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Droit des obligations
Application de la convention d’honoraires même en cas de dessaisissement de l’avocat par son client
Une convention d’honoraires prévoyant le montant de l’honoraire de diligence dû à l’avocat peut recevoir application même après son dessaisissement dès lors qu’elle a prévu les modalités de cette rémunération dans cette hypothèse.
Civ. 2e, 27 mai 2021, n° 19-23.733
Un client avait confié la défense de ses intérêts à un avocat puis l’avait dessaisi de son mandat avant le terme de sa mission. Il avait alors demandé la restitution des honoraires versés pour les prestations réalisées, saisissant à cette fin le bâtonnier de l’ordre des avocats. Insatisfait du montant évalué par le bâtonnier, le client interjeta appel de sa décision. Puis ce fut au tour de son avocat de contester cette décision, reprochant à la juridiction d’appel d’avoir fixé la somme à restituer à son client sur la base de critères légaux (L. n° 71-1130 du 31 décembre 1971, art. 10), alors qu’une convention d’honoraires signée entre les parties prévoyait expressément les modalités de sa rémunération dans l’hypothèse, qui s’était réalisée, de son dessaisissement. Or la cour d’appel avait retenu que l’avocat ayant été dessaisi avant le terme de sa mission, il ne pouvait se prévaloir de cette convention devenue, du fait de son dessaisissement, inapplicable. Selon le demandeur au pourvoi, la juridiction du second degré aurait ainsi statué au mépris de la loi des parties et donc du principe fondateur du droit commun de la force obligatoire du contrat.
La Cour de cassation approuve la thèse du pourvoi, cassant en conséquence la décision des juges du fond. Selon la Haute juridiction, il résulte en effet de la combinaison des articles 1134, devenu 1103 du Code civil et 10 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, dans sa version applicable au litige, qu’une convention d’honoraires prévoyant le montant de l’honoraire de diligence de l’avocat peut recevoir application lorsqu’elle a prévu les modalités de cette rémunération en cas de dessaisissement dès lors qu’il n’a pas encore été mis fin à l’instance par un acte ou une décision juridictionnelle irrévocable. Partant, en statuant comme elle l’a fait alors que le dessaisissement de l’avocat ne rendait pas inapplicable la convention qui avait prévu et organisé, dans cette hypothèse, les modalités de paiement de son honoraire de diligence, la cour d’appel a violé les textes susvisés.
L’article 10, alinéa 3, de la loi du 31 décembre 1971, modifié par l’article 51 de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 dite « loi Macron », a généralisé l’exigence d’une convention écrite d’honoraires entre l’avocat et son client. La question de la sanction de cette règle nouvelle s’est alors rapidement posée : sa portée est en effet susceptible de différer selon que l’on considère que l’écrit est exigé ad validitatem ou ad probationem (v. D. Piau, Règles de la profession d’avocat, Dalloz action 2017-2018, n° 713-13). Or cette distinction classique appliquée à l’exigence de l’écrit a une incidence directe sur le pouvoir du juge d’intervenir sur la rémunération convenue entre les parties.
■ Dans le premier cas, l’absence de convention écrite revient en principe à priver l’avocat de toute rémunération. Selon cette approche, la convention d’honoraires est érigée en contrat solennel, l’absence d’écrit conduisant logiquement à la nullité de cette convention et donc à l’absence de droit de l’avocat à percevoir des honoraires, sauf à ce qu’il fonde son action sur le terrain quasi-contractuel de l’enrichissement injustifié ou de la gestion d’affaires, devant le juge de droit commun. Cependant, dès avant la loi Macron, le juge avait tempéré ces conséquences inhérentes à l’anéantissement rétroactif du contrat d’honoraires en admettant de fixer leur montant en fonction des critères légalement mentionnés à l’article 10 dans sa rédaction antérieure, (Toulouse, 20 juill. 2015, n° 15/01433 ; Civ. 1re, 14 janv. 2016, n° 15-10.130), qui imposait que fût fixé le montant ou du moins, le mode de détermination des honoraires couvrant les diligences prévisibles, ainsi que les divers frais et débours. Les critères désormais posés par l’alinéa 4 de l’article 10 de la loi du 31 décembre 1971 se réfèrent de manière plus exhaustive aux usages, à la situation de fortune du client, à la difficulté de l’affaire, aux frais exposés par l’avocat, à sa notoriété ainsi qu’aux diligences de celui-ci.
■ Dans le second cas, l’existence d’une convention écrite est exigée ad probationem afin d’apporter la preuve des modalités de détermination de l’honoraire faisant qu’en présence d’une telle convention, le juge ne pourra qu’en appliquer les critères contractuellement convenus entre les parties sans pouvoir les modifier, sauf à user de son pouvoir de réduction du montant des honoraires. Il doit alors être ici rappelé que la règle selon laquelle les honoraires de l'avocat peuvent, en cas d'excès, être réduits, est ancienne. Historiquement, la Cour de cassation a d'abord reconnu aux juges du fond un pouvoir souverain de réduction de la rémunération des mandataires indiquant, par un arrêt de principe en date du 12 janvier 1863, que les juges du fond avaient "le droit et le devoir de rechercher le rapport de l'importance des soins, démarches et peines des mandataires, avec l'importance de la rémunération convenue, et de la réduire dans le cas où elle [leur] paraîtrait excessive" (Req., 12 janv. 1863). Rappelée de façon constante, la solution est devenue traditionnelle (Civ. 29 janv. 1867 ; Req. 28 mai 1913 ; Com., 23 mai 1978, n° 77-11.601). Le pouvoir souverain des juges du fond a ensuite été étendu, durant la seconde moitié du vingtième siècle, aux honoraires des professions libérales, à la condition toutefois que le bénéficiaire de la prestation n'ait pas, après la fin de l'opération, reconnu devoir, à celui qui la lui a fournie, la somme réclamée (Civ. 1re, 19 janv. 1970, n° 68-13.859 ; Civ. 1re, 3 juin 1986, n° 85-10.486 ; Civ. 1re, 2 avr. 1997, n° 95-17.606). Ainsi, pour la fixation des honoraires de l’avocat, la Cour de Cassation admet-elle qu’ils puissent être réduits même s’il existe une convention d’honoraires en ayant fixé le montant (Civ. 1re, 3 mars 1998, n° 95-15.799). L’immutabilité du prix déterminé par les parties cède dans ce cas d’exception justifié par l’excès du montant de la rémunération. Cette solution d’équité s’explique pas le désir des magistrats de protéger les usagers contre certains professionnels dont il est difficile d’apprécier la réalité et la valeur des prestations avant qu’elles n’aient été exécutées.
Dans cette seconde hypothèse, il est donc finalement question d’admettre que le juge puisse, par dérogation au principe de non-immixtion judiciaire dans le contrat, en réviser le prix alors que la première suppose de lui reconnaître, plus radicalement, le pouvoir de le fixer.
C’est finalement la seconde branche de l’option - le principe du droit aux honoraires en dépit de l’absence de convention écrite – qui fut retenue par certains juges du fond (Aix-en-Provence, 19 mai 2017, 16/19160), après que la première ait d’abord été privilégiée (Papeete, ord., 2 août 2017, n° 17/00008), cette évolution ne pouvant être qu’approuvée non seulement parce que la « loi Macron », n’assortit le défaut de convention d’honoraires écrite d’aucune sanction mais aussi et surtout, parce que la solution initialement retenue revenait à priver l’avocat de la juste rémunération de son travail (v. en ce sens D. 2017. 2410, J.-D. Pellier, « L’avocat travaillerait-il gratuitement ? », note sous Papeete, 2 août 2017 et Civ. 2e, 6 juill. 2017, n° 16-19.354).
La position de la Cour de cassation était donc légitimement attendue. Par le présent arrêt, elle confirme le choix de la seconde branche de l’alternative, dont il résulte que le juge, lié par l’accord des parties sur les honoraires convenus, ne peut en conséquence en modifier les modalités de paiement en y substituant les critères légaux. La force obligatoire du contrat rendait sans incidence le dessaisissement de l’avocat : cette possibilité ayant été conventionnellement prévue, sa survenance laissait inchangée l’applicabilité du contrat conclu ayant expressément prévu, dans cette hypothèse, les modalités de paiement de l’honoraire de résultat convenu. Pour le même motif, la Chambre commerciale de la Cour de cassation avait précédemment jugé que "sauf si elle est affectée d'une cause de nullité dont il appartient à celui qui l'invoque de rapporter la preuve, la convention d'honoraires soumise par l'avocat à son client et acceptée par celui-ci fait la loi des parties" (Com. 22 nov. 1994, n° 93-10.150) : c’est bien, comme on l'a relevé, "que la décision de faire abstraction d'un accord des parties sur le prix définitif ne va pas de soi, qu'elle heurte directement le principe de la force obligatoire du contrat" (F. Labarthe et C. Noblot, Le contrat d'entreprise, 2008, LGDJ, n° 437).
Ceci posé, il convient de tempérer la portée de la solution ici rendue : l’écrit n’étant requis qu’ad probationem, son absence ne prive donc pas l’avocat de son droit à être rémunéré pour les diligences accomplies, à la condition que celles-ci aient été prévisibles. Cette affirmation du principe du droit aux honoraires en dépit de l’absence de convention ne doit cependant pas occulter l’hypothèse plus exceptionnelle, mais qui était celle de l’espèce, où le paiement de l’honoraire convenu dépend du résultat obtenu. En effet, l’absence de convention en matière d’honoraires de résultat est, quant à elle, sanctionnée de longue date par l’absence de tout droit à honoraires de résultat (v. Civ. 1re, 26 mai 1994, n° 92-17.758 ; Civ. 1re, 3 mars 1998, nos 95-21.387 et 95-21.053 ; Civ. 1re, 23 nov. 1999, n° 96-15.922).
L’exigence de l’écrit redevient ad validitatem, en sorte que l’avocat en l’espèce mis en cause avait bien fait de la respecter, en accord avec son client. Autrement dit, demeure inchangée par l’arrêt rapporté la règle selon laquelle le défaut de convention écrite anéantit le droit de l’avocat à demander le paiement de cette rémunération.
Références :
■ Toulouse, 20 juill. 2015, n° 15/01433
■ Civ. 1re, 14 janv. 2016, n° 15-10.130 P: D. 2016. 207 ; ibid. 2017. 74, obs. T. Wickers ; D. avocats 2016. 43, obs. L. Dargent
■ Req. 12 janv. 1863: DP, 1863,1, 302
■ Civ. 29 janv. 1867: DP, 1867, 1, 53, GAJC, n° 266
■ Req, 28 mai 1913: S., 1915, 1, 116
■ Com. 23 mai 1978, n° 77-11.601 P
■ Civ. 1re, 19 janv. 1970, n° 68-13.859 P
■ Civ. 1re, 3 juin 1986, n° 85-10.486 P
■ Civ. 1re, 2 avr. 1997, n° 95-17.606 P: RTD civ. 1998. 372, obs. J. Mestre
■ Civ. 1re, 3 mars 1998, n° 95-15.799: Defrénois, 1998, p.743, obs. J.-L. Aubert ; D. 1998. 91 ; RTD civ. 1998. 901, obs. J. Mestre
■ Aix-en-Provence, 19 mai 2017, n° 16/19160: D. avocats 2018. 117, obs. G. Deharo
■ Papeete, ord., 2 août 2017, n° 17/00008: D. 2017. 2410, note J.-D. Pellier ; ibid. 2018. 87, obs. T. Wickers, A.-L. Blouet Patin, « Pas de convention, pas d’honoraire ! », Lexbase, 18 sept. 2017
■ Civ. 2e, 6 juill. 2017, n° 16-19.354: D. 2017. 2410, note J.-D. Pellier ; ibid. 1868, chron. E. de Leiris, N. Touati, O. Becuwe, G. Hénon et N. Palle ; ibid. 2018. 87, obs. T. Wickers ; D. avocats 2017. 364, obs. G. Deharo
■ Com. 22 nov. 1994, n° 93-10.150 P
■ Civ. 1re, 26 mai 1994, n° 92-17.758: D. 1995. 169, obs. A. Brunois
■ Civ. 1re, 23 nov. 1999, n° 96-15.922 P: D. 2000. 2
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