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[ 25 novembre 2010 ] Imprimer

Procédure pénale

Affaire des « biens mal acquis » : recevabilité de la constitution de partie civile de l'association Transparence International France

Mots-clefs : Partie civile (constitution, recevabilité, préjudice direct et personnel), Association (statut, intérêts défendus, préjudice), Corruption (infractions voisines), Recel (biens illicites), Chefs d’État étrangers

La chambre criminelle juge recevable la constitution de partie civile de l'association Transparence International France, dans l'affaire dite des « biens mal acquis », en retenant que les délits poursuivis — détournement de fonds publics, abus de biens sociaux, blanchiment, abus de confiance et recel — seraient de nature à causer à l'association un préjudice direct et personnel en raison de la spécificité de sa mission.

Par la décision du 9 novembre 2010, la Cour de cassation permet l'ouverture d'une information judiciaire dans l'affaire dite des « biens mal acquis ». Ce faisant, elle conforte l’ordonnance rendue par le juge d'instruction le 5 mai 2009, infirmée par la cour d'appel de Paris, saisie par l'appel du parquet, le 29 octobre suivant.

Saisie par l'association Transparence International France (ONG anticorruption entendant dénoncer la détention, en France, par trois chefs d’États étrangers et des membres de leur entourage, de biens provenant de diverses infractions constitutives de détournement de fonds publics, abus de biens sociauxblanchimentcomplicité de ces délits, abus de confiance et recel), la chambre criminelle se prononce au visa des articles 23 et 85 du Code de procédure pénale. En attendu, celle-ci rappelle que, « pour qu'une constitution de partie civile soit recevable devant la juridiction d'instruction, il suffit que les circonstances sur lesquelles elle s'appuie permettent au juge d'admettre comme possible l'existence du préjudice allégué et la relation directe de celui-ci avec une infraction à la loi pénale ». Elle estime alors qu'« en prononçant ainsi, par des motifs pour partie inopérants tenant à la définition large de la corruption que la partie civile entend, selon ses statuts, prévenir et combattre, alors qu'à les supposer établis les délits poursuivis, spécialement le recel et le blanchiment en France de biens financés par des détournements de fonds publics, eux-mêmes favorisés par des pratiques de corruption mais distincts de cette infraction, seraient de nature à causer à l'association Transparence International France un préjudice direct et personnel en raison de la spécificité du but et de l'objet de sa mission, la chambre de l'instruction a méconnu le sens et la portée du principe ci-dessus rappelé ». La cassation a lieu sans renvoi et la constitution de partie civile est déclarée recevable en l'état.

La décision commentée s'inscrit dans la lignée d’une jurisprudence fondée sur l’article 2 du Code qui admet, depuis quelques années, la recevabilité des constitutions de partie civile d'associations non privilégiées (ne bénéficiant pas des dispositions spéciales des art. 2-1 à 2-21 C. pr. pén.), dès lors que l'infraction dénoncée porte atteinte aux intérêts collectifs que celles-ci ont statutairement pour mission de défendre (v., pour la recevabilité de l’action d’une association de lutte contre le tabagisme s’agissant de publicité clandestine en faveur du tabac, Crim. 7 févr. 1984 29 avr. 1986 ; v. égal. pour la reconnaissance de la recevabilité à agir d'une association de déportés, Crim. 14 janv. 1971). D'un point de vue plus « politique », elle permettra à la justice de se saisir de la question des avoirs illicites et peut-être, in fine, de favoriser leur restitution, en application de la convention des Nations-Unies contre la corruption du 12 décembre 1996, ratifiée par la France en 2005.

Crim. 9 nov. 2010, F-D, n° 09-88.272

Références

■ Abus de biens sociaux

« Délit dont se rendent coupables les dirigeants de sociétés par actions ou de SARL, qui, de mauvaise foi, font des biens ou du crédit de la société un usage qu’ils savent contraire à l’intérêt de celle-ci, à des fins personnelles ou pour favoriser une autre société ou entreprise dans laquelle ils sont intéressés directement ou indirectement. »

■ Abus de confiance

« Fait par une personne de détourner, au préjudice d’autrui, des fonds, des valeurs, ou un bien quelconque qui lui ont été remis et qu’elle a acceptés à charge de les rendre, de les représenter ou d’en faire un usage déterminé. »

 

■ Blanchiment de capitaux illicites

« Fait de faciliter, par tout moyen, la justification mensongère de l’origine des biens ou des revenus de l’auteur d’un crime ou d’un délit ayant procuré à celui-ci un profit direct ou indirect, ainsi que d’apporter un concours à une opération de placement, de dissimulation ou de conversion du produit de l’une de ces infractions. »

■ Complicité

« Situation de celui qui, par aide ou assistance, facilite la préparation ou la consommation d’une infraction, sans en réaliser lui-même les éléments constitutifs, ou encore provoque à une infraction ou donne des instructions pour la commettre.

Depuis la réforme du Code pénal, le complice de l’infraction est puni comme auteur. »

 Détournement de fonds ou d’objets

« Atteinte aux droits d’autrui sur une chose ou sur des fonds, au besoin par une appropriation, en abusant de la confiance donnée par autrui. Par exemple, détournement d’objets donnés en gage ou de fonds publics dont on est le dépositaire. »

■ Partie civile

« Nom donné à la victime d’une infraction lorsqu’elle exerce les droits qui lui sont reconnus en cette qualité devant les juridictions répressives (mise en mouvement de l’action publique, action civile en réparation). »

■ Recel

« Crime ou délit consistant à dissimuler, détenir, transmettre directement ou indirectement une chose en sachant qu’elle provient d’un crime ou d’un délit, à bénéficier en connaissance de cause du produit d’un crime ou d’un délit ou encore à soustraire à la justice des personnes responsables d’infraction ou le cadavre de la victime d’un homicide ou décédée à la suite de violences. »

Lexique des termes juridiques 2011, 18e éd., Dalloz, 2010.

■ Paris, 29 oct. 2010, D. 2009. Édito. 1265, par F. Rome ; ibid. 2009. Entretien 1520, par G. Roujou de Boubée ; JCP G 2009, n° 22, Act. 277, obs. C. Cutajar. 

■ Crim. 7 févr. 1984, Bull. crim. no 41

 Crim. 29 avr. 1986, Bull. crim. n° 146.

■ Crim. 14 janv. 1971, Bull. crim no 14. 

■ Code de procédure pénale

Article 

« L'action civile en réparation du dommage causé par un crime, un délit ou une contravention appartient à tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l'infraction. 

La renonciation à l'action civile ne peut arrêter, ni suspendre l'exercice de l'action publique, sous réserve des cas visés à l'alinéa 3 de l'article 6. »

Article 3

« L'action civile peut être exercée en même temps que l'action publique et devant la même juridiction. 

Elle sera recevable pour tous chefs de dommages, aussi bien matériels que corporels ou moraux, qui découleront des faits objets de la poursuite. » 

Article 85

« Toute personne qui se prétend lésée par un crime ou un délit peut en portant plainte se constituer partie civile devant le pôle de l'instruction compétent en application des dispositions des articles 52, 52-1 et 706-42. 

Toutefois, la plainte avec constitution de partie civile n'est recevable qu'à condition que la personne justifie soit que le procureur de la République lui a fait connaître, à la suite d'une plainte déposée devant lui ou un service de police judiciaire, qu'il n'engagera pas lui-même des poursuites, soit qu'un délai de trois mois s'est écoulé depuis qu'elle a déposé plainte devant ce magistrat, contre récépissé ou par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, ou depuis qu'elle a adressé, selon les mêmes modalités, copie à ce magistrat de sa plainte déposée devant un service de police judiciaire. Cette condition de recevabilité n'est pas requise s'il s'agit d'un crime ou s'il s'agit d'un délit prévu par la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ou par les articles L. 86, L. 87, L. 91 à L. 100, L. 102 à L. 104, L. 106 à L. 108 et L. 113 du code électoral. La prescription de l'action publique est suspendue, au profit de la victime, du dépôt de la plainte jusqu'à la réponse du procureur de la République ou, au plus tard, une fois écoulé le délai de trois mois. » 

 

Auteur :S. L.


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