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[ 23 octobre 2024 ] Imprimer

Droit pénal général

Agression sexuelle par surprise : quelle lecture avoir de la référence expresse à l’état de sidération ?

Dans sa décision du 11 septembre 2024, la chambre criminelle de la Cour de cassation estime qu’une agression sexuelle avec surprise est caractérisée lorsqu’un auteur procède à des attouchements sur une victime endormie et qu’il les poursuit au réveil de cette dernière qui demeure sans réaction. Sans pour autant modifier expressément l’interprétation traditionnelle du texte d’incrimination, l’arrêt introduit pour la première fois la notion dans le champ lexical jurisprudentiel.

Crim. 11 sept. 2024, n° 23-86.657 B

En l’espèce, d’abord relaxé par le tribunal correctionnel le 18 novembre 2021, un individu a été condamné par la cour d’appel de Rennes le 14 novembre 2023 à une peine de 4 ans d’emprisonnement dont 2 ans avec sursis pour agression sexuelle. Il s’est livré à des attouchements sexuels sur les jambes, le sexe, la poitrine et le ventre de sa nièce endormie et a continué ses actes au réveil de sa victime qui n’a pas protesté, prise de sidération. Le prévenu forme un pourvoi devant la Cour de cassation, arguant que les faits étaient consentis selon lui et donc qu’un élément constitutif de l’infraction fait défaut : la conscience pour l’auteur de l’absence de consentement de la victime.

L’occasion est donnée ici une nouvelle fois à la juridiction suprême de s’interroger sur les liens que doivent nouer l’absence de réaction d’une victime et la notion de surprise. En effet, pour qu’une agression sexuelle soit caractérisée, il faut qu’un acte sexuel (aujourd’hui autre qu’un acte bucco-génital ou qu’une pénétration sexuelle, v. la L. n° 2021-478 du 21 avr. 2021 et l’art. 222-23 C. pén.) soit commis par violence, menace, contrainte ou surprise (l’élément moral de l’infraction suppose que l’auteur a souhaité commettre un tel acte sur sa victime, ou que sa victime le lui fasse, et qu’il a conscience de lui imposer ce geste). C’est l’emploi de l’un de ces procédés, apprécié in concreto, qui permet d’établir que l’acte contraint la victime non consentante. La violence, la menace ou la contrainte forcent le consentement de la victime, là où la surprise trompe le consentement. La surprise ne doit donc pas se confondre avec la surprise exprimée par la victime (v.°Crim. 25 avr. 2001, n° 00‑85.467) et renvoie à des situations variées (victime évanouie, endormie, anesthésiée, alcoolisée, etc.). Jusqu’à présent, la Cour de cassation avait soigneusement évité de recourir à la notion d’état de sidération dans les affaires dans lesquelles la victime n’avait ni protesté, ni ne s’était enfuie. Toutefois, la haute juridiction ne rejetait pas dans ces hypothèses une condamnation pour agression sexuelle (ou viol selon les cas) commis par surprise et/ou par contrainte si ces procédés étaient bien caractérisés (v.° Crim. 2 nov. 2017, n° 16-85.499 : dans les faits de l’espèce la surprise et la contrainte ont été retenues pour des attouchements sexuels commis sur une victime vulnérable et « pétrifiée, [qui] n'a pu ni protester ni s'enfuir, et [qui] s'est vue imposer des attouchements sexuels »).

Pour la première fois ici, un attendu de la Cour de cassation fait référence expressément à l’état de sidération. Il ne faut toutefois pas en tirer des conclusions hâtives et émettre des interprétations incertaines, voire douteuses. Ce que la Cour de cassation énonce doit être bien compris et il n’est nullement affirmé que l’état de sidération permet dans tous les cas de constituer une agression sexuelle commise par surprise. Deux arguments permettent de balayer rapidement tout doute sur ce point.

D’une part (et principalement), en l’espèce, l’agression sexuelle réalisée par surprise s’avère constituée dès et par les seuls gestes commis par l’auteur sur sa victime qui est endormie ; la solution, classique, repose sur le fait que l’auteur ne peut alors pas ignorer qu’il impose ses actes à sa victime. La poursuite du comportement une fois la victime réveillée et en état de sidération ne vient que se surajouter et corroborer une réalité déjà infractionnelle.

D’autre part (et subsidiairement), bien que la victime ne soit pas mineure au moment de la commission de l’infraction, les faits se déroulent dans un contexte familial. Ajouté à la grande différence d’âge entre l’auteur et sa victime (soulignée par les juges du fond), le poids des tensions et des suspicions, inhérent aux infractions sexuelles commises sur mineur et à l’inceste, plane ostensiblement (v. la L. n° 2021-478 du 21 avr. 2021 préc. et les art. 222-23-1222-23-2222-29-2 et 222-29-3 C. pén.). Si la victime et l’auteur avaient été dans la même tranche d’âge, si la victime avait été consciente tout le long de la commission des faits et s’il était uniquement constaté sa prostration, rien ne garantit que la solution de la Cour de cassation aurait été identique (avec tant de « si… »).

Tout comme hier les faits pourraient caractériser une agression sexuelle commise avec surprise et/contrainte ou le défaut de preuve de l’un de ces deux procédés pourrait ne pas conduire à une condamnation. L’interprétation in concreto des juges du fond doit demeurer la règle et la définition des agressions sexuelles ne renvoie toujours qu’aux seuls procédés exhaustivement prévus par la loi (à savoir la violence, la menace, la contrainte et la surprise), dont le ministère public doit en rapporter la preuve.

Seule une prochaine décision des juges suprêmes permettra de connaître si la prise en compte de l’état de sidération doit être entendue si largement. Dans l’attente, procéder par analogie et affirmer, à l’instar de certains médias, que la décision constitue une avancée majeure, prête à la Cour de cassation une analyse qu’elle n’a pas, ou pas encore. Un tel gouffre entre la portée actuelle de la décision et ces annonces spectaculaires doit au contraire appeler prudence et craintes.

Prudence d’abord, car en matière de viols et agressions sexuelles, le législateur a choisi depuis l’entrée en vigueur du Code pénal de 1994 que les infractions ne soient pas définies par le défaut de consentement de la victime : il ne suffit pas de considérer que l’auteur ne s’est pas assuré du consentement de la victime, il doit avoir forcé son consentement. Ce n’est pas le comportement de la victime qui doit concentrer l’attention, mais bel et bien celui de l’auteur de l’infraction qui doit avoir usé de la violence, la menace, la contrainte ou la surprise (v C. Ménabé, « Le refus de la France d’une définition commune du viol au sein de l’Union européenne », D. 2024. 208). Assurer que l’état de sidération puisse automatiquement désormais caractériser un viol ou une agression sexuelle revient à déplacer la recherche de la preuve des faits sur le seul comportement de la victime et cela ne correspond pas aux éléments constitutifs des infractions. Il faut toujours et encore caractériser la violence, la menace, la contrainte ou la surprise.

Craintes ensuite, du fait essentiellement des débats publics, politiques et même parlementaires, toujours très prégnants sur l’introduction du défaut de consentement dans les définitions du viol et des agressions sexuelles. Assurer que l’état de sidération puisse automatiquement désormais caractériser un viol ou une agression sexuelle accrédite le besoin de changer les textes, ce qui serait juridiquement malheureux, contreproductif et regrettable autant pour les victimes que pour la cohérence et l’efficacité du droit pénal (v. pour les multiples risques juridiques : J.-C. Saint-Paul, « Redéfinition du viol : le piège du consentement », Dr. pen., n° 6, juin 2024. Études n° 14 ; ou la position du Pr. B. Py sur Les Surligneurs : ici). 

Références :

■ Crim. 25 avr. 2001, n° 00‑85.467 P : D. 2001. 1994 ; RSC 2001. 808, obs. Y. Mayaud.

■ Crim. 2 nov. 2017, n° 16-85.499 : D. 2018. 1458, obs. J.-J. Lemouland et D. Noguéro.

 

Auteur :Julie Leonhard


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