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[ 24 septembre 2020 ] Imprimer

Procédure civile

Appel abusif : nécessité de caractériser une faute

Seule une faute de l’appelant faisant dégénérer en abus l’exercice de la voie de recours qui lui était ouverte peut donner lieu à l’octroi de dommages et intérêts pour appel abusif. 

A la suite du décès de leurs parents, les sept enfants se sont retrouvés en indivision sur différents immeubles. Un des indivisaires est décédé laissant pour lui succéder ses quatre enfants qui ont hérité de ses droits dans l’indivision. Des difficultés sont survenues au cours des opérations de partage de ladite indivision. 

A la suite de l’appel interjeté par les petits enfants, la cour d’appel d’Aix-en-Provence a rendu, le 16 mai 2018, un arrêt ordonnant le partage et la liquidation de la succession de leurs grands-parents. Elle a jugé que les conditions posées par l’article 1360 du Code de procédure civile relatives à la recevabilité de l’assignation en partage étaient réunies. Notamment les diligences entreprises par les demandeurs en vue de parvenir à un partage amiable étaient justifiées, puisque l’un des petits enfants, agissant pour le compte de l’héritage de son père, avait fait savoir qu’il s’opposait à la proposition de partage faite par le notaire. La cour d’appel les a également condamnés à verser 2 000 euros de dommages et intérêts aux autres indivisaires, en raison de leur appel, apparaissant dénué d’objet sérieux, qui revêtait un caractère abusif leur causant nécessairement un préjudice.

Les petits-enfants ont alors formé un pourvoi devant la Cour de cassation en faisant valoir d’une part que selon eux, la cour d’appel n’a pas indiqué précisément quelles diligences les demandeurs avaient entreprises en vue de parvenir à un partage amiable. D’autre part, pour faire l’objet d’une condamnation pour appel abusif, celui-ci suppose l’existence de circonstances de nature à faire dégénérer en faute le droit de l’appelant d’agir en justice. Or, la cour n’a pas caractérisé en quoi l’appel constituait un abus du droit d’agir.

La Cour de cassation a rendu un arrêt de cassation partielle. Elle rejette le moyen relatif à l’irrecevabilité de l’assignation en partage, car il ne tendait qu’à remettre en discussion devant elle les appréciations souveraines de la cour d’appel, qui a parfaitement apprécié la recevabilité de ladite assignation. 

En revanche, l’analyse opérée par la cour d’appel sur l’appel abusif ne la convainc pas. En effet, selon les articles 1382 (devenu 1240), du Code civil et 559 du Code de procédure civile, seule une faute de l’appelant faisant dégénérer en abus l’exercice de la voie de recours qui lui était ouverte peut donner lieu à l’octroi de dommages et intérêts pour appel abusif. Or, en l’espèce, la cour d’appel n’a pas caractérisé les circonstances de nature à faire dégénérer en abus l’exercice par l’appelant de son droit d’appel. 

Interjeter appel est une manière pour l’appelant d’exercer son droit d’agir en justice. Or, ce droit n’est pas absolu et est susceptible d’abus. L’abus du droit d’appel est prévu par l’article 559 du Code de procédure civile qui dispose : « En cas d'appel principal dilatoire ou abusif, l'appelant peut être condamné à une amende civile d'un maximum de 10 000 euros, sans préjudice des dommages-intérêts qui lui seraient réclamés. ». Ces sanctions ne peuvent donc être prononcées qu’à l’encontre de l’appelant. 

La Cour de cassation a eu l’occasion, à plusieurs reprises, de préciser la notion d’appel abusif. Ainsi, elle a affirmé que « l'exercice d'une action en justice constitue un droit et ne dégénère en abus pouvant donner lieu à des dommages et intérêts qu'en cas de malice, de mauvaise foi, ou d'erreur grossière équivalente au dol » (V. not. Civ. 1re, 3 mars 2009, no 07-19.577). Pour la Cour européenne des droits de l’homme, « lorsqu'un tribunal est invité à statuer sur une demande, celle-ci doit être présumée réelle et sérieuse, sauf si des éléments clairs indiquent le contraire et peuvent justifier la conclusion qu'elle est frivole, vexatoire ou autrement dépourvue de justification » (V. not. CEDH 14 juin 2016, Buczek c/ Pologne, no 31667/12).

Il appartient donc aux juges du fond de dire en quoi l’appel était abusif. A l’origine, le décret no 72-788 du 28 août 1972 (art. 113) exigeait une décision spécialement motivée, mais cette exigence a été supprimée par l’article 559 du Code de procédure civile. En revanche, la Cour de cassation n’a pas hésité à censurer les arrêts condamnant l’appelant à une amende ou à des dommages et intérêts sans préciser en quoi l’appel était abusif. Ce qui signifie que même en l’absence de motivation spéciale, les juges doivent obligatoirement faire ressortir dans leurs arrêts en quoi l’appel était abusif. 

A titre d’exemple, la Cour de cassation a cassé un arrêt, au visa des articles 559 du Code de procédure civile et 1382, ancien, du Code civil, qui avait condamné des appelants à verser aux intimés des dommages et intérêts pour appel abusif en raison de la multiplicité des griefs invoqués et de leur caractère peu sérieux qui témoignaient d'un abus de procédure. La cour d’appel n’avait pas caractérisé une faute faisant dégénérer en abus le droit de relever appel de la décision de première instance (Civ. 3e, 22 sept. 2016, no 15-20.826, V. aussi : Civ. 2e, 19 mai 2016, no 15-17.408).

Dans le cas d’espèce, la cour d’appel n’ayant pas caractérisé une faute de nature à faire dégénérer en abus l’exercice par les appelants de leur droit d’appel, la Cour de cassation a cassé l’affaire sans la renvoyer devant les juges du fond en application de l’article 627 du Code de procédure civile, et selon l’article L. 411-3, alinéa 2, du Code de l’organisation judiciaire, a statué au fond puisque l’intérêt d’une bonne administration de la justice le justifiait. 

Ainsi, la Cour a décidé qu’aucune faute précise ne pouvait être reprochée aux petits enfants, qu’en conséquence la demande tendant au paiement de dommages et intérêts pour procédure abusive a été rejetée. 

Civ. 1re, 2 sept. 2020, no 18-25.642

 

Auteur :Emmanuelle Arnould


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