ainsi des précisions utiles sur les conditions de fond et de délai de cette adoption plénière spécifique.
Après le mariage de deux femmes, l’une d’elles avait donné naissance à un enfant. Par requête du 28 avril 2016, soit quatre mois après la naissance de l’enfant, l’épouse de la mère de naissance de l’enfant avait sollicité son adoption plénière, à laquelle la mère avait consenti, le 18 février 2016, avant de se rétracter, le 19 octobre 2016, soit deux jours après avoir déposé une requête en divorce, puis de retirer finalement sa demande en adoption plénière par son épouse, ce retrait ayant eu lieu le 17 janvier 2017. S’étant une première fois désistée de l’instance, le 5 décembre 2018, l’épouse candidate à l’adoption avait, quant à elle, ultérieurement réitéré sa demande d’adoption de l’enfant bien qu’à cette date, le couple était en cours de divorce.
L’adoption ayant été prononcée, la mère de naissance de l’enfant se pourvoit en cassation, reprochant aux juges du fond d’avoir fait droit à la demande d’adoption de l’enfant alors que « la rétractation de son consentement [donné le 18 février 2016] par courrier du 19 octobre 2016 adressé au parquet civil du tribunal de grande instance de Bordeaux, suivie du retrait de sa demande en adoption par [son ex-épouse], 17 janvier 2017, a eu pour effet d'anéantir l'acte du 18 février 2016 ». Au-delà de la rétractation de son consentement, la mère faisait également valoir qu'en se bornant à énoncer que « la qualité pour agir s'analyse au moment de la requête déposée, celle formalisée par l'appelante doit être déclarée recevable pour l'avoir été dans un temps où le couple était encore uni par les liens du mariage, soit le 25 février 2019 », sans rechercher si, au jour où elle statuait les conditions légales de l'adoption étaient réunies, la cour d'appel avait privé sa décision de base légale au regard des articles 345-1, 348-1 et 353 du Code civil.
La Cour de cassation rejette son pourvoi. Elle juge d’une part qu’ « il résulte des articles 345-1, 1°, 348-1 et 348-3 du Code civil, dans leur version alors applicable, que l'adoption plénière de l'enfant du conjoint, permise lorsque l'enfant n'a de filiation établie qu'à l'égard de ce conjoint, requiert le consentement de celui-ci, lequel peut être rétracté pendant deux mois ». Aussi, selon la Haute juridiction, dès lors que les juges du fond ont constaté que le consentement de la mère, reçu par acte notarié dans les formes requises, n'avait pas été rétracté dans le délai de deux mois, la cour d'appel a justement retenu que celui-ci ne comportait aucune limite dans le temps ni ne se rattachait à une instance particulière, de telles réserves n'étant pas prévues par la loi, de sorte qu'il avait plein et entier effet. Elle confirme d’autre part qu’en application des articles 345-1, 348-1 et 353 du Code civil, dans leur version alors applicable, le juge doit vérifier si les conditions légales de l'adoption de l'enfant du conjoint sont remplies au moment où il se prononce. Or la cour d'appel a constaté qu'il avait été interjeté appel du jugement de divorce rendu le 12 décembre 2019 et que celui-ci était pendant, ce dont il se déduisait que les intéressées étaient encore unies par les liens du mariage au moment où elle avait statué. Il en résultait que les conditions légales de l'adoption de l'enfant du conjoint étaient bien réunies au moment où la cour d'appel s’était prononcée.
Adoption plénière intrafamiliale : des hypothèses limitativement énumérées - Les recompositions familiales étant fréquentes, il convient de veiller à ce que l’adoption plénière intrafamiliale ne soit pas dévoyée. Il s’agit en particulier d’éviter qu’après la dislocation du couple ayant donné naissance à des enfants, le père ou la mère de ces derniers n’envisage pas leur adoption à l’effet d’évincer le second parent par le sang. Le législateur a donc fait en sorte que l’adoption plénière ne devienne pas un moyen de supplanter le père ou la mère biologique de l’enfant. A cette fin, il a limitativement énuméré les cas dans lesquels cette adoption plénière intrafamiliale est permise (v. C. civ., art. 345-1). L’hypothèse de l’espèce est la plus fréquente. Elle vise le cas où le candidat à l’adoption n’est autre que le conjoint du père ou de la mère biologique de l’enfant qu’il souhaite adopter. Ses vœux ne peuvent alors être exaucés que s’il n’y a pas lieu de préserver les liens unissant l’enfant au second parent par le sang. Il ne peut donc obtenir satisfaction que dans trois cas : lorsque l’enfant n’a de filiation légalement établie qu’à l’égard de son parent biologique, lorsque le second parent s’est vu retirer totalement l’autorité parentale et lorsque cet autre parent est décédé et n’a pas laissé d’ascendants au premier degré ou lorsque ceux-ci se sont manifestement désintéressés de l’enfant (C. civ., art. 345-1). En l’espèce, cette condition était remplie, l’enfant n’ayant de filiation légalement établie qu’à l’égard de l’épouse de l’adoptante.
Adoption plénière intrafamiliale : exigence du consentement parental - Quel que soit le type d’adoption, le ou les parents de naissance doivent consentir à l’adoption, dès lors que l’adoption est sollicitée pendant la minorité de l’enfant. L’adoption plénière intrafamiliale ne déroge pas à cette règle. Le consentement du parent doit être donné devant un notaire ou, le cas échéant, devant les agents diplomatiques ou consulaires français. Générale, cette exigence est notamment requise dans le cas de l’espèce d’une adoption plénière de l’enfant de son conjoint ou, depuis la réforme du 21 février 2022 (loi n° 2022-219 visant à réformer l'adoption), de son partenaire de PACS ou de son concubin. Ainsi le consentement du parent doit-il être formellement exprimé dans un acte notarié de consentement (C. civ., art. 348-1 et 348-3, al. 2). En l’espèce, cette condition était également remplie, le consentement de la mère de l’enfant ayant été valablement reçu par acte notarié dans les formes requises.
Adoption plénière intrafamiliale : droit de repentir - Même après avoir été formalisé dans un acte notarié de consentement, le consentement du parent peut encore être rétracté. Il importe en effet de laisser au parent de l’enfant la possibilité de se dédire : sa décision est trop importante pour devenir immédiatement irrévocable. Ses regrets ne peuvent toutefois être entendus qu’à la condition d’être exprimés suffisamment rapidement. Le droit de rétractation reconnu au parent est, en effet, enfermé dans un bref délai de deux mois. Le recueil et la rétractation du consentement du parent sont étroitement liés. En effet, pour que commence à courir le délai de rétractation prévu par l’article 348-3, alinéa 2, du Code civil, encore faut-il que le consentement du parent ait été valablement donné, ie selon les formes requises, ce qui avait été, en l’espèce, le cas. En revanche, la mère de l’enfant n’avait pas exercé son droit de rétractation dans le délai légal. Or une fois ce délai expiré, le consentement du parent, irrévocable, ne peut plus être remis en cause.
Limite au droit de repentir : irrévocabilité du consentement parental passé le délai de rétractation - Passé le délai de rétractation, le consentement du parent doit être considéré comme illimité dans le temps. Irrévocable, son consentement est alors également susceptible de produire ses effets dans les procédures ultérieures à la requête initiale en adoption, le consentement donné ne se rattachant pas à une instance particulière. Ainsi, non seulement une rétractation tardive ne peut avoir pour effet d’anéantir le consentement donné, comme peut seule y conduire l’exercice régulier, durant le délai légal, du droit de rétractation, mais l’introduction de procédures ultérieures, en adoption de l’enfant ou en divorce du couple, se révèlent également sans incidence sur la déclaration initiale, formalisée par acte authentique, du consentement du parent à l’adoption de son enfant mineur. Ainsi, en l’espèce, l’introduction d’une nouvelle procédure en adoption, consécutive à un premier désistement d’instance, laissait inchangé le consentement initialement donné par la mère de l’enfant à l’adoption de ce dernier par son ex-conjointe. Dès lors qu’ab initio, le consentement est régulièrement donné, il devient, à la condition de le maintenir pendant deux mois, irrévocable. Une fois formalisé et maintenu, le consentement se trouve en quelque sorte figé en sorte qu’il n’est pas nécessaire de le réitérer dans le cas ici illustré d’une nouvelle requête en adoption, la loi ne soumettant pas la validité du consentement à de telles conditions. Le consentement donné produisant effet pour une durée illimitée et quelle que soit l’instance considérée, en l’espèce, l’examen de la seconde requête en adoption par l’ex-femme de la demanderesse n’exigeait pas que cette dernière renouvelât son consentement dans les formes requises par l'article 348-3, alinéa 2, du Code civil. Aussi bien, la requête en divorce introduite ultérieurement et la procédure qui s’est ensuivie, jusqu’au prononcé du jugement, n’entraînaient pas, pour le même motif, la caducité de l’acte de consentement : passé le délai de deux mois, le consentement parental est considéré comme irrévocablement donné. Encore fallait-il, au-delà du consentement du parent, vérifier que le couple était encore marié au moment où le juge a prononcé l’adoption.
Date d’appréciation des conditions légales à l’adoption : vérification de l’existence d’un lien matrimonial au moment où le juge statue – Le fait que le couple était en instance de divorce lorsque le juge a prononcé l’adoption plénière de l’enfant par la future ex-épouse de sa mère ne contredisait pas l’exigence, à l’époque requise, que les membres du couple fussent mariés pour que l’un d’eux puisse adopter l’enfant de l’autre. En effet, l’appel interjeté du jugement rendait ce dernier pendant si bien qu’à la date où le juge a statué, le couple était encore uni par les liens du mariage. Or c’est seulement au jour où le juge statue que ce dernier doit vérifier la satisfaction des conditions légales de l’adoption de l’enfant du conjoint.
Il est à noter que depuis la loi précitée du 21 février 2022, l’adoption de l’enfant du conjoint est ouverte à tous les couples, même non mariés. Cette ancienne condition liée au mariage des membres du couple dont l’un souhaite adopter l’enfant de l’autre a donc désormais disparu, marquant l’effacement de l’influence que le mariage exerce en matière d’adoption.
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