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[ 18 avril 2013 ] Imprimer

Libertés fondamentales - droits de l'homme

Allocations familiales : discrimination fondée sur la nationalité

Mots-clefs : Contrôle de conventionnalité, Droit de la sécurité sociale, Allocations familiales, Étrangers, Conditions, Discrimination

La subordination du versement des allocations familiales à la production d’un document attestant d’une entrée régulière des enfants étrangers en France ne méconnaît pas le principe de non-discrimination, contrairement à la condition de production d’un certificat médical imposée au salarié immigré pour le bénéfice de prestations sociales.

Alors qu’on s’interroge sur l’opportunité de réduire, voire de supprimer, le bénéfice des allocations familiales aux familles les plus aisées, la Cour de cassation, réunie en formation plénière, a récemment déplacé le débat pour l’élever au niveau supranational, sous l’angle du principe de non-discrimination.

Par les deux arrêts rapportés, la Haute cour a jugé de la conventionnalité de trois articles du Code de la sécurité sociale, au regard de la Convention européenne des droits de l’homme et de la Convention internationale des droits de l’enfant d’une part, et des accords d’association signés entre l’Union européenne et la Turquie et l’Algérie d’autre part. Issus de la loi n°2005-1579 du 19 décembre 2005 de financement de la sécurité sociale pour 2006 et du décret n°2006-234 du 27 février 2006 pris pour l'application de l'article L. 512-2 du code de la sécurité sociale, ces textes soumettent le versement d’allocations familiales aux travailleurs migrants munis d’un titre de séjour régulier à l’administration de la preuve que leurs enfants nés à l’étranger sont entrés régulièrement en France et, pour ceux qui le sont au titre du regroupement familial, à la production d’un certificat médical délivré par l’Office français de l’intégration et de l’immigration (CSS, art. L. 512-2D. 512-1 et D. 512-2).

S’agissant des deux premières normes supranationales invoquées par le requérant pour remettre en cause la licéité des textes internes, la Cour de cassation affirme « que ces dispositions, qui revêtent un caractère objectif justifié par la nécessité dans un État démocratique d’exercer un contrôle des conditions d’accueil des enfants, ne portent pas une atteinte disproportionnée au droit à la vie familiale garanti par les articles 8 et 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ni ne méconnaissent les dispositions de la Convention internationale des droits de l’enfant ». La référence à l’article 14 s’explique par l’extension du champ d’application de ce texte aux droits sociaux, qu’une interprétation large, par la CEDH, de la notion de bien au sens de l’article 1er du premier protocole additionnel, a permise (v. CEDH 16 sept. 1996, Gaygusuz c. Autriche ; comp. position Conseil d’État : CE 5 mars 1999 : CE 6 nov. 2000GISTICE 12 déc. 2003Ammouche).

Par le passé, l’Assemblée plénière avait déjà estimé, à propos des mêmes dispositions que celles ici en cause, que celles-ci « revêtent un caractère objectif justifié par la nécessité, dans un État démocratique, d’exercer un contrôle des conditions d’accueil des enfants » (Ass. plén. 3 juin 2011). Or une différence de traitement objectivement justifiée exclut le grief de discrimination. En somme, soumettre le bénéfice des allocations familiales à la régularité de l’entrée sur le territoire français d’enfants étrangers ne constitue pas une discrimination fondée sur la nationalité.

Les décisions rapportées ont l’intérêt de résoudre le conflit, cette fois inédit, entre les textes du Code de la sécurité sociale et les accords d’association signés par l’Union européenne avec la Turquie et l’Algérie. Comme le rappelle la Cour, ces accords ont été interprétés par la CJUE comme interdisant toute discrimination fondée sur la nationalité dans leur champ d’application respectif. Un ressortissant turc ou algérien doit donc être traité de la même manière que les nationaux de l’État membre d’accueil en sorte que la législation de l’État concerné ne saurait faire dépendre leur droit au bénéfice de prestations sociales de « conditions supplémentaires ou plus rigoureuses par rapport à celles soumises à ses propres ressortissants ». C’est bien là que le bât blesse, la Cour voyant alors dans la demande de production d’un certificat médical, à laquelle un ressortissant français n’est pas soumis, une condition discriminatoire. Elle affirme alors, et enfin, que les dispositions examinées constituent bien, à l’aune de ces accords, une discrimination directement fondée sur la nationalité.

Ass. plén., 5 avr. 2013, n°11-17.520

Ass. plén., 5 avr. 2013, n°11-18.947

Références

■ CEDH 16 sept. 1996, Gaygusuz c. Autriche, n°17371/90.

■ CE 5 mars 1999, n°194658, Lebon, p. 37.

■ CE 6 nov. 2000GISTI, n°204784.

 CE 12 déc. 2003Ammouche, n°235234.

■ Ass. plén. 3 juin 2011, n°09-69.052 et n°09-71.352D. 2011. 1625.

■ Code de la sécurité sociale

Article L. 512-2

« Bénéficient de plein droit des prestations familiales dans les conditions fixées par le présent livre les ressortissants des États membres de la Communauté européenne, des autres États parties à l'accord sur l'Espace économique européen et de la Confédération suisse qui remplissent les conditions exigées pour résider régulièrement en France, la résidence étant appréciée dans les conditions fixées pour l'application de l'article L. 512-1. 

Bénéficient également de plein droit des prestations familiales dans les conditions fixées par le présent livre les étrangers non ressortissants d'un État membre de la Communauté européenne, d'un autre État partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse, titulaires d'un titre exigé d'eux en vertu soit de dispositions législatives ou réglementaires, soit de traités ou accords internationaux pour résider régulièrement en France. 

Ces étrangers bénéficient des prestations familiales sous réserve qu'il soit justifié, pour les enfants qui sont à leur charge et au titre desquels les prestations familiales sont demandées, de l'une des situations suivantes :

- leur naissance en France ;

- leur entrée régulière dans le cadre de la procédure de regroupement familial visée au livre IV du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- leur qualité de membre de famille de réfugié ;

-leur qualité d'enfant d'étranger titulaire de la carte de séjour mentionnée au 10° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- leur qualité d'enfant d'étranger titulaire de la carte de séjour mentionnée à l'article L. 313-13 du même code ;

- leur qualité d'enfant d'étranger titulaire de l'une des cartes de séjour mentionnées à l'article L. 313-8 du même code ;

- leur qualité d'enfant d'étranger titulaire de la carte de séjour mentionnée au 7° de l'article L. 313-11 du même code à la condition que le ou les enfants en cause soient entrés en France au plus tard en même temps que l'un de leurs parents titulaires de la carte susmentionnée. 

Un décret fixe la liste des titres et justifications attestant de la régularité de l'entrée et du séjour des bénéficiaires étrangers. Il détermine également la nature des documents exigés pour justifier que les enfants que ces étrangers ont à charge et au titre desquels des prestations familiales sont demandées remplissent les conditions prévues aux alinéas précédents. »

Article D. 512-1

« L'étranger qui demande à bénéficier de prestations familiales justifie la régularité de son séjour par la production d'un des titres de séjour ou documents suivants en cours de validité : 

1° Carte de résident ; 

2° Carte de séjour temporaire ; 

3° Certificat de résidence de ressortissant algérien ; 

4° Récépissé de demande de renouvellement de l'un des titres ci-dessus ; 

5° Récépissé de demande de titre de séjour valant autorisation de séjour d'une durée de trois mois renouvelable portant la mention "reconnu réfugié" ; 

6° Récépissé de demande de titre de séjour d'une durée de six mois renouvelable portant la mention "étranger admis au séjour au titre de l'asile" ; 

7° Autorisation provisoire de séjour d'une validité supérieure à trois mois ; 

8° Passeport monégasque revêtu d'une mention du consul général de France à Monaco valant autorisation de séjour ; 

9° Livret spécial, livret ou carnet de circulation ; 

10° Récépissé de demande de titre de séjour valant autorisation de séjour d'une durée de validité de trois mois renouvelable délivré dans le cadre de l'octroi de la protection subsidiaire, accompagné de la décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ou de la Commission des recours des réfugiés accordant cette protection. »

Article D. 512-2

« La régularité de l'entrée et du séjour des enfants étrangers que le bénéficiaire a à charge et au titre desquels il demande des prestations familiales est justifiée par la production de l'un des documents suivants : 

1° Extrait d'acte de naissance en France ; 

2° Certificat de contrôle médical de l'enfant, délivré par l' Office français de l'immigration et de l'intégration à l'issue de la procédure d'introduction ou d'admission au séjour au titre du regroupement familial ; 

3° Livret de famille délivré par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ou, à défaut, un acte de naissance établi, le cas échéant, par cet office, lorsque l'enfant est membre de famille d'un réfugié, d'un apatride ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire. Lorsque l'enfant n'est pas l'enfant du réfugié, de l'apatride ou du bénéficiaire de la protection subsidiaire, cet acte de naissance est accompagné d'un jugement confiant la tutelle de cet enfant à l'étranger qui demande à bénéficier des prestations familiales ; 

4° Visa délivré par l'autorité consulaire et comportant le nom de l'enfant d'un étranger titulaire de la carte de séjour mentionnée à l'article L. 313-8 ou au 5° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; 

5° Attestation délivrée par l'autorité préfectorale, précisant que l'enfant est entré en France au plus tard en même temps que l'un de ses parents admis au séjour sur le fondement du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ou du 5° de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié ; 

6° Titre de séjour délivré à l'étranger âgé de seize à dix-huit ans dans les conditions fixées par l'article L. 311-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. 

Elle est également justifiée, pour les enfants majeurs ouvrant droit aux prestations familiales, par l'un des titres mentionnés à l'article D. »

■ Convention européenne des droits de l’homme

Article 8 - Droit au respect de la vie privée et familiale

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 

2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »

Article 14 - Interdiction de discrimination

« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »

■ Article 1er du protocole additionnel - Protection de la propriété

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. 

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes. »

 

Auteur :M. H.

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