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Procédure pénale
Altération des troubles mentaux de l’accusé et procès équitable : le jugement des fous
Si le trouble psychique ou neuropsychique abolissant le discernement ou le contrôle des actes existe au moment de la commission des faits infractionnel, l'article 122-1, alinéa 1er du Code pénal prévoit l’irresponsabilité pénale de l’auteur des faits. En revanche, lorsque le trouble psychique ou neuropsychique intervient en cours de procédure, cette circonstance ne fait l’objet d’aucune disposition spécifique. On s’en étonnera dès lors que le trouble survenu postérieurement à la commission de l'infraction prive ou a minima rend difficile la possibilité pour la personne d’assurer sa défense.
La jurisprudence a donc construit des solutions dans le respect des droits de la défense. Ainsi, déjà dans un arrêt de 1997, la chambre criminelle avait-elle pu admettre que dans le silence de la loi sur les effets du recours en cassation formé au nom d'un prévenu privé de l'exercice de ses facultés intellectuelles (hémiplégie) et qui ne peut communiquer avec son avocat, il appartient à la Cour de prendre les mesures nécessaires pour préserver les droits des parties et l'intérêt de la justice ; il y a donc lieu pour elle de surseoir à statuer sur l'examen des pourvois, jusqu'à ce qu'il soit justifié que l'état de santé du prévenu lui permette d'intervenir personnellement lors de l'instance engagée devant la Cour de cassation (Crim. 5 juin 1997, n° 96-82.783).
Ultérieurement, la Cour de cassation a posé une solution de principe, au visa de l'article l'article 6, § 1 et 3, a et c de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article préliminaire du Code de procédure pénale, au terme de laquelle lorsque l'altération des facultés d'une personne mise en examen est telle que celle-ci se trouve dans l'impossibilité absolue d'assurer effectivement sa défense, il doit être sursis au renvoi de l'affaire devant une juridiction de jugement (Crim. 11 juill. 2007, n° 07-83.056). Une telle solution est en parfaite conformité avec la position de la Cour européenne des droits de l’homme laquelle reconnaît que le droit au procès équitable inclut « le droit de participer réellement à son procès » (CEDH 23 févr. 1994, Stanford c/ Royaume-Uni, n° 16757/90, § 26) et donc l’inconventionnalité de juger une personne atteinte de troubles mentaux (CEDH 23 févr. 2012, G. c/ France, n° 27244/09, § 57).
La chambre criminelle, dans les arrêts rendus au mois de septembre dernier, reprend et complète les solutions antérieures.
Dans la première affaire, (arrêt du 5 sept.), un vieil homme (né 1928 !) poursuivi des chefs de viols et agressions sexuelles commis sur plusieurs victimes avait été, après requalification partielle, renvoyé devant le tribunal correctionnel du chef d’agressions sexuelles par ordonnance du 22 mai 2014. Son état de santé s’étant dégradé postérieurement, le rendant incapable de communiquer avec un tiers, il a été placé sous tutelle le 24 mai 2016. Le tribunal correctionnel, après avoir ordonné une expertise médicale ayant conclu que l’accusé présentait des atteintes irréversibles à ses capacités intellectuelles ne lui permettant pas de comparaître devant une juridiction pénale, a déclaré se trouver dans l’incapacité de décider de la culpabilité éventuelle du mis en cause et des demandes présentées par les parties civiles et ne pouvoir surseoir à statuer. Sur appel du ministère public et certaines parties civiles, la Cour d’appel a annulé ce jugement et renvoyé le mis en cause des fins de la poursuite. Les juges d’appel, après avoir relevé que le juge ne pouvait refuser de trancher un litige qui lui était soumis au motif du silence, de l'obscurité ou de l'insuffisance de la loi, retiennent qu’il résulte des dispositions combinées de l'article préliminaire du Code de procédure pénale et de l'article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme que, lorsque l'altération des facultés mentales d'une personne mise en examen est telle que celle-ci se trouve dans l'impossibilité absolue d'assurer effectivement sa défense, il doit être sursis à statuer en attendant qu'elle retrouve ses capacités. Si la cour d’appel reprend pour partie la solution dégagée par la chambre criminelle de 2007 (suspension du procès au cas d'une impossibilité absolue), elle va plus loin en ce qu’elle admet qu’en cas de maladie privant le mis en cause « de façon irréversible et définitive de ses capacités intellectuelles, une telle solution n'apparaît pas justifiée et paralyse l'action des parties civiles en application des dispositions de l'article 4, alinéa 2 du Code de procédure pénale ». Les juges ajoutent qu’il est de principe que toute personne suspectée ou poursuivie est présumée innocente tant que sa culpabilité n'est pas établie et qu’en conséquence, il y a lieu de renvoyer le prévenu des fins de la poursuite en raison de son impossibilité absolue, définitive et objectivement constatée d’assurer sa défense devant la juridiction de jugement. Les juges d’appel avaient ainsi tenté d’une part, de ménager les droits des victimes en palliant à l’impossibilité pour les parties civiles d’exercer l’action civile et d’autre part, de prendre acte de l’inutilité de maintenir vivante une action publique dès lors que la juridiction répressive devra sans cesse surseoir à statuer en en raison du caractère irréversible des troubles psychiques.
Une telle analyse ne convainc pourtant pas la chambre criminelle qui au visa des articles 6, § 1, et § 3, a et c, de la Convention européenne des droits de l'homme ainsi que l'article préliminaire du Code de procédure pénale et 470 du Code de procédure pénale, affirme que « qu’il ne peut être statué sur la culpabilité d’une personne que l’altération de ses facultés physiques ou psychiques met dans l’impossibilité de se défendre personnellement contre l’accusation dont elle fait l’objet, fût-ce en présence de son tuteur et assistée d’un avocat ; qu’en l’absence de l’acquisition de la prescription de l’action publique ou de disposition légale lui permettant de statuer sur les intérêts civils, la juridiction pénale, qui ne peut interrompre le cours de la justice, est tenue de renvoyer l’affaire à une audience ultérieure et ne peut la juger qu’après avoir constaté que l’accusé ou le prévenu a recouvré la capacité à se défendre ». En conséquence, la chambre criminelle donne comme seule possibilité aux juges du fond de surseoir à statuer et non de relaxer le prévenu pour un motif non prévu par la loi. La solution de la Cour de cassation est fondée sur le fait que l’article 470 du Code de procédure pénale limite les hypothèses pour lesquelles le tribunal peut renvoyer des fins de la poursuite (absence d’infraction à la loi pénale, fait non établi, ou non imputable au prévenu). Sans doute une intervention législative sur ce point serait-elle la bienvenue.
Dans la seconde affaire (arrêt du 19 sept.), un individu mis en examen des chefs de viols aggravés, agressions sexuelles aggravées et harcèlement sexuel, avait été examiné par des experts judiciaires psychiatres et psychologues lesquels avaient retenu qu’au moment des faits il n’était atteint d’aucun trouble psychique ou neuro-psychique ayant aboli ou altéré son discernement ou le contrôle de ses actes. Au cours de la procédure, le mis en cause présenta d’abord une détérioration intellectuelle légère, puis à la suite d’un avis d’un médecin, choisi par la personne mise en examen, diagnostiquant une aggravation des troubles cognitifs, amnésiques, exécutifs et phasiques, aggravés dans un intervalle de six mois dans un contexte de syndrome dépressif réactionnel, un complément d’expertise a été sollicité à l’occasion du recours contre l’ordonnance de mise en accusation.
Pour rejeter cette demande d’acte, la chambre de l’instruction, après avoir relevé que les documents médicaux produits, pour la première fois devant elle, ne sont pas de nature à remettre en cause la responsabilité pénale pour cause d’abolition ou d’altération du discernement ou du contrôle des actes du mis en examen au moment des faits, retient que la question de la détérioration des troubles cognitifs survenue depuis les expertises judiciaires et la compatibilité éventuelle de l’état avec la comparution personnelle n’a vocation qu’à être examinée par la juridiction de jugement. Là encore la chambre criminelle censure le raisonnement au visa des articles 6, § 1, et 3 a et c de la Convention européenne des droits de l’homme et l’article préliminaire du Code de procédure pénale. Elle reprend son attendu de principe de 2007 au terme duquel, « lorsque l'altération des facultés d'une personne mise en examen est telle que celle-ci se trouve dans l'impossibilité de se défendre personnellement contre l’accusation dont elle fait l’objet, fût -ce en présence de son tuteur ou de son curateur et avec l’assistance d'un avocat, il doit être sursis à son renvoi devant la juridiction de jugement après constatation que l’intéressé a recouvré la capacité à se défendre ». Il appartenait dès lors à la chambre de l’instruction « de s’assurer que le mis en examen disposait de la capacité à se défendre et de surseoir à statuer sur l’ordonnance de mise en accusation » et non de renvoyer cette question à la juridiction de jugement.
Crim. 5 septembre 2018, n° 17-84.402
Crim. 19 septembre 2018, n° 18-83.868
Références
■ Convention européenne des droits de l’homme
Article 6
« Droit à un procès équitable. 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l'accès de la salle d'audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l'intérêt de la moralité, de l'ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l'exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice.
2. Toute personne accusée d'une infraction est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie.
3. Tout accusé a droit notamment à:
a) être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu'il comprend et d'une manière détaillée, de la nature et de la cause de l'accusation portée contre lui;
b) disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense;
c) se défendre lui-même ou avoir l'assistance d'un défenseur de son choix et, s'il n'a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d'office, lorsque les intérêts de la justice l'exigent;
d) interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l'interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge;
e) se faire assister gratuitement d'un interprète, s'il ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l'audience. »
■ Crim. 5 juin 1997, n° 96-82.783 P : RTD civ. 1997. 907, obs. J. Hauser
■ Crim. 11 juill. 2007, n° 07-83.056 P: Dalloz actualité, 31 août 2007, obs. M. Léna ; D. 2007. 2239 ; AJ pénal 2007. 485, obs. C. Saas
■ CEDH 23 févr. 1994, Stanford c/ Royaume-Uni, n° 16757/90
■ CEDH 23 févr. 2012, G. c/ France, n° 27244/09 : Dalloz actualité, 13 mars 2012, obs. O. Bachelet, AJ pénal 2012. 357, obs. J.-P. Céré ; RDSS 2012. 678, note P. Hennion-Jacquet ; RSC 2012. 683, obs. D. Roets
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