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[ 4 décembre 2018 ] Imprimer

Procédure pénale

Affaire Grégory : une garde à vue jugée inconstitutionnelle, 34 ans après

Le Conseil constitutionnel a jugé inconstitutionnelles les dispositions de l’ordonnance de 1945 qui se sont appliquées, en 1984, à la garde à vue de Muriel Bolle et abrogées depuis.

Le 16 octobre 1984, le corps de Grégory Villemin, alors âgé de quatre ans, était retrouvé, pieds et poings liés, dans la Vologne, une rivière des Vosges. Une information judiciaire pour assassinat était ouverte et, dans ce cadre, Muriel Bolle, âgée de quinze ans, était entendue puis placée en garde à vue du 2 au 3 novembre 1984. Elle révélait alors aux enquêteurs que son beau-frère, Bernard Laroche, cousin germain du père de la victime, se trouvait à l’origine de l’enlèvement du petit garçon. Ces éléments conduisaient le juge d’instruction à inculper Bernard Laroche et à le placer en détention. Remis en liberté en février 1985, celui-ci était abattu peu de temps après par le père de la victime. L’instruction, qui s’achevait à l’époque par un non-lieu, faute d’éléments permettant la mise en accusation de la mère de l’enfant, Christine Villemin, rebondit en 2017, avec la mise en examen de Muriel Bolle pour enlèvement de mineurs de quinze ans suivi de mort. L’intéressée contesta alors cette mesure devant la chambre de l’instruction (Dijon, ch. instr. 16 mai 2018, n° 2018/00140) et elle en obtint l’annulation. A cette occasion, elle souleva une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) que la chambre criminelle décida de transmettre au Conseil constitutionnel (Crim., QPC, 11 sept. 2018, n° 18-83.360). 

La question portait sur la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions qui régissaient la garde à vue des mineurs en 1984, la demanderesse prétendait qu’en s’abstenant de prévoir le droit à l’information, le droit de se taire, le droit à l’assistance d’un avocat, le droit à un examen médical et le droit à la présence d’un représentant légal, elles méconnaissaient les droits de la défense (DDH, art. 16), le droit à la présomption d’innocence (DDH, art. 9) et le principe fondamental reconnu par les lois de la République du droit pénal spécial et protecteur des mineurs.

Dans sa décision, le Conseil constitutionnel a commencé par rappeler le devoir du législateur de concilier l’impératif de recherche des auteurs d’infractions et l’exercice des libertés constitutionnellement garanties (§ 11) ainsi que la portée du principe fondamental reconnu par les lois de la République en matière de justice des mineurs (§ 12), qui inclut l'atténuation de la responsabilité pénale en fonction de l'âge, la nécessité de rechercher le relèvement éducatif et moral par des mesures adaptées à l’âge et à la personnalité, prononcées par une juridiction spécialisée ou selon des procédures appropriées. 

Il a ensuite relevé que les articles de l’ordonnance du 2 février 1945 alors applicables, qui renvoyaient aux articles 154 et 64 anciens du Code de procédure pénale, ne garantissaient qu’un droit : celui d’obtenir un examen médical, et seulement en cas de prolongation de la mesure. En outre, aucune disposition législative ne prévoyait un âge minimal pour être placé en garde à vue (§ 13). 

Le Conseil a estimé que ces dispositions, qui « permettaient que tout mineur soit placé en garde à vue pour une durée de vingt-quatre heures renouvelable avec comme seul droit celui d’obtenir un examen médical en cas de prolongation », n’assuraient pas une conciliation équilibrée et contrevenaient au principe fondamental reconnu par les lois de la République précité. Il les a donc déclarées contraires à la Constitution, sa décision prenant effet à la date de sa publication. 

Les dispositions en cause étant abrogées depuis près de 25 ans, la portée de cette déclaration d’inconstitutionnalité est faible (le commentaire disponible sur le site du Conseil constitutionnel indique qu’il y aurait peut-être une seule autre procédure en cours qui pourrait être concernée). Il appartient cependant au juge judiciaire d’en tirer les conséquences dans la procédure, toujours en cours, relative à l’assassinat du petit Grégory. 

On rappellera que c’est par une loi du 1er février 1994 que le législateur a prévu des dispositions spécifiques à la garde à vue des mineurs, qui figurent à l’article 4 de l’ordonnance de 1945, et dont certaines doivent encore être articulées avec les dispositions du code de procédure pénale applicables aux majeurs. On en retiendra que le mineur de treize ans ne peut, en principe, pas être placé en garde à vue. Une procédure de rétention, pour une durée de douze heures renouvelable une fois, est néanmoins possible à partir de l’âge de 10 ans, si la peine encourue est au moins de 5 ans d’emprisonnement et que la mesure est justifiée par l’un des motifs prévus par l’article 62-2 du Code de procédure pénale pour la garde à vue. 

Le mineur de plus de treize ans est pour sa part soumis au droit commun de la garde à vue, sous quelques réserves tenant à la durée de la mesure (ainsi, la garde à vue d’un mineur âgé de 13 à 16 ans ne peut pas être prolongée si la peine encourue est inférieure à 5 ans d’emprisonnement, et quand la prolongation est possible elle est conditionnée à la présentation préalable du mineur au procureur de la République). La garde à vue du mineur offre ainsi les garanties suivantes : l’information obligatoire d’un proche (qui peut être reportée de 24 heures, ou de 12 heures quand la garde à vue ne peut pas être prolongée, sur décision du procureur de la République), un examen médical (automatique pour le mineur de 16 ans et sur demande des parents pour les plus de 16 ans), l’assistance par un avocat dès le début de la mesure (dans les conditions du droit commun), cette demande pouvant aussi être faite par les représentants légaux (si aucun n’en désigne, le bâtonnier en est informé afin qu’il en commette un d’office), et l’enregistrement audiovisuel des interrogatoires (enregistrement audiovisuel obligatoire depuis la loi du 15 juin 2000, quel que soit leur âge). Pour compléter, on rappellera que l’article 4-1 de l’ordonnance de 1945 prévoit, depuis la loi n° 93-2 du 4 janvier 1993, que le mineur poursuivi doit être assisté d’un avocat. 

Cons. const., 16 nov. 2018, n° 2018-744 QPC

Références

■ Fiche d’orientation Dalloz : Mineur délinquant

■ Déclaration des droits de l’homme et du citoyen

Article 9

« Tout homme étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable, s'il est jugé indispensable de l'arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi. »

Article 16

« Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution. »

■ Dijon, ch. instr., 16 mai 2018, n° 2018/00140 : Dalloz actualité, 12 juin 2018, obs. M. Récotillet ; AJ pénal 2018. 368, obs. J. Lasserre Capdeville

■ Crim. 11 sept. 2018, n° 18-83.360 : D. 2018. 2141

■ Ph. Bonfils et A. Gouttenoire, Droit des mineurs, 2e éd., 2014, Dalloz, coll. Précis, nos 1502 s.  

 

Auteur :Sabrina Lavric


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