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Procédure pénale
Affaire Le Scouarnec : les actes du chirurgien pédophile, pour la plupart, non prescrits
Est caractérisée la circonstance aggravante d’autorité sur les mineurs victimes pour un chirurgien puisque les patients mineurs lui ont été confiés en cette qualité et se sont trouvés dans un rapport de dépendance lors de l'exécution de soins et d'actes chirurgicaux, en particulier pendant leur sommeil anesthésique. En conséquence, le délai de prescription de l'action publique n'a commencé à courir qu'à la majorité des victimes.
Crim. 21 juin 2023, n° 23-80.106 B
Le 2 mai 2017, lors d’une perquisition réalisée au sein de son domicile, des documents saisis avaient permis de soupçonner l’existence de crimes et délits sexuels commis dans les années 1990 par un chirurgien, à l’occasion de son activité, sur des victimes pour la plupart mineures. Une information était alors ouverte et ce chirurgien fut mis en examen des chefs de viols et agressions sexuelles aggravés, ces qualifications visant 312 victimes au total. Ce dernier soulevait toutefois la prescription de l’action publique concernant 85 faits, mais ni le magistrat instructeur, ni la chambre de l’instruction n’accueillaient favorablement sa requête.
C’est qu’en effet l’enjeu principal de cette affaire résidait dans la prescription ou non de l’action publique puisque se posait la question du domaine d’application de l’article 7 du Code de procédure pénale, dans sa version en vigueur du 14 juillet 1989 au 18 juin 1998. Plus précisément, la Cour de cassation devait répondre à trois questions essentielles : premièrement, celle de l’application aux faits de la circonstance aggravante d’autorité dont l’intérêt réside dans l’allongement du délai de prescription applicable ; deuxièmement, la question de l’existence d’un obstacle insurmontable à l’exercice des poursuites puisque, compte tenu du mode opératoire, les victimes étaient anesthésiées, prémédiquées ou en phase de réveil ; enfin, pour l’une des victimes seulement, se posait la question de la connexité des faits et de ses effets. Or, sur ce dernier point, la réponse apportée par la Cour de cassation peut paraître sévère, et surtout, très décevante pour les victimes.
■ Sur la circonstance aggravante d’autorité. Au moyen de son pourvoi, le chirurgien contestait la décision de la chambre de l’instruction qui a retenu à son encontre la qualité de personne ayant autorité puisque les patients mineurs lui avaient été confiés en sa qualité de chirurgien et se trouvaient dans un rapport de dépendance lors de l’exécution des soins et actes chirurgicaux, même temporairement et ponctuellement. Or pour le chirurgien, une personne ayant autorité, au sens des articles 7 et 8 du Code de procédure pénale, dans leur rédaction antérieure à la loi du 17 juin 1998, s’entend d’une personne ayant reçu délégation de tout ou partie des attributs de l’autorité parentale. Ainsi, l’abus par un médecin de l’autorité que lui confère ses fonctions ne saurait être confondu avec l’autorité qu’une personne peut avoir sur un mineur du fait du transfert partiel ou total de l’autorité parentale. D’un point de vue tant sémantique que juridique, il est vrai que la notion d’autorité revêt deux sens puisque les personnes ayant autorité sur une victime se divisent entre celles qui ont une autorité de droit (celle d’un parent sur son enfant notamment) et celles qui ont une autorité de fait (celle d’un instituteur ou d’un professeur sur son élève par exemple). Dans leur rédaction en vigueur du 14 juillet 1989 au 18 juin 1998, les articles 7 et 8 du Code de procédure pénale prévoyaient des délais de prescription de l’action publique de 10 ans pour les crimes et 6 ans pour les délits et mentionnaient en leur dernier alinéa que « Lorsque la victime est mineure et que le crime ou le délit a été commis par un ascendant légitime, naturel ou adoptif ou par une personne ayant autorité sur elle, le délai de prescription ne commence à courir qu'à partir de sa majorité ». Il n’y avait donc aucune précision supplémentaire quant à la définition de l’autorité, pas plus qu’il n’y avait de référence à l’abus d’autorité. Pour autant, aux termes des articles 222-24 5° et 222-28 3° du Code pénal, la peine encourue pour le viol ou les agressions sexuelles était aggravée (et l’est encore aujourd’hui) dès lors que l’infraction était commise « par une personne qui abuse de l'autorité que lui confèrent ses fonctions ». La différence ici réside dans le fait que l’abus d’autorité est lié aux fonctions exercées par l’agresseur. C’est donc la fonction de l’auteur qui détermine l’application de cette cause d’aggravation, dès lors que cette fonction a facilité la commission de l’infraction. Or dans le cadre d’une relation de soins, la jurisprudence avait précisément retenu cette circonstance aggravante en matière d’infractions sexuelles commises par un infirmier sur un malade (Crim. 8 juin 1994, n° 94-81.376) ou par un médecin abusant d’une femme dans le cadre d'une consultation médicale (Crim. 25 oct. 1994, no 94-83.726), les juges devant cependant démontrer l’existence entre l’auteur et la victime d’une relation de subordination ou de dépendance de droit ou de fait (A. Darsonville, Rép. pén. Dalloz, v° « Viol – Éléments constitutifs du viol », oct. 2022, spéc. nos 75 et 76). En l’espèce, les juges du fond avaient parfaitement exposé les circonstances qui établissaient que le mis en cause, en sa qualité de chirurgien, avait autorité sur les victimes au sens de l’article 7 du Code de procédure pénale, même temporairement et ponctuellement puisque c’est en sa qualité de chirurgien que les patients mineurs lui avaient été confiés, et il les avait agressés sexuellement lors de l’exécution d’actes de soins ou d’actes chirurgicaux. Les patients étaient mineurs, ils faisaient confiance à leur médecin, leur conscience était abolie pendant l’acte de soins. De fait, la circonstance aggravante d’autorité et, par voie de conséquence, l’abus d’autorité, pouvaient à juste titre être caractérisés eu égard tant aux fonctions du mis en cause, qu’au contexte de commission des infractions, ici un cadre de soins thérapeutiques (v. récemment, Crim. 2 sept. 2020, n° 19-82.259, dans lequel la chambre criminelle a refusé de caractériser cette circonstance aggravante dans un cadre de soins de bien-être ou de confort, dès lors que les juges du fond n’ont pas précisé en quoi aurait existé entre le masseur et sa cliente une relation de subordination ou de dépendance de droit ou de fait).
■ Sur l’existence d’un obstacle insurmontable à l’exercice des poursuites. Le chirurgien contestait l’existence d’un obstacle insurmontable de fait assimilable à la force majeure au sens de l’article 9-3 du Code de procédure pénale. Selon lui, l’absence de souvenirs, trouverait-elle son origine dans le fait que l’infraction aurait été commise sur une victime endormie ou anesthésiée, ne constitue pas un obstacle insurmontable pouvant suspendre le délai de prescription. De plus, il considérait que les motifs de la chambre de l’instruction étaient contradictoires en ce que les juges retenaient l’existence d’un obstacle insurmontable tout en constatant que dès 2006, alors même que le mis en examen avait déjà été condamné pour des faits de détention et d’importation de l’image d’un mineur présentant un caractère pornographique, le personnel soignant avait informé la direction et l’ordre des médecins par courrier de propos à connotation sexuelle du mis en examen envers un de ses patients. Or, pour la Cour de cassation (§ 16 à 21), la chambre de l’instruction a fait l’exacte application de l’article 9-3 et caractérisé l’existence d’un obstacle insurmontable, tant au regard des victimes elles-mêmes, que du mode opératoire. En effet, d’une part, il existait une impossibilité d’agir pour les victimes potentielles à la conscience abolie, en sommeil anesthésique, « prémédiquées » ou en phase de réveil, liée à des circonstances irrésistibles qui leur sont parfaitement extérieures. D’autre part, en raison du mode opératoire et des stratagèmes utilisés par le mis en cause entourant la commission des actes et de l’absence de souvenirs des patients en résultant, les autorités compétentes, qui ne pouvaient être mises en mesure de connaître l’existence même des faits, ont été empêchées d’agir pour interrompre la prescription de l’action publique. Par conséquent, la Cour considère qu’il existait un obstacle insurmontable à l’exercice des poursuites, ce dont il résulte que le délai de prescription avait été suspendu jusqu’au 2 mai 2017, date de la perquisition au domicile du chirurgien et de la découverte des écrits révélant les faits.
■ Sur la connexité des faits. Pour l’une des victimes, dont les faits auraient été commis en 1990, se posait la question la connexité des infractions et ses effets sur la prescription puisqu’en application de l’article 9-2 du Code de procédure pénale, le délai de prescription de l’action publique est interrompu en cas d’infractions connexes. De son côté, la chambre de l’instruction considérait que l’action publique était prescrite aux motifs que les conditions fixées pour retenir l’obstacle insurmontable n’étaient pas remplies pour cette victime et que les infractions n’étaient pas connexes. Pour la Cour de cassation, les faits sont connexes mais l’arrêt n’est pas censuré « dès lors que la connexité entre ces faits n’était pas de nature à permettre à une victime, dont il n'est pas établi qu'elle s’est trouvée dans l’impossibilité d'agir, de bénéficier de la suspension du délai de prescription accordée pour ce motif à une autre victime d’un fait connexe » (§ 35). Cette position peut surprendre tant, à notre connaissance, c’est la première fois que la Cour de cassation ajoute une condition aux effets de la connexité et en limite considérablement la portée. Si le principe était que lorsque deux infractions sont connexes, un acte interruptif ou suspensif de prescription concernant l’une d’elles a nécessairement le même effet à l’égard de l’autre, c’est désormais à la condition que le motif à l’origine de la suspension du délai de prescription pour une victime (ici l’impossibilité d’agir) s’applique également à une autre victime d’un fait connexe.
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