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[ 11 décembre 2018 ] Imprimer

Droit des obligations

Affaire du tableau d’amortissement : un nouvel épisode, sans rebondissements…

Le refus d’appliquer rétroactivement la loi de validation du 12 avril 1996 ne concerne que les instances introduites avant l’entrée en vigueur de la loi nouvelle.

Dans la fameuse affaire dite « du tableau d’amortissement », la Cour de cassation est à nouveau confrontée au problème de la conformité à la Convention européenne des droits de l’homme de l’article 87, I de la loi du 12 avril 1996.

Elle écarte le grief tiré de la contrariété au droit à un procès équitable garanti par l’article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l’homme en s’appuyant sur la postériorité de la date d’introduction de l’instance à l’entrée en vigueur de la loi précitée, et en affirmant à titre de principe « qu'une validation législative influant sur un litige futur dont les juridictions ne sont pas encore saisies à la date de l'adoption de la loi n'est pas susceptible d'être critiquée au regard de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ». 

Cette saga bancaire comprend plusieurs volets, illustrant à merveille la fécondité et l’efficacité du dialogue parfois entretenu par les sources du droit, qu’il convient de retracer pour cette raison autant que pour comprendre la solution ici retenue (Sur l’ensemble de cette affaire, V. A. Marais, Introduction au droit, Vuibert, n° 217, p. 191).

Une loi prévoyait, en matière de crédit, que l’offre de prêt devait notamment comporter, sous peine de déchéance du droit aux intérêts, l’échéancier des amortissements (C. consom., anc. art. L. 312-8), sans préciser s’il fallait décomposer le montant de chaque échéance entre le capital et les intérêts. Pendant une quinzaine d’années, les banques ignorèrent cette répartition dans leur offre de crédit à taux variable. 

Par deux arrêts rendus en 1994 (Civ. 1re, 16 mars 1994, n° 92-12.239; Civ. 1re, 20 juill. 1994, n° 92-19.187), la première chambre civile de la Cour de cassation interpréta la loi comme faisant obligation au prêteur de détailler, pour chaque échéance, la répartition du remboursement entre le capital et les intérêts. Les banquiers qui n’avaient pas respecté cette exigence étaient déchus de leur droit à intérêt. La loi du 12 avril 1996, qui fit sienne l’interprétation jurisprudentielle de 1994, valida néanmoins la pratique antérieure des banquiers, conforme à celle du banquier mis en cause dans la décision rapportée.

Le Conseil constitutionnel estima le 9 avril 1996 (n° 96-375 DC) que cette loi répondait à un « but d’intérêt général » sans vérifier qu’il fût « suffisant » ou « impérieux ».

La Cour de cassation jugea, dans un arrêt du 29 avril 2003 (n° 00-20.062), que « répond à d’impérieux motifs d’intérêt général la législation qui tend à aménager les effets d’une jurisprudence de nature à compromettre la pérennité des activités bancaires dans le domaine du crédit immobilier ».

Cette solution fut remise en cause par la Cour européenne des droits de l’homme, qui condamna la France par quatre arrêts rendus en février, avril et mai 2006 (CEDH 14 févr. 2006, Lecarpentier c/ France, n° 67847/01 ; CEDH 11 avr. 2006, Cabourdin c/ France, n° 60796/00 ; CEDH 18 avr. 2006, Vezon c/ France, n° 66018/01 ; CEDH 2 mai 2006, Saint-Adam et Millot c/ France, n° 72038/01). Selon la Cour, le motif financier poursuivi dans cette affaire est insuffisant à constituer un motif impérieux d’intérêt général et, partant, à justifier la rétroactivité de la loi en cause.

En conséquence, par un arrêt du 30 septembre 2010, la première chambre civile de la Cour de cassation a limité l’application rétroactive de cette loi aux instances introduites après son entrée en vigueur.

Dans l’affaire rapportée, la date d’introduction de l’instance étant bien postérieure à l’entrée en vigueur de ladite loi, l'application rétroactive de celle-ci au prêt litigieux par la cour d’appel n'avait pu porter atteinte au droit à un procès équitable au sens de l'article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l’homme, ce qui explique le rejet du pourvoi. 

Civ. 1re, 14 nov. 2018, n° 17-14.317

Références

Fiche d’orientation Dalloz : Application de la loi dans le temps

■ Civ. 1re, 16 mars 1994, n° 92-12.239 P : RDI 1995. 364, obs. H. Heugas-Darraspen et F. Schaufelberger.

■ Civ. 1re, 20 juill. 1994, n° 92-19.187 P : D. 1995. 314, obs. J.-P. Pizzio ; RDI 1995. 364, obs. H. Heugas-Darraspen et F. Schaufelberger ; RTD civ. 1995. 881, obs. J. Mestre.

■ Cons. const. 9 avr. 1996, n° 96-375 DC : AJDA 1996. 369, note O. Schrameck ; D. 1998. 150, obs. P. Gaïa.

■ Civ. 1re, 29 avr. 2003, n° 00-20.062 P : D. 2003. 1435, obs. V. Avena-Robardet ; RTD com. 2003. 554, obs. D. Legeais.

■ CEDH 14 févr. 2006, Lecarpentier c/ France, n° 67847/01 : D. 2006. 717, obs. C. Rondey ; RDI 2006. 458, obs. H. Heugas-Darraspen ; RTD civ. 2006. 261, obs. J.-P. Marguénaud ; RTD com. 2006. 462, obs. D. Legeais.

■ CEDH 11 avr. 2006, Cabourdin c/ France, n° 60796/00.

■ CEDH 18 avr. 2006, Vezon c/ France, n° 66018/01.

■ CEDH 2 mai 2006, Saint-Adam et Millot c/ France, n° 72038/01.

■ Civ. 1re, 30 sept. 2010, n° 09-67.930 P : D. 2010. 2358, obs. V. Avena-Robardet ; ibid. 2011. 1643, obs. D. R. Martin et H. Synvet ; RTD com. 2010. 767, obs. D. Legeais.

 

Auteur :Merryl Hervieu

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