Actualité > À la une

À la une

[ 12 octobre 2010 ] Imprimer

Droit pénal spécial

Affaire Kerviel : une condamnation bien raisonnable ?

Mots-clefs : Responsabilité civile, Action civile, Principe de réparation intégral du préjudice, Art. 3 C. pr. pén., Montant de l'indemnisation

Retour sur l’indemnisation du préjudice subi par l’établissement bancaire.

4 915 610 154 euros. C’est la somme assurément la plus polémique du moment, celle attribuée à la Société Générale à titre de dommages-intérêts dans le cadre de la condamnation de son ex-trader pour abus de confiance, introduction frauduleuse de données dans un système informatique et faux et usage de faux (sur les poursuites,  v. : « Retour sur l’infraction d’abus de biens sociaux », Dalloz Actu Étudiant 11 juin 2010 et « Clôture du procès de Jérôme Kerviel : retour sur l’infraction d’abus de confiance », Dalloz Actu Étudiant 28 juin 2010).

Ce montant, parfaitement astronomique, correspond, ainsi que l’a estimé le tribunal correctionnel, au montant précis perdu par l’établissement bancaire, du fait des agissements de son ex-salarié. Nous nous situons, rappelons-le, en matière de responsabilité civile (sur le plan pénal, Jérôme Kerviel n’est condamné « qu’ » à une peine d’emprisonnement et à aucune peine d’amende), et c’est le principe de la réparation intégrale du préjudice subi qui s’applique (par application de l’article 3, alinéa 2, du Code de procédure pénale, l’action civile devant le juge pénal est recevable pour tous chefs de dommages, aussi bien matériels que corporels ou moraux, qui découlent des faits objets de la poursuite). En l’espèce, le montant des engagements pris par Jérôme Kerviel atteignait 52 milliards d’euros au jour de la découverte des faits ; devant procéder au « débouclage » de ces positions, la banque a subi une perte de 6 445 696 815,00 euros, dont elle a déduit, pour chiffrer son préjudice, le bénéfice réalisé par l’ex-trader en 2007, d’un montant de 1, 47 milliards d’euros. Le compte est bon.  

Jérôme Kerviel, bien sûr, ne sera jamais en mesure de rembourser une telle somme. D’ailleurs, la banque elle-même n’a pas tardé pour annoncer qu’elle ne comptait pas exiger de son ex-employé le paiement de l’intégralité de ces dommages-intérêts. On peut s’interroger, dans ces conditions, sur le « sens » de la réparation intégrale dans cette affaire (sur ce principe, au terme duquel doit être réparé « tout le préjudice, rien que le préjudice », v. not. S. Porchy-Simon). Comme le note maître Eolas sur son blog, « la condamnation n’est pas démesurée : elle est à la hauteur de la mesure des engagements pris ». C’est le caractère exorbitant de ces derniers qui rend complètement irréaliste et insensée la somme allouée. CQFD.

À l’instar du célèbre blogueur, il faut encore, non sans cynisme, préciser :

1- que la condamnation à une indemnité emporte intérêts au taux légal (art. 1153-1 C. civ.), ce qui ajoute 31 951 466 euros par an à la somme due, soit 85 538,26 euros par jour ;

2- que le taux de l’intérêt légal est majoré de cinq points à l’expiration d’un délai de deux mois à compter du jour où la condamnation est devenue exécutoire (art. L. 313-3 C. mon. fin.), ce qui fera passer cette dernière somme à 277 731 973 euros annuels, soit 760 909,52 euros par jour.

Jérôme Kerviel ayant interjeté appel, il faudra encore attendre pour que cette condamnation « hors du commun » devienne exécutoire…       

 

Références

Réparation intégrale  (Principe de -)

« Principe de la responsabilité civile, dit indemnitaire, en vertu duquel le dédommagement dû par le responsable doit couvrir tout le dommage et uniquement le dommage, sans qu’il en résulte ni appauvrissement, ni enrichissement de la victime. C’est pourquoi l’indemnité est calculée sur la valeur au jour du jugement, permettant ainsi de tenir compte de la variation intrinsèque du dommage, de la hausse du coût de la vie ou de la dépréciation de la monnaie survenues depuis le jour du dommage. »

Action civile

« Action en réparation d’un dommage directement causé par un crime, un délit ou une contravention. Appartenant à tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage, elle peut être exercée, au choix de la victime, soit en même temps que l’action publique devant les juridictions répressives, soit séparément de l’action publique devant les juridictions civiles.

Elle doit être distinguée de la constitution de partie civile, qui permet à la victime de mettre en mouvement l’action publique indépendamment de son droit à réparation, et donc de toute demande de ce chef. Elle se distingue également de l’action de nature civile, qui est exercée devant les tribunaux civils en réparation d’un dommage, mais en l’absence de toute infraction pénale. »

Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le jugement Kerviel et avez osé le demander, http://www.maitre-eolas.fr/

S. Porchy-Simon, Droit des obligations, 6e éd. Dalloz, coll. « Hypercours », 2010, n° 829 s.

Article 3 du Code de procédure pénale

« L'action civile peut être exercée en même temps que l'action publique et devant la même juridiction.

Elle sera recevable pour tous chefs de dommages, aussi bien matériels que corporels ou moraux, qui découleront des faits objets de la poursuite. »

Article 1153-1 du Code civil

« En toute matière, la condamnation à une indemnité emporte intérêts au taux légal même en l'absence de demande ou de disposition spéciale du jugement. Sauf disposition contraire de la loi, ces intérêts courent à compter du prononcé du jugement à moins que le juge n'en décide autrement.

En cas de confirmation pure et simple par le juge d'appel d'une décision allouant une indemnité en réparation d'un dommage, celle-ci porte de plein droit intérêt au taux légal à compter du jugement de première instance. Dans les autres cas, l'indemnité allouée en appel porte intérêt à compter de la décision d'appel. Le juge d'appel peut toujours déroger aux dispositions du présent alinéa. »

Article L. 313-3 du Code monétaire et financier

« En cas de condamnation pécuniaire par décision de justice, le taux de l'intérêt légal est majoré de cinq points à l'expiration d'un délai de deux mois à compter du jour où la décision de justice est devenue exécutoire, fût-ce par provision. Cet effet est attaché de plein droit au jugement d'adjudication sur saisie immobilière, quatre mois après son prononcé.

Toutefois, le juge de l'exécution peut, à la demande du débiteur ou du créancier, et en considération de la situation du débiteur, exonérer celui-ci de cette majoration ou en réduire le montant. »

 

 

Auteur :S. L.

Autres À la une


  • Rédaction

    Directeur de la publication-Président : Ketty de Falco

    Directrice des éditions : 
    Caroline Sordet
    N° CPPAP : 0122 W 91226

    Rédacteur en chef :
    Maëlle Harscouët de Keravel

    Rédacteur en chef adjoint :
    Elisabeth Autier

    Chefs de rubriques :

    Le Billet : 
    Elisabeth Autier

    Droit privé : 
    Sabrina Lavric, Maëlle Harscouët de Keravel, Merryl Hervieu, Caroline Lacroix, Chantal Mathieu

    Droit public :
    Christelle de Gaudemont

    Focus sur ... : 
    Marina Brillié-Champaux

    Le Saviez-vous  :
    Sylvia Fernandes

    Illustrations : utilisation de la banque d'images Getty images.

    Nous écrire :
    actu-etudiant@dalloz.fr