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Procédure pénale
Affaire Benalla. Preuve pénale : n’est pas irrégulière la preuve dont les conditions de recueil sont restées incertaines
Si la circonstance que des enregistrements ont été remis aux enquêteurs par des journalistes ne saurait en elle-même conduire à exclure que l'autorité publique ait concouru à la réalisation de ces enregistrements, leur versement au dossier ne saurait être déclaré irrégulier au seul motif que les conditions de leur recueil sont restées incertaines.
Crim. 1er déc. 2020, n° 20-82.078 P
Si l’affaire Benalla a engendré des remous politiques, voici qu’elle interroge maintenant sur le plan juridique, spécialement sur la question de la loyauté de la preuve pénale.
Le 1er mai 2008, une vidéo filmée lors d’un rassemblement et diffusée sur les réseaux sociaux montrait un homme portant un casque siglé CRS, dont on apprendra plus tard qu’il s’agissait de l’adjoint au chef du cabinet du Président de la République, asséner des coups à un autre homme, place de la Contrescarpe à Paris. Le 22 juillet suivant, une information judiciaire était ouverte et M. B. mis en examen et placé sous contrôle judiciaire avec, notamment l’interdiction d’entrer en contact avec les autres mis en examen parmi lesquels M. C., gendarme réserviste de la garde républicaine, également présent lors des faits sans y avoir été autorisé. Le 31 janvier 2019, le site Médiapart publiait un article relatant une rencontre entre les deux co-mis en examen, auquel étaient joints des extraits sonores de leur conversation. Les journalistes à l’origine de l’article furent entendus et acceptèrent de remettre aux enquêteurs les originaux des fichiers audio de cet article, qui firent l’objet d’une transcription, mais invoquèrent le droit à la protection de leur source s’agissant des conditions dans lesquelles ils étaient entrés en possession des enregistrements. Le service central de la police technique et scientifique, saisi aux fins d’authentification et de reconnaissance des voix, conclut que les enregistrements avaient été réalisés à l’aide d’un logiciel en libre accès mais n’apporta aucun élément permettant d’identifier leur origine. Le 9 août, M. B. saisit la chambre de l’instruction d’une requête en annulation du procès-verbal de versement de ces enregistrements à la procédure. Par un arrêt du 3 mars 2020, celle-ci rejeta le moyen tiré de la nullité des enregistrements sonores litigieux aux motifs que les impératifs de loyauté et de légalité de la preuve ne s’appliquaient pas aux journalistes et que l’impossibilité de connaître l’origine des enregistrements ne faisait pas obstacle à leur recevabilité.
Par son arrêt du 1er décembre 2020, la chambre criminelle rejette à son tour le pourvoi formé par M. B., lequel soutenait que des doutes sérieux existaient quant à l’intervention d’une autorité publique dans la confection de la preuve et qu’en s’abstenant de les prendre en compte, la chambre de l’instruction avait violé les articles 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, préliminaire et 593 du Code de procédure pénale et le principe de loyauté (dont on notera qu’il n’est pas expressément consacré dans la loi, notamment en tant que principe directeur du procès pénal, V. l’art. prélim. C. pr. pén.). Selon le moyen, l’enregistrement clandestin remis par un tiers dont ni le mode de captation ni l’auteur ne sont connus devait être déclaré irrégulier devant l’impossibilité d’apprécier sa légalité et sa conformité au principe de loyauté.
En matière de preuve pénale, les autorités publiques, à la différence des parties privées (Crim. 15 juin 1993, n° 92-82.509; pour un rappel de cette solution, V. par ex. Crim. 27 janv. 2010, n° 09-83.395), sont tenues à une obligation de loyauté dans la recherche de la preuve, qui les empêche de recourir à la ruse ou à des stratagèmes de nature à éluder les règles de procédure ou à compromettre les droits de la défense (V. par ex., pour l’interpellation d’une personne procédant d’une machination de nature à déterminer ses agissements frauduleux, Crim. 27 févr. 1996, n° 95-81.366 ; pour des enregistrements policiers clandestins, Crim. 16 déc. 1997, n° 96-85.589 ; pour la sonorisation de cellules de garde à vue, Crim. 7 janv. 2014, n° 13-85.246 ; Cass., ass. plén., 6 mars 2015, n° 14-84.339 ; pour l’enregistrement de conversations téléphoniques entre l’auteur présumé d’un chantage et un OPJ s’étant fait passer pour la victime supposée, Crim. 11 juill. 2017, n° 17-80.313 ; contra, dans la même affaire, Cass., ass. plén., 9 déc. 2019, n° 18-86.767).
Ainsi, l’appréciation de la recevabilité de la preuve pénale dépend en principe de la qualité de celui qui l’apporte. Et l’on peut retenir de la jurisprudence française que dès qu’il y a participation de l’autorité publique, au sens d’un acte positif et non d’un simple laisser faire (Cass., ass. plén., 10 nov. 2017, n° 17-82.028), il y a soumission au principe de loyauté.
Mais quid en cas d’impossibilité de déterminer l’origine de la preuve ? C’est à cette question que le présent arrêt répond. La chambre criminelle y rappelle bien que pèse sur l’autorité publique seule une obligation de légalité et de loyauté dans le recueil de la preuve. Mais elle estime dans le même temps que si « la circonstance que les enregistrements ont été remis aux enquêteurs par des journalistes ne saurait en elle-même conduire à exclure que l’autorité publique (…) ait concouru à la réalisation de ces enregistrements, l’arrêt n’encourt pas pour autant la censure », dès lors que des investigations complètes ont été menées pour en identifier l’origine et que « le versement au dossier d’éléments de preuve ne saurait être déclaré irrégulier au seul motif que les conditions de leur recueil sont restées incertaines ». L’incertitude quant à l’origine de la preuve – et la qualité de la personne qui l’apporte – ne ferait donc pas obstacle à sa recevabilité.
Certes il résulte de l’article 427 du Code de procédure pénale que, sauf exception prévue par la loi, les infractions peuvent être établies par tout mode de preuve et que les juges répressifs décident d’après leur intime conviction, après avoir soumis les éléments de preuve au débat contradictoire. Cela signifie que le juge pénal appréciera la force probante de ces enregistrements qui seront versés aux débats et discutés devant lui. En ce sens, l’impossibilité de connaître l’origine des enregistrements affecterait le contrôle de leur valeur probante et non de leur régularité.
Néanmoins, il peut paraître regrettable que la chambre criminelle fasse ainsi prévaloir l’impératif de recherche de la preuve des infractions sur les garanties du procès équitable. En particulier il découle du principe de la présomption d’innocence qu’en cas de doute, celui-ci doit profiter à la défense. Or les juridictions ont ici opté, devant l’incertitude quant au recueil de la preuve et au choix de la règle applicable, pour la solution la moins favorable à cette dernière. Pour autant, on rappellera que, sur le terrain du droit à un procès équitable, la Cour européenne considère que la Convention n’exclut pas par principe et in abstracto la recevabilité d’une preuve obtenue de façon illégale (CEDH 12 juill. 1988, Schenk c/ Suisse, n° 10862/84 ), le droit à un procès équitable imposant « seulement » que les éléments de preuve soient produits devant l’accusé en audience publique, en vue d’un débat contradictoire (CEDH 6 déc. 1988, Barbara, Messegué et Jabardo c/ Espagne, n° 10590/83).
Ici les enregistrements ont été remis aux enquêteurs par des journalistes qui se sont prévalus du secret de leurs sources pour ne pas en révéler l’origine. Les investigations destinées à élucider cette dernière se sont donc heurtées au secret des sources journalistiques dont la protection constitue « l’une des pierres angulaires de la liberté de la presse » sans laquelle les informateurs pourraient être dissuadés d’aider la presse à informer le public sur des questions d’intérêt général (CEDH 27 mars 1996, Goodwyn c/ Royaume-Uni, n° 17488/90). La Cour européenne a eu l’occasion de préciser que « le droit des journalistes de taire leurs sources ne saurait être considéré comme un simple privilège qui leur serait accordé ou retiré en fonction de la licéité ou de l’illicéité des sources, mais un véritable attribut du droit à l’information, à traiter avec la plus grande circonspection » (CEDH 28 juin 2012, Ressiot et a. c/ France, nos 15054/07 et 15066/07, § 124), seul un impératif prépondérant d'intérêt public étant susceptible de justifier une ingérence dans la confidentialité des sources journalistiques (CEDH, gr ch., 14 sept. 2010, Sanoma Uitgevers B.V. c/ Pays-Bas, no 38224/03, § 51). L’article 2 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse prévoit lui-même qu’« il ne peut être porté atteinte directement ou indirectement au secret des sources que si un impératif prépondérant d’intérêt public le justifie et si les mesures envisagées sont strictement nécessaires et proportionnées au but légitime poursuivi » et que « cette atteinte ne peut en aucun cas consister en une obligation pour le journaliste de révéler ses sources ».
L’incertitude de remonter aux origines des enregistrements confinait donc, en réalité, à l’impossibilité. Reste que la conséquence qu’en a tirée la chambre criminelle aurait pu être tout autre …
Références
■ Crim. 15 juin 1993, n° 92-82.509 P: D. 1994. 613, note C. Mascala
■ Crim. 27 janv. 2010, n° 09-83.395 P: D. actu., 17 mars 2010, obs. C. Gayet ; D. 2010. 656 ; AJ pénal 2010. 280, étude J. Lasserre Capdeville ; Rev. sociétés 2010. 241, note B. Bouloc ; RTD com. 2010. 617, obs. B. Bouloc
■ Crim. 27 févr. 1996, n° 95-81.366 P : D. 1996. 346, note C. Guéry
■ Crim. 16 déc. 1997, n° 96-85.589 P : D. 1998. 354, note J. Pradel ; RSC 1999. 588, obs. J.-P. Delmas Saint-Hilaire
■ Crim. 7 janv. 2014, n° 13-85.246 : D. actu. 27 janv. 2014, note S. Fucini : D. 2014. 407, note E. Vergès ; ibid. 264, entretien S. Detraz ; ibid. 1736, obs. J. Pradel ; AJ pénal 2014. 194, obs. H. Vlamynck ; RSC 2014. 130, obs. J. Danet
■ Cass., ass. plén., 6 mars 2015, n° 14-84.339 P : D. actu. 10 mars 2015, obs. S. Fucini ; D. 2015. 711, note J. Pradel ; AJ pénal 2015. 362, note C. Girault ; RSC 2015. 117, note P.-J. Delage ; ibid. 971, obs. J.-F. Renucci
■ Crim. 11 juill. 2017, n° 17-80.313 P : D. actu. 25 juill. 2017, obs. W. Azoulay; D. 2018. Pan. 196, note Barbier ; AJ pénal 2017. 436, note J.-B. Perrier
■ Cass. ass. plén., 9 déc. 2019, n° 18-86.767 P : D. actu. 16 juin 2020, obs. H. Diaz ; D. 2019. 2413, et les obs. ; AJ pénal 2020. 88, obs. C. Ambroise-Castérot ; RSC 2020. 103, obs. P.-J. Delage ; JCP 2020. 129, note H. Matsopoulou
■ Cass., ass. plén., 10 nov. 2017, n° 17-82.028 P: DAE 27 nov. 2017; D. actu. 17 nov. 2017, obs. W. Azoulay ; D. 2018. 103, et les obs., note O. Décima ; ibid. 196, chron. B. Laurent, G. Barbier, E. Pichon, L. Ascensi et G. Guého ; ibid. 1611, obs. J. Pradel ; AJ pénal 2018. 100, obs. C. Kurek ; RSC 2018. 117, obs. P.-J. Delage ; Dr. pénal 2018, n° 37, obs. A. Maron et M. Haas.
■ CEDH 12 juill. 1988, Schenk c/ Suisse, n° 10862/84 : RSC 1988, p. 840, obs. Pettiti et Teitgen
■ CEDH 6 déc. 1988, Barbara, Messegué et Jabardo c/ Espagne, n° 10590/83
■ CEDH 27 mars 1996, Goodwyn c/ Royaume-Uni, n° 17488/90: AJDA 1996. 1005, chron. J.-F. Flauss ; D. 1997. 211, obs. N. Fricero ; RTD civ. 1996. 1026, obs. J.-P. Marguénaud
■ CEDH 28 juin 2012, Ressiot et a. c/ France, nos 15054/07 et 15066/07, § 124 : D. actu. 13 juill. 2012 , obs. S. Lavric ; AJDA 2012. 1726, chron. L. Burgorgue-Larsen ; D. 2012. 2282, note E. Dreyer ; Constitutions 2012. 645, obs. D. de Bellescize ; RSC 2012. 603, obs. J. Francillon
■ CEDH, gr ch., 14 sept. 2010, Sanoma Uitgevers B.V. c/ Pays-Bas, no 38224/03, § 51: D. actu. 12 oct. 2010, obs. S. Lavric ; RSC 2011. 223, obs. J.-P. Marguénaud.
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