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Droit européen et de l'Union européenne
Aides illégales à la SNCM pour défaut des critères de compensation de service public
Mots-clefs : Aide d’État, Compensation financière, Service d’intérêt économique général (SIEG), Appel d’offre, Libre concurrence, Illégalité, Récupération de l’aide
Si les aides d’État sont par principe incompatibles avec le marché intérieur de l’Union européenne, certaines aides peuvent être déclarées compatibles si elles sont la contrepartie de la gestion d’un service d’intérêt économique générale (SIEG) (TFUE, art. 106, § 2) ou si elles sont une compensation de service public au sens de la jurisprudence Altmark (CJUE 24 juill. 2003, n° C-280/00). Il revient à l’État de prouver que les critères pour le versement sont réunis. Or la France a été dans l’incapacité de prouver la compatibilité de la compensation versée à la compagnie maritime de la SNCM, ne réussissant pas à démontrer la nécessité du service public et la conformité de la mise en concurrence. Dès lors le Tribunal a confirmé la décision de la Commission constatant l’illégalité de l’aide et imposé sa récupération.
Les aides d’État sont particulièrement encadrées en droit de l’Union afin que la libre concurrence soit pleinement mise en œuvre. Si le principe d’une interdiction est posée, des dérogations sont possibles afin de garantir les missions de services d’intérêt économique général (SIEG). Cependant, il revient à l’État de prouver que les aides versées rentrent dans le champ de l’article 106, § 2 TFUE ou dans le champ des compensations financières pour service public. Dans le cadre de la compensation financière, celle-ci doit remplir quatre critères conformément à la jurisprudence Altmark (CJUE 24 juill. 2003, n° C-280/00) :
- le premier est que l’entreprise bénéficiaire doit effectivement être en charge de l’exécution d’un SIEG;
- le deuxième critère implique que le calcul de la compensation doit être préalablement établi;
- le troisième critère exige que la compensation doit être proportionnée
- le quatrième et dernier critère impose que le choix du bénéficiaire s’effectue au terme d’une procédure d’appel d’offres ouverte.
Dans cette affaire, la France n’apporte pas la preuve de la réalisation des premier et quatrième critères.
En l’espèce, la France, au travers de l’Office de transport Corse, a versé une compensation financière dans le cadre de l’exécution d’une délégation de service public à la SNCM, compagnie maritime assurant le transport maritime entre la Corse et le continent. Ces compensations ont été versées entre 2007 et 2013, durée de la délégation. Elles ont été contestées par une compagnie maritime concurrente qui n’avait pas été retenue lors de l’attribution du contrat. Cette compensation couvrait en réalité deux services distincts, un service de base couvrant un service de transport fourni toute l’année, et un service complémentaire fourni pendant les périodes de pointe du trafic, c’est-à-dire les vacances scolaires.
La Commission européenne a décidé que l’aide était incompatible uniquement pour le service complémentaire, reconnaissant la validité de la compensation pour le service de base. Cette décision de la Commission, datant du 2 mai 2013, était justifiée par l’absence d’une mission de service public et une procédure d’appel d’offres insuffisamment ouverte contrairement aux deux critères découlant de l’arrêt Altmark.
Le Tribunal de l'Union européenne va pleinement confirmer la décision de la Commission européenne.
Sur le critère relatif à la charge d’un SIEG, le Tribunal écarte les différents arguments français. Notamment la France avançait qu’il lui revenait de définir le service susceptible d’être qualifié de SIEG. Le Tribunal lui précise qu’un règlement en matière de transport maritime oblige les États dans ce secteur à justifier d’une carence du secteur privé pour intervenir, ce que la France ne démontre pas. En outre, le Tribunal juge que le service complémentaire doit faire l’objet d’une analyse distincte au service de base, ce qui empêche une validation globale. En effet, pour les juges, le service de base et le service complémentaire ne peuvent pas être appréhendés comme constituant un seul service. Ils ne sont pas soumis aux mêmes obligations, notamment concernant les horaires, les fréquences. Également, les juges estiment que les obligations du service complémentaire ne sont pas définies avec précisions. Dès lors la France ne pouvant justifier de l’existence d’un service public, le Tribunal valide le raisonnement de la Commission.
Sur le quatrième critère, le Tribunal est particulièrement sévère avec la France en démontrant que l’appel d’offres n’a pas permis une égalité d’accès à la commande publique et finalement une véritable mise en concurrence. Le Tribunal insiste sur le fait qu’une première procédure a été annulée par les juridictions administratives, sur la brièveté des délais pour la mise en œuvre de la délégation du service public (23 jours entre l’attribution et le début du contrat), sur les critères de sélection favorisant la SNCM et sur la marge d’appréciation laissée à l’autorité publique pour aménager les obligations une fois le marché attribué, y compris sur des obligations essentielles du contrat. Dès lors la condition n’a pas été respectée.
Le Tribunal de l'Union européenne conclut logiquement au rejet du recours de la France, ce qui entraîne obligatoirement la récupération de l’aide de 220 millions d’euros, ce que la Cour de justice avait déjà imposé à la France au terme d’une procédure en manquement (CJUE 9 juill. 2015, n° C-63/14).
Cette solution est conforme à la jurisprudence antérieure de la Cour de justice.
Trib. UE 1er mars 2017, n° T-366/13
Références
■ Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne
Article 106
« 1. Les États membres, en ce qui concerne les entreprises publiques et les entreprises auxquelles ils accordent des droits spéciaux ou exclusifs, n'édictent ni ne maintiennent aucune mesure contraire aux règles des traités, notamment à celles prévues aux articles 18 et 101 à 109 inclus.
2. Les entreprises chargées de la gestion de services d'intérêt économique général ou présentant le caractère d'un monopole fiscal sont soumises aux règles des traités, notamment aux règles de concurrence, dans les limites où l'application de ces règles ne fait pas échec à l'accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui leur a été impartie. Le développement des échanges ne doit pas être affecté dans une mesure contraire à l'intérêt de l'Union.
3. La Commission veille à l'application des dispositions du présent article et adresse, en tant que de besoin, les directives ou décisions appropriées aux États membres. »
■ CJUE 24 juill. 2003, n° C-280/00 ; AJDA 2003. 1739, note S. Rodrigues ; ibid. 2146, chron. J.-M. Belorgey, S. Gervasoni et C. Lambert ; ibid. 2004. 315, chron. J.-M. Belorgey, S. Gervasoni et C. Lambert ; D. 2003. 2814, note J.-L. Clergerie ; RTD eur. 2004. 33, étude S. Bracq ; Rev. UE 2015. 396, étude C. Guillard ; ibid. 425, étude C. Blumann.
■ CJUE 9 juill. 2015, n° C-63/14 ; AJDA 2015. 1585, chron. E. Broussy, H. Cassagnabère et C. Gänser ; RTD eur. 2016. 675, obs. L. Grard ; Rev. UE 2016. 308, étude A. Cudennec, N. Boillet, O. Curtil, C. de Cet Bertin, G. Guéguen-Hallouët et M. Taillens ; ibid. 2017. 53, chron. L. Ayache et C. Michellet.
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