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[ 18 mars 2019 ] Imprimer

Droit des obligations

Anéantissement rétroactif du contrat : le primat de la restitution en nature

Les restitutions réciproques, conséquences nécessaires de l’anéantissement rétroactif d’un contrat de vente, doivent par principe être exécutées en nature et, seulement à défaut, en valeur.

Après avoir acheté auprès d’une société spécialisée une centrale photovoltaïque, un couple avait demandé en justice la résolution du contrat de vente, ainsi que la reprise par le vendeur du matériel vendu. Le couple fit alors grief aux juges d’appel d'avoir seulement ordonné, au titre de l'annulation du contrat, la reprise de la chose, sans prescrire la restitution du prix de vente alors, selon le moyen, que la nullité d'un contrat oblige le juge à remettre les choses au statu quo ante, comme si les obligations nées du contrat n'avaient jamais existé ; que ce dernier doit, dès lors, ordonner les restitutions rendues nécessaires par l'exécution des obligations postérieurement annulées ; or au cas évoqué, la cour d'appel, qui avait pourtant expressément constaté que le prix stipulé au contrat avait été intégralement payé au vendeur, s’était limitée à prononcer la nullité du contrat et à ordonner la restitution des panneaux, alors qu’elle aurait pu également décider la restitution du prix payé ; ainsi  n’avait-elle pas, selon les demandeurs au pourvoi, tiré les conséquences de ses propres constatations.

La thèse du pourvoi est rejetée par la Cour de cassation au motif que l'annulation d'une vente entraînant de plein droit la remise des parties en l'état où elles se trouvaient antérieurement à sa conclusion, la cour d'appel n'était pas tenue, à défaut de demande expresse en ce sens, d'ordonner la restitution du prix en même temps que la reprise de la chose vendue. 

Les contrats conclus avant l’ordonnance du 10 février 2016, ayant mis fin à l’effet rétroactif traditionnellement attaché à la résolution (Sur ce point, V. S. Porchy-Simon, Les obligations, Dalloz, n° 650 s.), demeurent soumis au droit antérieur. Or comme le précisait l’ancien article 1183 du Code civil, la résolution remet rétroactivement en cause le contrat inexécuté, ce qui donne nécessairement lieu à des restitutions entre les parties (Civ. 3e, 22 juill. 1992, n° 90-18.667), selon des règles communes à celles applicables à la nullité du contrat (Civ. 1re, 24 sept. 2002, n° 00-21.278).

L’effet essentiel de l’annulation est d’entraîner la disparition rétroactive du contrat, conduisant à un retour au statu quo ante (pour une formulation en termes de principe avant la réforme : Civ. 1re, 15 mai 2001, n° 99-20.597). Cette règle est désormais énoncée à l’article 1178 alinéa 2 du Code civil selon lequel « Le contrat annulé est censé n’avoir jamais existé ». Compte tenu de cet effet, le juge annulant le contrat doit procéder à des remises en état afin d’effacer, dans la mesure du possible, les effets créés par la convention annulée.

Mais ce retour au statu quo ante pose souvent des difficultés d’application, car il suppose de procéder à des restitutions entre les parties dont les modalités sont souvent soit obscures dans leur principe, soit délicates dans leur mise en œuvre. Ainsi, jusqu’à l’ordonnance de 2016, le Code civil ne contenait-il aucune règle générale relative aux restitutions, qu’elles soient consécutives à l’annulation du contrat ou à d’autres hypothèses, telle que la résolution. Les principales difficultés concernaient les restitutions portant, comme en l’espèce, non pas sur une somme d’argent, mais sur une chose. Dans un tel cas, il était cependant majoritairement admis que celles-ci devaient, par principe, être opérées en nature ; ce n’était que dans l’hypothèse où la restitution en nature des prestations était matériellement impossible que les juges admettaient qu’elles fussent effectuées en valeur, valeur estimée au jour de la restitution (Civ. 1re, 11 juin 2002, n° 00-15.297). Cette règle jurisprudentielle est désormais expressément consacrée par l’article 1352 nouv. du Code civil. 

Cette primauté reconnue à la restitution en nature justifie principalement la solution ainsi que, de manière plus implicite, l’absence de caractère indemnitaire de la créance en restitution du prix laquelle, ne constituant pas un dommage, ne peut être réclamée en sus de la restitution en nature. La suprématie ici confirmée de la restitution en nature des prestations du contrat annulé se conjugue à la supériorité naturelle reconnue à l’exécution forcée en nature du contrat inexécuté. Cette identique domination s’explique par plusieurs raisons.

Tout d’abord, elle respecterait la nature même du contrat dès lors que l’essence même d’une obligation est d’être exécutée telle quelle et que l’exécution en nature de l’obligation, que prolonge la restitution en nature de la prestation, soutient la force obligatoire du contrat ; de même que tant que l’exécution du contrat est possible, les parties se doivent d’y procéder, débiteur et créancier (C. civ., art. 1221 nouv. ; Civ. 1re, 16 janv. 2007, n° 06-13.983 : « la partie envers laquelle un engagement contractuel n’a point été exécuté a la faculté de forcer l’autre à l’exécution de la convention lorsque celle-ci est possible »), tant que la restitution en nature est possible, celle-ci doit être préférée à la restitution en valeur.

Ensuite, le Code civil lui-même prévoit que le créancier a le droit de demander que ce qui a été fait par contravention à l’engagement soit détruit (C. civ., art. 1222, art. 1143 anc.). Enfin, la loi admet que le droit à l’exécution en nature puisse jouer au-delà du cercle interne des parties au contrat (art. 1222 nouv., art. 1144 anc.) en effet, le créancier reçoit la possibilité de faire exécuter lui-même l’obligation aux dépens du débiteur lorsqu’il s’agit d’une obligation de faire, le débiteur pouvant même être condamné à avancer les sommes nécessaires à cette fin (art. 1222 al. 2 ; Civ. 3e, 5 mars 1997, n° 95-16.017), à la condition, toutefois, que le créancier l’ait préalablement mis en demeure d’y procéder (Civ. 3e, 11 janv. 2006, n° 04-20.142) et, surtout, qu’il y ait été autorisé par le juge (C. civ. art. 1222, al. 2).

En l’espèce, la restitution du prix n’avait pas être ordonnée car pour être obtenue en dépit de son caractère subsidiaire, les demandeurs auraient dû, précise la Cour, la réclamer expressément.

« Il faut tenir à une résolution parce qu’elle est bonne, non parce qu’on l’a prise » (La Rochefoucauld)

Civ. 1re, 6 févr. 2019, n°17-25.859

Références

■ Civ. 3e, 22 juill. 1992, n° 90-18.667

■ Civ. 1re, 24 sept. 2002, n° 00-21.278 P: D. 2003. 369, note J.-L. Aubert ; RTD civ. 2003. 284, obs. J. Mestre et B. Fages

■ Civ. 1re, 15 mai 2001, n° 99-20.597 P: D. 2001. 3086, obs. J. Penneau ; RDSS 2001. 780, obs. G. Mémeteau et M. Harichaux ; ibid. 781, obs. G. Mémeteau et M. Harichaux ; RTD civ. 2001. 699, obs. N. Molfessis

■ Civ. 1re, 11 juin 2002, n° 00-15.297 P: D. 2002. 3108, et les obs., note M.-A. Rakotovahiny ; RTD civ. 2003. 284, obs. J. Mestre et B. Fages ; RTD com. 2003. 156, obs. B. Bouloc

■ Civ. 1re, 16 janv. 2007, n° 06-13.983 P: D. 2007. 1119, note O. Gout ; ibid. 2966, obs. S. Amrani-Mekki et B. Fauvarque-Cosson ; RTD civ. 2007. 342, obs. J. Mestre et B. Fages

■ Civ. 3e, 5 mars 1997, n° 95-16.017 P: D. 1997. 95

 Civ. 3e, 11 janv. 2006, n° 04-20.142 P: D. 2006. 248, obs. Y. Rouquet ; ibid. 1406, chron. G. Lardeux ; ibid. 2007. 1827, obs. L. Rozès ; AJDI 2006. 561, obs. F. de La Vaissière

 

Auteur :Merryl Hervieu

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