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Droit administratif général
Annulation du décret du président de la République radiant M. Jean-Hugues Matelly des cadres de la gendarmerie nationale par mesure disciplinaire
Mots-clefs : Liberté d'expression, Obligation de réserve, Armée, Gendarmerie, Sanction disciplinaire, Manquement à la discipline, Radiation des cadres, Réintégration
Si les interventions médiatiques de M. Matelly critiquant la politique gouvernementale de rattachement de la gendarmerie au ministère de l'Intérieur constituent un manquement à la discipline, le choix de la sanction la plus sévère est quant à lui disproportionné par rapport au manquement à l'obligation de réserve a décidé le Conseil d'État dans un arrêt du 12 janvier 2011.
À la fin de l'année 2008, M. Matelly, chef d'escadron de la gendarmerie, avait cosigné un article sur le rapprochement police/gendarmerie publié sur un site Internet et participé à une émission de radio sur le même thème. Ces faits avaient conduit sa hiérarchie à le radier des cadres, sanction disciplinaire la plus élevée, par décret du président de la République en date du 12 mars 2010 (cette mesure mettant définitivement fin au lien entre le militaire et la gendarmerie).
M. Matelly avait alors formé devant le Conseil d'État un référé-suspension qui avait ordonné la suspension des effets les plus dommageables de la sanction infligée : la privation de rémunération et l'obligation de libérer son logement de fonction (CE, ord., 29 avr. 2010). L'arrêt du 12 janvier 2011 tranche ce litige au fond en considérant la sanction disciplinaire disproportionnée par rapport aux faits reprochés. En effet, depuis 1978 (CE 9 juin 1978), le Conseil d'État accepte de vérifier que l'appréciation de la gravité de la sanction prononcée par rapport aux fautes commises n'est pas entachée d'une erreur manifeste. Ainsi, en l'espèce, au regard de l'échelle des sanctions disciplinaires proposées par le Code de la défense (art. L. 4137-1 et L. 4137-2 C. défense), le juge administratif considère que la sanction disciplinaire appliquée au chef d'escadron Matelly est manifestement disproportionnée par rapport aux manquements à l'obligation de réserve demandée aux militaires (art. L. 4121-2 C. défense).
Dans cette décision, le Conseil d'État retient que les propos litigieux expriment « une critique de fond présentée comme une défense du corps d'appartenance de l'intéressé et formulée en termes mesurés sans caractère polémique ». Par ailleurs, le Conseil retient également l'excellente manière de servir du gendarme. C'est pourquoi, les juges du Palais Royal considèrent qu'il était possible de décider d'une sanction disciplinaire moindre et cite, par exemple, la possibilité, en l'espèce, pour l'autorité disciplinaire, de prendre une mesure de retrait d'emploi allant jusqu'à douze mois (art. L. 4138-15 C. défense). Ainsi la sanction disciplinaire prononcée à l'égard de M. Matelly est manifestement excessive. Le Conseil d'État enjoint au ministre de la Défense de réintégrer le chef d'escadron à la date de sa radiation des cadres de la gendarmerie nationale.
CE 11 janvier 2011, M. Jean-Hugues Matelly, n° 338461
Références
« Procédure permettant au juge des référés administratif, en cas d'urgence, quand une décision administrative fait l'objet d'un recours en annulation ou en réformation, d'en suspendre l'exécution quand il est invoqué contre elle un moyen propre à créer un doute sérieux quant à sa légalité. »
« Une obligation de réserve pèse sur les fonctionnaires et sur les magistrats (v. pour ces derniers art. 43 et 79 Ord. no 58-1270 du 22 déc. 1958). Elle impose à celui qui y est soumis, tant dans l'exercice qu'en dehors de ses fonctions, un devoir particulier de loyalisme à l'égard de l'État et des autorités publiques, l'interdiction de toute parole, de tout écrit, de toute attitude qui se révéleraient incompatibles avec la fonction. Cette obligation doit être respectée même dans l'exercice d'un mandat syndical. Le manquement à l'obligation de réserve est apprécié en fonction du poste occupé par le fonctionnaire ou le magistrat, du caractère et de la forme donnés à la manifestation critiquée. »
« Théorie jurisprudentielle imaginée par les juridictions administratives pour étendre leur contrôle sur le pouvoir discrétionnaire de l'Administration, leur permettant face à ce qu'elles considèrent comme des erreurs particulièrement flagrantes de celle-ci, de contrôler l'appréciation des faits à laquelle elle s'est livrée. »
Sources : Lexique des termes juridiques 2011, 18e éd., Dalloz, 2010.
■ Code de la défense
« Sans préjudice des sanctions pénales qu'ils peuvent entraîner, les fautes ou manquements commis par les militaires les exposent :
1° A des sanctions disciplinaires prévues à l'article L. 4137-2 ;
2° A des sanctions professionnelles prévues par décret en Conseil d'État, qui peuvent comporter le retrait partiel ou total, temporaire ou définitif, d'une qualification professionnelle.
Pour un même fait, une sanction disciplinaire et une sanction professionnelle peuvent être prononcées cumulativement.
Le militaire à l'encontre duquel une procédure de sanction est engagée a droit à la communication de son dossier individuel, à l'information par son administration de ce droit, à la préparation et à la présentation de sa défense. »
« Les sanctions disciplinaires applicables aux militaires sont réparties en trois groupes :
1° Les sanctions du premier groupe sont :
a) L'avertissement ;
b) La consigne ;
c) La réprimande ;
d) Le blâme ;
e) Les arrêts ;
f) Le blâme du ministre ;
2° Les sanctions du deuxième groupe sont :
a) L'exclusion temporaire de fonctions pour une durée maximale de cinq jours privative de toute rémunération ;
b) L'abaissement temporaire d'échelon ;
c) La radiation du tableau d'avancement ;
3° Les sanctions du troisième groupe sont :
a) Le retrait d'emploi, défini par les dispositions de l'article L.4138-15 ;
b) La radiation des cadres ou la résiliation du contrat.
Les sanctions disciplinaires ne peuvent se cumuler entre elles à l'exception des arrêts qui peuvent être appliqués dans l'attente du prononcé de l'une des sanctions des deuxième et troisième groupes qu'il est envisagé d'infliger.
En cas de nécessité, les arrêts et les consignes sont prononcés avec effet immédiat. Les arrêts avec effet immédiat peuvent être assortis d'une période d'isolement.
Les conditions d'application du présent article font l'objet d'un décret en Conseil d'État. »
« Les opinions ou croyances, notamment philosophiques, religieuses ou politiques, sont libres.
Elles ne peuvent cependant être exprimées qu'en dehors du service et avec la réserve exigée par l'état militaire. Cette règle s'applique à tous les moyens d'expression. Elle ne fait pas obstacle au libre exercice des cultes dans les enceintes militaires et à bord des bâtiments de la flotte.
Indépendamment des dispositions du code pénal relatives à la violation du secret de la défense nationale et du secret professionnel, les militaires doivent faire preuve de discrétion pour tous les faits, informations ou documents dont ils ont connaissance dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de leurs fonctions. En dehors des cas expressément prévus par la loi, les militaires ne peuvent être déliés de cette obligation que par décision expresse de l'autorité dont ils dépendent.
L'usage de moyens de communication et d'information, quels qu'ils soient, peut être restreint ou interdit pour assurer la protection des militaires en opération, l'exécution de leur mission ou la sécurité des activités militaires. »
« Le retrait d'emploi par mise en non-activité est prononcé pour une durée qui ne peut excéder douze mois. À l'expiration de la période de non-activité, le militaire en situation de retrait d'emploi est replacé en position d'activité.
Le temps passé dans la position de non-activité par retrait d'emploi ne compte ni pour l'avancement ni pour l'ouverture et la liquidation des droits à pension de retraite. Dans cette position, le militaire cesse de figurer sur la liste d'ancienneté ; il a droit aux deux cinquièmes de sa solde augmentée de l'indemnité de résidence et du supplément familial de solde. »
■ CE, ord., 29 avr. 2010, Matelly, AJDA 2010. 927.
■ CE 9 juin 1978, M. Lebon, Lebon 245.
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