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Procédure pénale
Affaire de l’ourse Cannelle : état de nécessité et constitution de partie civile
Mots-clefs : Association, État de nécessité, Constitution de partie civile, Conditions
L'appel, sur intérêts civils, d'une décision de relaxe oblige la cour d'appel, d'une part, à apprécier les faits aux fins de déterminer si l'infraction était ou non constituée et, d'autre part, à statuer sur la responsabilité civile de leur auteur.
Par l’arrêt du 1er juin 2010, la chambre criminelle, statuant sur l’affaire de l'ourse Cannelle, abattue par un chasseur le 1er novembre 2004, revient sur les conditions du fait justificatif de l’état de nécessité et celles de la constitution de partie civile des associations.
En l’espèce, René M., chasseur pyrénéen expérimenté et ancien président d'une association de chasse, était poursuivi pour destruction d'un animal appartenant à une espèce protégée (art. L. 415-3 C. envir.). Devant le tribunal correctionnel, il invoqua l’existence d’un fait justificatif, l’état de nécessité, prévu à l'article 122-7 du Code pénal. Il fut effectivement relaxé mais les parties civiles — toutes des associations — interjetèrent appel de ce jugement. Statuant sur les seuls intérêts civils, la cour d’appel apprécia de nouveau les faits et décida d'écarter le fait justificatif, en retenant que le prévenu avait contribué, par son comportement fautif antérieur, à la réalisation du danger (averti de la présence de l’ourse par les tirs en l’air d’un autre chasseur, il s’était rendu sur les lieux, avait croisé l’animal une première fois puis, sortant de sa cachette, avait tiré mortellement sur l’animal, sans attendre l’arrivée des autres membres du groupe, venus à son secours).
Dans son pourvoi, celui-ci prétendait que sa relaxe, prononcée en première instance, empêchait de retenir à son égard, en cause d’appel, une quelconque faute. Rejetant cet argument, la Cour de cassation rappelle d’abord que l'autorité de la chose jugée, à l’égard des parties civiles appelantes, ne s’attache à aucune des dispositions tant pénales que civiles du jugement déféré et que, si les juges d'appel ne peuvent prononcer aucune peine, ils sont tenus de rechercher si les faits poursuivis sont constitutifs d'une infraction engageant la responsabilité civile de son auteur (v. déjà, la jurisprudence rendue sur le fondement des art. 509 et 515 C. pr. pén., not. Crim. 27 mai 1999 ; 18 janv. 2005 ; 22 nov. 2005).
La Cour se prononce ensuite sur les conditions de l'état de nécessité : elle juge que le fait de se placer soi-même en situation de danger est un comportement fautif antérieur excluant le fait justificatif, quand bien même le danger était actuel et l'acte de sauvegarde nécessaire. Ce faisant, elle revient sur la notion d'imprévisibilité du danger, dont on avait pu penser qu’il avait disparu des conditions de recevabilité de l’état de nécessité. Les auteurs ont, en effet, souvent objecté que l'état de nécessité devait être apprécié en lui-même, au moment où il se manifeste et non d'après la conduite antérieure de l'agent, une autre solution risquant d'aboutir à sanctionner lourdement ce qui relèverait en définitive d'une simple imprudence. Or, il n'en est rien, comme le démontre l'arrêt commenté.
La Cour de cassation fait partiellement droit au pourvoi sur la question de la recevabilité de la constitution de partie civile d’une des associations (One voice). Elle casse au visa des articles L. 141-1 et L. 141-2 du Code de l'environnement, en estimant que « le délit d’atteinte à la conservation d’espèces animales non domestique par destruction, qui constitue une infraction aux dispositions législatives relatives à la protection de la nature et de l’environnement, n’entre pas dans les prévisions de l’article 2-13 du code de procédure pénale » (sur l’interprétation stricte de l’art. 2-13 C. pr. pén., v. déjà, Crim. 24 oct. 2000 ; 22 mai 2007). Autrement dit, l’association devait, pour pouvoir se constituer partie civile dans cette affaire, remplir les conditions spécifiques posées par les textes du Code de l’environnement (exercer à titre principal des activités en faveur de l'environnement et détenir un agrément).
Crim. 1er juin 2010, n° 09-87.159, F-P+F
Références
■ État de nécessité
« Cause d’irresponsabilité pénale par justification, bénéficiant à la personne qui, face à un danger actuel ou imminent qui menace elle-même, autrui ou un bien, accomplit un acte nécessaire à la sauvegarde de la personne ou du bien, sauf s’il y a disproportion entre les moyens employés et la gravité de la menace. »
■ Partie civile
« Nom donné à la victime d’une infraction lorsqu’elle exerce les droits qui lui sont reconnus en cette qualité devant les juridictions répressives (mise en mouvement de l’action publique, action civile en réparation). »
■ Plainte avec constitution de partie civile
« Acte par lequel la partie lésée par un crime ou un délit met l’action publique en mouvement devant le juge d’instruction et, le cas échéant, exerce l’action civile. La plainte initiale déposée entre les mains du juge d’instruction oblige celui-ci, sauf si la poursuite s’avère impossible, à ouvrir une information.
La recevabilité de cette constitution, s’agissant de la plupart des délits, n’est dorénavant possible que si la personne justifie, soit que le procureur de la République lui a fait connaître, à la suite d’une plainte déposée devant lui ou un service de police judiciaire, qu’il n’engagera pas lui-même les poursuites, soit qu’un délai de 3 mois s’est écoulé depuis le dépôt de la plainte, délai courant à compter du récépissé de dépôt ou de la lettre recommandée avec avis de réception de l’envoi de la plainte ou de la copie au magistrat de la plainte déposée auprès de la police. »
Source : Lexique des termes juridiques 2011, 18e éd., Dalloz, 2010
■ Code de l’environnement
Article L. 141-1
« Lorsqu'elles exercent leurs activités depuis au moins trois ans, les associations régulièrement déclarées et exerçant leurs activités statutaires dans le domaine de la protection de la nature et de la gestion de la faune sauvage, de l'amélioration du cadre de vie, de la protection de l'eau, de l'air, des sols, des sites et paysages, de l'urbanisme, ou ayant pour objet la lutte contre les pollutions et les nuisances et, d'une manière générale, œuvrant principalement pour la protection de l'environnement, peuvent faire l'objet d'un agrément motivé de l'autorité administrative.
La Fédération nationale des chasseurs et les fédérations départementales des chasseurs sont éligibles à l'agrément mentionné au premier alinéa.
Dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, la procédure d'agrément est applicable aux associations inscrites depuis trois ans au moins.
Ces associations sont dites "associations agréées de protection de l'environnement".
Cet agrément est attribué dans des conditions prévues par décret en Conseil d'Etat. Il peut être retiré lorsque l'association ne satisfait plus aux conditions qui ont conduit à le délivrer.
Les associations exerçant leurs activités dans les domaines mentionnés au premier alinéa ci-dessus et agréées antérieurement au 3 février 1995 sont réputées agréées en application du présent article.
Les décisions prises en application du présent article sont soumises à un contentieux de pleine juridiction. »
Article L. 141-2
« Les associations de protection de l'environnement agréées au titre de l'article L. 141-1 ainsi que les associations mentionnées à l'article L. 433-2 sont appelées, dans le cadre des lois et règlements en vigueur, à participer à l'action des organismes publics concernant l'environnement. »
Article L. 415-3
« Est puni de six mois d'emprisonnement et de 9 000 euros d'amende :
1° Le fait, en violation des interdictions prévues par les dispositions de l'article L. 411-1et par les règlements pris en application de l'article L. 411-2 :
a) De porter atteinte à la conservation d'espèces animales non domestiques, à l'exception des perturbations intentionnelles ;
b) De porter atteinte à la conservation d'espèces végétales non cultivées ;
c) De détruire des sites contenant des fossiles permettant d'étudier l'histoire du monde vivant ainsi que les premières activités humaines, de détruire ou d'enlever des fossiles présents sur ces sites ;
2° Le fait d'introduire volontairement dans le milieu naturel, de transporter, colporter, utiliser, mettre en vente, vendre ou acheter un spécimen d'une espèce animale ou végétale en violation des dispositions de l'article L. 411-3ou des règlements pris pour son application ;
3° Le fait de produire, détenir, céder, utiliser, transporter, introduire, importer, exporter ou réexporter tout ou partie d'animaux ou de végétaux en violation des dispositions de l'article L. 412-1 ou des règlements pris pour son application ;
4° Le fait d'être responsable soit d'un établissement d'élevage, de vente, de location ou de transit d'animaux d'espèces non domestiques, soit d'un établissement destiné à la présentation au public de spécimens vivants de la faune, sans être titulaire du certificat de capacité prévu à l'article L. 413-2 ;
5° Le fait d'ouvrir ou d'exploiter un tel établissement en violation des dispositions de l'article L. 413-3ou des règlements pris pour son application.
L'amende est doublée lorsque les infractions visées aux 1° et 2° sont commises dans le cœur d'un parc national ou dans une réserve naturelle. »
■ Article 122-7 du Code pénal
« N'est pas pénalement responsable la personne qui, face à un danger actuel ou imminent qui menace elle-même, autrui ou un bien, accomplit un acte nécessaire à la sauvegarde de la personne ou du bien, sauf s'il y a disproportion entre les moyens employés et la gravité de la menace. »
■ Code de procédure pénale
Article 2-13
« Toute association régulièrement déclarée depuis au moins cinq ans à la date des faits et dont l'objet statutaire est la défense et la protection des animaux peut exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne les infractions réprimant les sévices graves ou actes de cruauté et les mauvais traitements envers les animaux ainsi que les atteintes volontaires à la vie d'un animal prévus par le code pénal. »
Article 509
« L'affaire est dévolue à la cour d'appel dans la limite fixée par l'acte d'appel et par la qualité de l'appelant ainsi qu'il est dit à l'article 515.
L'appel de l'assureur produit effet à l'égard de l'assuré en ce qui concerne l'action civile. Il est, dans un délai de trois jours, notifié à l'assuré par lettre recommandée avec demande d'avis de réception adressée par l'assureur. »
Article 515
« La cour peut, sur l'appel du ministère public, soit confirmer le jugement, soit l'infirmer en tout ou en partie dans un sens favorable ou défavorable au prévenu.
La cour ne peut, sur le seul appel du prévenu, du civilement responsable, de la partie civile ou de l'assureur de l'une de ces personnes, aggraver le sort de l'appelant.
La partie civile ne peut, en cause d'appel, former aucune demande nouvelle ; toutefois elle peut demander une augmentation des dommages-intérêts pour le préjudice souffert depuis la décision de première instance. »
■ Crim. 27 mai 1999, Bull. crim. n° 109 ; Dr. pénal 2000. Chron. 10, obs. Marsat.
■ Crim. 18 janv. 2005, Bull. crim. n° 18 ; D. 2005. IR. 664 ; JCP 2005. IV. 1560 ; AJ pénal 2005. 201, obs. Leblois-Happe.
■ Crim. 22 nov. 2005, Bull. crim. n° 302 ; D. 2006. IR. 176 ; JCP 2005. IV. 3733.
■ Rép. Pén. Dalloz, V° « État de nécessité », par M. Danti Juan, n°s 34 s.
■ T. Potaszkin, « Affaire de l'ourse Cannelle : action civile et état de nécessité », D. 2010. Jur. 484.
■ Crim. 24 oct. 2000, no 99-87.682, Dalloz jurisprudence.
■ Crim. 22 mai 2007, Bull. crim. no 133 ; AJ pénal 2007. 333 ; Dr. pénal 2007. Comm. 113, obs. Véron.
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