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Anonymat du tiers donneur de gamètes : conformité du principe à la Convention EDH
Mots-clefs : AMP, Gamètes, Tiers donneur, Anonymat, Contrôle de conventionnalité, Convention EDH, Conformité
Le principe d’anonymat des tiers donneurs de gamètes n’est pas incompatible avec les stipulations de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et notamment avec son article 8, qui garantit le droit au respect de la vie privée et familiale.
En interdisant la divulgation de toute information sur les données personnelles d'un donneur de gamètes, le législateur a établi un juste équilibre entre les intérêts en présence, en sorte qu’une telle interdiction n'est pas incompatible avec les stipulations de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (Conv. EDH). Tel est l’enseignement de l’avis rapporté, émis par le Conseil d’État à destination du tribunal administratif de Paris qui l’avait saisi.
Rappelons que dans le cadre d’une aide médicale à la procréation, l’embryon doit être conçu avec les gamètes d’au moins l’un des membres du couple et qu’en cas de recours à un tiers donneur, ce dernier doit rester anonyme, en conséquence de quoi l’enfant ne pourra voir son lien de filiation établi avec lui.
La question de la conformité de ce dispositif à la Conv. EDH, qui fonde dans l’ordre externe à la fois le droit au respect de la vie privée et familiale et celui de connaître ses origines personnelles, méritait donc d’être posée. D’ailleurs, elle l’avait déjà été lors de la dernière révision des lois « bioéthique » : « le don de gamète n'est pas comparable à un don de sang ou d'organe, tout simplement parce qu'une cellule reproductrice est à l'origine de la conception et de la venue au monde d'une personne humaine » (v. X. Breton).
Pourtant, lorsque le législateur a admis le don de gamètes, il a repris, pour l'essentiel, les règles déjà existantes en matière de don du sang (CCNE, avis n° 105, Questionnement pour les États généraux de la bioéthique, p. 6). Au nombre de celles-ci, il a consacré la règle de l'anonymat du tiers donneur qui, depuis lors, fut érigée en principe général en matière de don et d'utilisation des éléments et produits du corps humain (C. civ., art. 16-8. – CSP, art. L. 1211-5). Ainsi ignorait-il, cependant, la spécificité d’une cellule sexuelle qui, à la différence des autres éléments et produits du corps humain, est prélevée et utilisée pour permettre la naissance d'un enfant. Or, il apparut rapidement que pour de nombreux enfants nés à la suite d'un don de sperme ou d'ovocyte, il était important de connaître sinon l'identité du donneur, du moins un certain nombre d'éléments le concernant (v. A. Kermalvezen – G. Delaisi de Parseval – I. Théry).
Lorsqu’il fallut réviser les lois « bioéthique », le gouvernement avait alors, sous l’influence du Conseil d’État, entendu cet appel. En effet, le projet de loi prévoyait, dans ses articles 14 à 18, de régler cette situation complexe en rendant possible la levée de l'anonymat du tiers donneur et l'accès à certaines données le concernant. Précisément, le texte proposait que les enfants nés à la suite d'un don de gamètes pourraient, s'ils en exprimaient le souhait après leur majorité, accéder à certaines informations « non identifiantes » : l'âge du donneur, son état de santé, ses caractéristiques physiques, sa situation familiale, sa catégorie socioprofessionnelle, sa nationalité, et enfin, les motivations de son don. Le projet prévoyait, également, un accès à l'identité du donneur, à la condition que celui-ci, informé de la demande, y consente. La dissipation du secret des origines biologiques de l'enfant relevait donc d’une logique libérale, fondée sur l’expression de volontés libres :
– celle de l'enfant devenu majeur tout d'abord, ce qui aurait permis à ceux ne souhaitant pas accéder à cette vérité de continuer à l’ignorer ;
– celle du donneur, ensuite, qui aurait pu, en cas de demande de l'enfant, choisir de conserver l'anonymat ou, au contraire, consentir à ce qu’un enfant né de leur geste fût en mesure d'accéder à son nom.
À l’inverse, l’autorité indépendante compétente recommandait de maintenir l'anonymat des donneurs, tout en concédant que le débat restait ouvert (CCNE, avis n° 105, Questionnement pour les États généraux de la bioéthique, p. 7).
Finalement, pour des raisons qui tiennent tant à la prise en compte des craintes de tarissement des dons exprimés par les professionnels du secteur qu'à la préservation de la paix des familles, les deux chambres du Parlement ont rejeté cette ouverture dès la première lecture.
Pour les mêmes raisons, le Conseil d’État consacre aujourd’hui ce qu’il remettait en cause hier, à savoir la compatibilité de ce principe d’anonymat avec le droit au respect de la vie privée et familiale comme avec celui de l’enfant d’accéder à ses origines personnelles. Il estime que la législation française qui garantit l’anonymat du donneur tout en permettant à l’enfant d’avoir accès, par exception, à des données non identifiantes sur celui-ci, ne heurte pas la Convention dès lors que le législateur national dispose d’une marge d’appréciation pour concilier les intérêts en présence.
Contre vents et marées, le droit français maintient donc le statu quo et marque ainsi son opposition à la prise en compte « de désirs dont nul ne connaît les limites et la versatilité » (v. C. Labrusse-Riou).
CE, avis, 13 juin 2013, n° 362981
Références
■ X. Breton, AN, 1re séance, 10 févr. 2011, JOAN CR 11 févr., p. 971.
■ A. Kermalvezen, Né de spermatozoïde inconnu, Presses de la renaissance, 2008.
■ G. Delaisi de Parseval, « Comment entendre les demandes de levée du secret des origines ? », Esprit mai 2009.
■ I. Théry, « Anonymat des dons d'engendrement : le grand malentendu du débat français », Andrologie 2010, vol. 20, n° 1, p. 110.
■ Conseil d’État, La révision des lois de bioéthique, La Documentation française, 2009, p. 52.
■ C. Labrusse-Riou, in Le droit, la médecine et l’être humain, PUAM, 1996, p. 213.
■ Article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des libertés et des droits fondamentaux – Droit au respect de la vie privée et familiale
« Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »
« Aucune information permettant d'identifier à la fois celui qui a fait don d'un élément ou d'un produit de son corps et celui qui l'a reçu ne peut être divulguée. Le donneur ne peut connaître l'identité du receveur ni le receveur celle du donneur.
En cas de nécessité thérapeutique, seuls les médecins du donneur et du receveur peuvent avoir accès aux informations permettant l'identification de ceux-ci. »
■ Article L. 1211-5 Code de la santé publique
« Le donneur ne peut connaître l'identité du receveur, ni le receveur celle du donneur. Aucune information permettant d'identifier à la fois celui qui a fait don d'un élément ou d'un produit de son corps et celui qui l'a reçu ne peut être divulguée.
Il ne peut être dérogé à ce principe d'anonymat qu'en cas de nécessité thérapeutique. »
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