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[ 26 mai 2025 ] Imprimer

Droit des obligations

Aide apportée au parent : un enrichissement injustifié soumis à la prescription de droit commun

La créance résultant de l’aide et de l’assistance apportées au parent par l’enfant, excédant la piété filiale, résulte d’un enrichissement injustifié qui se prescrit, sur le fondement de l’article 2224 du Code civil, au fur et à mesure de chaque prestation et non à compter du décès de son bénéficiaire.

Civ. 1re, 30 avr. 2025, n° 23-15.838

À l’ouverture en date du 28 février 2019 des opérations de liquidation et de partage de la succession de sa mère, décédée le 23 avril 2014, l’une des filles de la défunte réclame en justice le règlement d’une créance, dont l’indivision successorale serait débitrice, à raison de l’aide et de l’assistance qu’elle fut la seule à apporter à son parent de son vivant. En appel, la cour confirme le jugement ayant accueilli sa demande et reconnu l'indivision successorale débitrice d'une indemnité de 35 000 euros au titre de l’aide et de l’assistance apportées au parent par l’enfant, considérant que cette créance était née au décès de la mère et que l’action avait été valablement engagée dans le délai de prescription de cinq ans. Devant la Cour de cassation, les cohéritiers excipent de l’irrecevabilité de la demande d'indemnisation formée par leur sœur, prescrite en raison du point de départ du délai de la prescription, celle-ci ayant commencé à courir au jour où l’aide et l’assistance ont été prétendument apportées, et non au jour du décès, contrairement à ce que les juges du fond ont retenu. Selon les demandeurs, la créance litigieuse constitue une créance à termes successifs immédiatement exigible, pour le règlement de laquelle il n’est donc pas nécessaire de constater le décès de la personne aidée ou l’ouverture des opérations de partage de la succession. Il est vrai que s’agissant de créances à exécution successive, la jurisprudence retient comme point de départ du délai de prescription la date de naissance de chaque créance et que par un raisonnement analogique, cette solution serait transposable à la créance d’aide et d’assistance réclamée par un héritier contre la succession. Appliquant ce raisonnement au cas d’espèce, les cohéritiers soutenaient que leur mère étant décédée le 27 avril 2014, la dernière créance correspondant au dernier mois pendant lequel leur sœur se serait occupée de la défunte était prescrite en avril 2019, étant précisé que l’assignation du 28 février 2019 n’avait interrompu le délai de prescription que pour les créances de mars et d’avril 2014, qui n’étaient pas encore prescrites à la date d’introduction de l’instance, celles des mois précédents étant en revanche atteintes par la prescription. Au visa de l’article 2224 du Code civil et des principes qui régissent l'enrichissement sans cause, la Cour de cassation leur donne raison et casse la décision des juges du fond. Sous l’angle de la qualification, elle affirme tout d’abord qu’il résulte du texte et des principes précités que l'aide et l'assistance apportées par l’enfant au parent peuvent donner lieu au paiement d'une indemnité dans la mesure où, « excédant les exigences de la piété filiale », les prestations librement fournies ont constitué à la fois un appauvrissement pour l'enfant et un enrichissement corrélatif du parent. S’agissant de l’aide et l’assistance apportées au parent par l’enfant, une indemnisation peut donc être due au titre de l’enrichissement injustifié (ou ‘sans cause’, selon l’ancienne terminologie), dès lors que cette aide et assistance dépassent les bornes des obligations nées de la simple loyauté familiale. La Cour précise ensuite que la créance d’aide et d’assistance excédant les obligations morales est immédiatement exigible auprès de son bénéficiaire, soit dès avant le décès. Sur le terrain de la prescription, elle ajoute enfin que l’action en règlement de cette créance se prescrit selon les règles du droit commun, soit dans un délai de cinq ans à compter de la date à laquelle celui qui l’exerce a connu les faits lui permettant d'agir. Or pour dire recevable la demande formée par la prétendue créancière, l'arrêt retient que sa demande ne concerne pas la rémunération d'une obligation à exécution successive mais l'indemnisation de l'appauvrissement résultant de l'exécution d'une obligation naturelle excédant les exigences de la piété filiale et ayant procuré un profit au parent qui en a bénéficié. Il en déduit que la créance est née à l'encontre de la succession au décès de la mère, soit le 23 avril 2014, de sorte que la demande en paiement, formée le 28 février 2019, le fut dans le délai quinquennal de prescription. La cassation est alors prononcée : la prescription de l’action en règlement de la créance née d’un enrichissement injustifié commence à courir au jour de l’appauvrissement, soit au jour où l’aide et l’assistance ont été apportées au parent par l’enfant.

Généralités sur la créance d’aide et d’assistance - La créance d’aide et d’assistance trouve son fondement dans l’enrichissement sans cause. Cette notion est le fruit d’une construction jurisprudentielle, fondée sur l’article 1371 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, aux termes duquel « les quasi-contrats sont les faits purement volontaires de l'homme, dont il résulte un engagement quelconque envers un tiers, et quelquefois un engagement réciproque des deux parties ». La Cour de cassation a ainsi, consacré le principe suivant : « l'action de in rem verso ne doit être admise que dans les cas où le patrimoine d'une personne se trouvant, sans cause légitime, enrichi au détriment de celui d'une autre personne, celle-ci ne jouirait, pour obtenir ce qui lui est dû, d'aucune action naissant d'un contrat, d'un quasi-contrat, d'un délit ou d'un quasi-délit, et elle ne peut être intentée en vue d'échapper aux règles par lesquelles la loi a expressément défini les effets d'un contrat déterminé » (Civ. 2 mars 1915). Fondée sur un principe d’équité, selon lequel nul ne peut s’enrichir injustement aux dépens d’autrui, l’action de in rem verso est enfermée dans de strictes conditions cumulatives : - l'enrichissement du défendeur à l'action, qui peut résulter soit d'une augmentation de l'actif soit d'une diminution du passif ou dépense évitée, - l'appauvrissement du demandeur à l'action, qui peut consister soit en une perte quelconque, soit en un manque à gagner, - un rapport de causalité entre l'enrichissement et l'appauvrissement, direct ou indirect - l’absence de toute autre action, l’action de in rem verso étant une action subsidiaire, de sorte qu'elle ne peut être utilisée pour suppléer à une autre action que le demandeur ne peut intenter parce qu'il ne peut apporter les preuves qu'elle exige ou par suite de tout autre obstacle de droit (Civ. 1re, 23 juin 2010, n° 09-13.812), - l'absence de cause justifiant l'enrichissement du défendeur. L'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 a codifié l’enrichissement sans cause, devenu « enrichissement injustifié » (par souci de cohérence avec l’abandon du concept de cause dans ladite ordonnance ; C. civ., art. 1303 s.) et repris l’essentiel du régime prétorien antérieurement défini.

Or c’est précisément sur le fondement de l’enrichissement sans cause, et en s’inspirant du modèle du contrat de travail à salaire différé établi dans le domaine rural par un décret-loi du 29 juillet 1935, que la jurisprudence a admis que l’un des enfants ayant aidé matériellement ses parents dispose contre leur succession d’une créance correspondant aux soins donnés ou aux sacrifices consentis. En 1994, il a ainsi été pour la première fois jugé que l’accomplissement par un enfant de son devoir moral envers ses parents n'exclut pas qu’il puisse obtenir une indemnité pour l'aide et l'assistance apportées si celles-ci ont excédé les exigences de la piété filiale, les prestations librement fournies ayant réalisé à la fois un appauvrissement pour l'enfant et un enrichissement corrélatif des parents (Civ. 1re, 12 juill. 1994, n° 92-18.639). Dans cet arrêt de principe, la notion d’obligation naturelle fut délibérément écartée au profit de celle d’enrichissement sans cause pour permettre, par souci d’équité, l’indemnisation du demandeur s’étant dévoué pour ses parents. Celle d’obligation alimentaire ne fut pas davantage retenue : les parents du demandeur n'étant pas en l’espèce nécessiteux, les prestations fournies par lui ne pouvaient constituer une dette d’aliments, laquelle aurait été, le cas échéant, considérée comme la cause de l'enrichissement ; elles ne pouvaient non plus être vues comme l’exécution d'un contrat car l'enfant qui apporte son soutien à ses parents âgés ne conclut pas de contrat avec eux et ceux-ci n'entendent pas lui accorder d'autre contrepartie que leur affectueuse reconnaissance. Cet arrêt fondateur a donc consacré un cas nouveau d'enrichissement sans cause (v. aussi Civ. 1re, 3 nov. 2004, n° 01-15.176). Depuis, on doit admettre que l'enfant particulièrement dévoué a droit à une contrepartie financière, au même titre que celui qui collabore à l'exploitation agricole de ses parents sans être associé aux bénéfices ni recevoir un salaire pourra prétendre à leur succession à une créance de salaire différé (C. rur. art. L. 321-13). L’appauvrissement du créancier prétendu et l’enrichissement corrélatif de ses parents relèvent de l’appréciation souveraine des juges du fond (Civ. 1re, 4 déc. 2013, n° 12-20.260), de même que l’existence d’une cause (Civ. 1re, 8 juin 2004, n° 02-10.492), c’est-à-dire l’évaluation de la contrepartie perçue par le créancier prétendu au service qu’il a fourni. Lorsqu’ils allouent une indemnité à ce titre, les juges doivent, à peine de censure, expliquer en quoi consiste l’appauvrissement de l’un et l’enrichissement corrélatif de la succession (Civ. 1re, 20 mai 2009, n° 08-17.344). 

Prescription de la créance d’aide et d’assistance - Aux termes de l’article 2224 du Code civil figurant au visa, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu, ou aurait dû connaître, les faits lui permettant de les exercer. La prescription commence à courir à la date d’exigibilité de l’obligation qui lui a donné naissance (Ass. plén., 6 juin 2003, n° 01-12.453). Prenant appui sur ces règles de prescription, la solution rapportée précise celles applicables à la créance d’aide et d’assistance, conformément à la notion d’enrichissement injustifié qui en constitue le fondement. La Cour de cassation reconnaît ainsi à l’enfant qui a apporté sans contrepartie de l’aide à son parent une action subsidiaire fondée sur l’enrichissement injustifié, qui n’a pas pour objet de faire naître une créance de salaire différé (en l’absence de rémunération) née du fait du décès et dont l’exigibilité dépendrait de l’ouverture de la succession, mais de rendre la créance indemnitaire née de ce quasi-contrat exigible immédiatement contre celui à qui il a bénéficié puis, à son décès, contre sa succession. Soulignant que l’action en règlement de cette créance constitue une action mobilière soumise à la prescription de droit commun, la première chambre civile tranche ainsi le débat relatif à son point de départ : le délai court à compter, non pas du décès, mais de l’appauvrissement, soit de chaque prestation librement fournie (comp. Civ. 1re, 29 mai 2019, n° 18-18.376, publié), de telle sorte que la fille de la défunte avait connu les faits à l’origine de sa demande, lui permettant d’agir, chaque jour de la période considérée où elle avait apporté son concours à sa mère. Partant, son action était en l’espèce prescrite. Ainsi la Cour refuse-t-elle de suivre le raisonnement des juges du fond consistant à fixer le délai de prescription au jour du décès du de cujus débiteur de l'indemnisation. Par application du droit commun de l'article 2224 du Code civil, tel qu'issu de la loi du 17 juin 2008, l'action en enrichissement injustifié se prescrit « par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer », soit au jour où l’aide et l’assistance ont été librement apportées. 

Si l’orthodoxie de la solution doit être saluée, sa sévérité pour le créancier de l’indemnité peut en revanche être regrettée. 

 

Auteur :Merryl Hervieu


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