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Amazon stoppé : le droit à la santé opposé à la loi du marché
En cette période d’épidémie liée au covid-19, la cour d’appel de Versailles met en exergue une double défaillance d’Amazon. D’une part, les mesures de prévention en matière de santé/sécurité sont insuffisantes, d’autre part, l’évaluation des risques s’avère incomplète et surtout, elle n’a pas été élaborée en concertation avec les représentants du personnel. Ce trouble manifestement illicite, exposant les salariés à un dommage imminent de contamination, justifie de restreindre les activités d’Amazon aux seules commandes liés à des produits de première nécessité ou indispensables au télétravail.
L’activité d’Amazon n’a pas cessé lors de la décision de confinement de la population puisque seuls les établissements recevant du public ont été contraints à une fermeture provisoire par le Gouvernement. Le télétravail n’étant évidemment pas envisageable, l’essentiels des salariés d’Amazon - comme bien d’autres salariés en France - ont donc continué à venir sur leur lieu de travail. La société a même fait appel à de nombreux intérimaires en raison d’une augmentation importante des commandes et ce sont plus de 10 000 salariés qui se sont retrouvés dans les entrepôts. Très vite, la situation s’est crispée sur les différents sites : déclenchement d’alerte pour danger grave et imminent, droit de retrait, plainte pour mise en danger de la vie d’autrui, mise en demeure de l’administration du travail... Début avril, l’Union syndicale Solidaires saisit le tribunal judiciaire pour obtenir la suspension complète de l’activité, ou à défaut, la réduire aux seules commandes de produits jugés essentiels. Confirmant la décision des premiers juges, la cour d’appel limite l’activité d’Amazon France tant que la société n’aura pas amélioré la qualité des mesures de prévention et revu son processus d’évaluation des risques.
■ La qualité des mesures de prévention
Le Gouvernement n’a pas fixé de liste exhaustive et précise des mesures adéquates de prévention. Les tergiversations sur la question du port du masque révèlent d’ailleurs l’embarras des experts eux-mêmes. Seules des recommandations ont été formulées par le ministère du travail et il appartient à chaque employeur, en application de l’article L. 4121-1 du Code du travail « de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs ».
La société Amazon France a rapidement pris une série de mesures concernant l’organisation du travail (aménagement du temps de travail, vérification des consignes), l’information des travailleurs (signalétique, communication sur les gestes barrières) et divers techniques de protection (nettoyage renforcé, mise à disposition de gel hydroalcoolique). Toutefois, les juges estiment que ces mesures sont insuffisantes à tous les échelons : lors de l’entrée sur le site (portique tournant manipulé par plusieurs centaines de salarié), dans les vestiaires où les manteaux sont empilés les uns sur les autres, lors de la manipulation des commandes et la confection des colis puisque plusieurs salariés les touchent successivement et enfin lors des interventions d’entreprises extérieures en particulier les transporteurs routiers. Sur ce point, la solution de la cour d’appel est très classique. Reste que ce n’est pas tant la faiblesse des mesures de prévention qui conduit les juges à condamner Amazon que son processus d’évaluation des risques.
■ Le processus d’évaluation des risques
Au cœur de l’arrêt Amazon, se trouve la question des auteurs de l’évaluation des risques. Les CSE d’Amazon (CSE central et d’établissements), comme les syndicats, reprochaient à l’employeur une gestion unilatérale de la crise et demandaient à être associés à l’identification des risques.
Juridiquement, l’employeur est responsable civilement comme pénalement en matière de santé au travail. Concernant d’évaluation des risques, les textes indiquent encore que c’est l’employeur qui est tenu de les évaluer et de transcrire les résultats dans un document unique. Ce n’est qu’ensuite que ce document est mis à la disposition des salariés et de leurs représentants (C. trav., art. L. 4121-3 et R. 4121-1 à R. 4121-4). Toutefois, l’une des principales missions du CSE consiste à promouvoir la santé, la sécurité et l'amélioration des conditions de travail (C. trav., art. L. 2312-5). Il peut procéder à l’analyse des risques et susciter toute initiative qu'il estime utile ou faire des propositions. Le refus de l’employeur doit alors être motivé (C. trav., art. L. 2312-9). Par ailleurs, tout aménagement important modifiant les conditions de santé et de sécurité doivent être précédées d’une consultation du CSE (C. trav., art. L. 2312-8 et L. 2312-14). Le législateur entend donc privilégier un dialogue entre l’employeur et les représentants du personnel. Certes la décision définitive appartient à l’employeur et il devra l’assumer mais celle-ci doit se nourrir des échanges avec les élus du personnel.
En l’espèce, c’est la faiblesse de ce dialogue qui est critiquée. Certes, il faut être pragmatique et dans l’urgence, il parait bien délicat de commencer par réunir le CSE, attendre les délais légaux ou conventionnels pour qu’il rende son avis avant de prendre une quelconque mesure. En sa qualité de responsable de la santé des salariés, l’employeur peut sans doute immédiatement prendre des mesures ponctuelles exceptionnelles. Mais ensuite, il aurait dû écouter les syndicats qui l’alertaient sur les risques psycho-sociaux du fait du climat anxiogène, élaborer un plan d’ensemble et le décliner site par site en consultant les différents CSE. Le document unique d’évaluation des risques aurait pu être retravaillé en sollicitant les salariés, leurs représentants ou des experts extérieurs. Là encore, la solution de la Cour ne surprend pas. Mais au-delà, c’est semble-t-il l’absence d’une démarche collaborative qui est reprochée à Amazon par les magistrats. En atteste leurs références constantes au champ lexical de la négociation : « Concertation, collaboration, dialogue social, participation, association… ». Le CSE est ici appréhendé comme un organe de co-détermination en matière de santé.
■ Les restrictions apportées à l’activité économique
Une fois constaté la faiblesse des mesures de prévention adoptées et l’absence d’évaluation adéquate des risques, il restait à décider des mesures dictées par l’urgence de la situation. Le syndicat demandait la fermeture totale des entrepôts et à défaut, la réduction drastique des activités afin de limiter le nombre de salariés présents sur les sites. C’est cette dernière option que retient la cour d’appel qui précise les catégories de commandes qui peuvent demeurer ouvertes. On y retrouve les produits jugés essentiels par le Gouvernement et permettant, à ce titre, à certains établissements de rester ouverts au public. Pourquoi ce choix ? Pourquoi ne pas indiquer le nombre maximum de salariés pouvant accéder aux sites et laisser l’employeur libre du choix des biens proposés à ses clients ? Rien ne l’indique. Sans le dire, la cour d’appel de Versailles rétablit de fait une certaine égalité concurrentielle entre le petit commerçant contraint de fermer ses portes et le géant du e-commerce par le truchement du constat de la violation des mesures de prévention. Il faut en effet rappeler que le Gouvernement n’a pas fait le choix d’interdire toutes les activités non essentielles. Ainsi, dans un arrêt du Conseil d’État du 18 avril 2020 (n° 440012), un syndicat entendait contraindre l’État de dresser la liste, par secteurs d’activités, des entreprises de la métallurgie essentielles à la Nation afin de fermer les autres. La juridiction administrative écarte cette demande en rappelant entre autres qu’il incombe à l’employeur de prendre les mesures de précaution nécessaires et aux représentants du personnel de jouer un rôle de surveillance. On relèvera que la vision du rôle des représentants du personnel relevé par le Conseil d’État semble ici assez différente de celle de la cour d’appel de Versailles.
La loi du marché marque-t-elle réellement le pas devant le droit à la santé ? La réponse d’Amazon n’a pas tardé : tous les sites français ont été fermés… mais les clients peuvent poursuivre leurs commandes en passant par des entrepôts situés à l’étranger…
Versailles, 24 avr. 2020, n° 20/01993
Référence
■ CE, ord., 18 avril 2020, n° 440012
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