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Droit pénal général
Affaire Lafarge, Acte 2 : Complicité de crime contre l’humanité
L’article 121-7 du Code pénal n’exige ni que le complice de crime contre l’humanité appartienne à l’organisation, le cas échéant, coupable de ce crime, ni qu’il adhère à la conception ou à l’exécution d’un plan concerté à l’encontre d’un groupe de population civile dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique, ni encore qu’il approuve la commission des crimes de droit commun constitutifs du crime contre l’humanité. Il suffit qu’il ait connaissance de ce que les auteurs principaux commettent ou vont commettre un tel crime contre l’humanité et que par son aide ou assistance, il en facilite la préparation ou la consommation.
Crim. 7 septembre 2021, n° 19-87.367, 19-87.376 et 19-87.662
La question de savoir si la complicité doit être définie différemment du droit commun lorsqu’est en cause le crime contre l’humanité était au cœur des débats devant la chambre criminelle. La réponse apportée, au visa de l’article 121-7 du Code pénal, aux termes duquel dans son premier alinéa est complice d’un crime ou d’un délit la personne qui sciemment, par aide ou assistance, en a facilité la préparation ou la consommation, est sans équivoque. L’application du droit commun de la complicité est de rigueur. La Cour de cassation affirme ainsi que « l’article 121-7 du Code pénal ne distingue ni selon la nature de l’infraction principale, ni selon la qualité du complice, cette analyse a vocation à s’appliquer aux personnes morales comme aux personnes physiques ».
Les crimes contre l’humanité, réprimés aux articles 212-1 et suivants du Code pénal, se caractérisent par la commission de crimes de droit commun commis dans le cadre d’un plan concerté à l’encontre d’un groupe de population civile dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique. Si l’existence d’éléments matériels suffisants permettant de penser, que l’EI a commis des crimes contre l’humanité dans la zone irako-syrienne étaient constatés, la chambre de l'instruction avait cru pouvoir affirmer, pour annuler la mise en examen, que les versements d'argent par la société aux groupes terroristes ne manifestaient pas l'intention de cette dernière de s'associer aux crimes contre l'humanité perpétrés. Ledit financement n’avait été réalisé que dans but économique : la poursuite de l'activité de la cimenterie. Ce faisant, la cour d’appel exigeait chez le complice un élément moral équivalent à celui du de l’auteur du fait principal et opérait au-delà une confusion entre intention et mobile.
C’est sur cet élement que la cassation intervient. La chambre criminelle retient en effet, que « l’article 121-7 du Code pénal n’exige ni que le complice de crime contre l’humanité appartienne à l’organisation, le cas échéant, coupable de ce crime, ni qu’il adhère à la conception ou à l’exécution d’un plan concerté à l’encontre d’un groupe de population civile dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique, ni encore qu’il approuve la commission des crimes de droit commun constitutifs du crime contre l’humanité ».
Elle rappelle ainsi qu’au titre de l’élément intentionnel de la complicité, la volonté d'apporter son concours à l'entreprise d'autrui dont on connaît le caractère délictueux est suffisant. La répression du complice ne suppose pas l'existence d'un dol spécial en ce qui le concerne lorsque cet élément est exigé pour la répression de l'auteur. Dès lors, « Il suffit qu’il ait connaissance de ce que les auteurs principaux commettent ou vont commettre un tel crime contre l’humanité et que par son aide ou assistance, il en facilite la préparation ou la consommation ».
Une telle approche en matière de complicité de crimes contre l’humanité n’est pas nouvelle. Déjà, dans sa décision du 23 janvier 1997 rendue dans l'affaire Papon, la Cour de cassation avait pu retenir qu'il n'était pas nécessaire que le complice ait adhéré à la politique d'hégémonie idéologique des auteurs principaux, ni qu’il ait appartenu à l'organisation ayant commis les crimes contre l'humanité (Crim. 23 janv. 1997, n° 96-84.822).
En l’espèce, la chambre de l’instruction avait bien constaté que la société Lafarge a financé, via des filiales, les activités de l’EI à hauteur de plusieurs millions de dollars et qu’elle avait une connaissance précise des agissements de cette organisation, susceptibles d’être constitutifs de crimes contre l’humanité.
Selon la chambre criminelle, « le versement en connaissance de cause d’une somme de plusieurs millions de dollars à une organisation dont l’objet n’est que criminel suffit à caractériser la complicité par aide et assistance ».
La chambre criminelle prend le soin de souligner que la soumission au droit commun de la complicité des crimes contre l’humanité « n’a pas pour conséquence de banaliser le crime contre l’humanité lui-même ». Au-delà, elle affirme qu’ « une interprétation différente des articles 121-7 et 212-1 du Code pénal, pris ensemble, qui poserait la condition que le complice de crime contre l’humanité adhère à la conception ou à l’exécution d’un plan concerté, aurait pour conséquence de laisser de nombreux actes de complicité impunis, alors que c’est la multiplication de tels actes qui permet le crime contre l’humanité ».
On ne peut qu’approuver les juges du quai de l’horloge. La lutte contre les crimes qui touchent au plus profond du sacré de l’humanité doit aussi atteindre ceux qui au nom d’un impératif économique participent sous une forme ou une autre à la perpétration de tels actes ou en tire profit. L’enquête ouverte par le parquet national antiterroriste des chefs de « recel de crimes contre l’humanité » fin juin 2021 contre plusieurs entreprises du textile dans le cadre des persécutions à l’encontre des Ouïghours, exploités pour récolter du coton, en est un autre exemple.
En attendant, dans la présente affaire, la chambre d’instruction, autrement composée, devra à nouveau se prononcer sur la mise en examen de la société du chef de complicité de crimes contre l’humanité.
Références
■ Fiche d’orientation Dalloz : Crime contre l’humanité
■ Crim. 23 janv. 1997, n° 96-84.822 P : D. 1997. 147 , note J. Pradel ; JCP 1997. II. 22812, note Robert.
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