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[ 1 avril 2020 ] Imprimer

Droit de la responsabilité civile

Application de la loi Badinter aux tramways : la Cour de cassation montre la voie

La Cour de cassation vient d’apporter d’importantes précisions sur la notion de voie propre, qui permet d’exclure les tramways des véhicules régis par la loi « Badinter » relative aux accidents de circulation. 

Selon l’article 1er  de la loi du 5 juillet 1985, dite Badinter, celle-ci ne s’applique pas aux chemins de fer ni aux « tramways circulant sur des voies qui leur sont propres ». Critère unique d’exclusion de l’application de la loi aux tramways, la notion de voie propre n’a pourtant jamais été définie par le législateur. 

Peu d’arrêts étant depuis venus combler cette lacune, celui rapporté, palliant ce manque avec une singulière exhaustivité, mérite donc une attention particulière. 

Dans cette affaire, la victime, heurtée par un tramway, avait assigné la société de transport ainsi que son assureur en indemnisation de l’intégralité de son préjudice sur le fondement de la loi du 5 juillet 1985. 

En première instance puis en appel, sa demande fut rejetée. 

Devant la Cour de cassation, elle reprochait aux juges du fond d’avoir motivé leur décision par le fait que « l’accident avait eu lieu sur une portion de voie réservée à la circulation du tramway l’ayant percutée » et d’avoir ainsi « ajouté à la loi une condition qu’elle ne comporte pas relative à la nécessité que la voie de circulation du tramway soit propre au lieu de l’accident ». 

Au contraire, les Hauts magistrats, procédant au rappel de l’article 1er de la loi précitée, approuvent la décision de la cour d’appel d’en avoir exclu l’application au litige : « Attendu qu’ayant relevé d’une part qu’au lieu de l’accident les voies du tramway n’étaient pas ouvertes à la circulation et étaient clairement rendues distinctes des voies de circulation des véhicules par une matérialisation physique au moyen d’une bordure légèrement surélevée afin d’empêcher leur empiétement, que des barrières étaient installées de part et d’autre du passage piétons afin d’interdire le passage des piétons sur la voie réservée aux véhicules, qu’un terre-plein central était implanté entre les deux voies de tramway visant à interdire tout franchissement, que le passage piétons situé à proximité était matérialisé par des bandes blanches sur la chaussée conduisant à un revêtement gris traversant la totalité des voies du tramway et interrompant le tapis herbeux et pourvu entre les deux voies de tramway de poteaux métalliques empêchant les voitures de traverser mais permettant le passage des piétons, et retenu d’autre part que le point de choc ne se situait pas sur le passage piétons mais sur la partie de voie propre du tramway après le passage piétons, c’est sans encourir les griefs du moyen que la cour d’appel a retenu que l’application de la loi du 5 juillet 1985 était exclue dès lors que l’accident avait eu lieu sur une portion de voie réservée exclusivement à la circulation du tramway ».

Ainsi, pour exclure l’application de la loi Badinter à l’espèce, la Haute cour retient que le tramway circulait sur une voie fermée à la voie normale de circulation routière, dont elle était matériellement, physiquement, séparée. 

Constitutifs d’une « voie propre », ces deux critères, déjà érigés par la Cour de cassation, présentent en l’espèce l’intérêt d’être à la fois précisés et réunis. Il serait alors possible de déduire de cet arrêt publié le principe nouveau selon lequel ces critères sont cumulatifs, ce que les juges du fond, face au flou entourant la notion, seront a priori enclins à adopter dans leur appréciation des accidents de circulation survenus dans cette configuration et ce qui conduirait, ainsi, à limiter le champ d’application de la loi Badinter.

Concernant le premier critère ici rappelé, la fermeture de la voie à la circulation, il s’appuie sur l’idée d’exclusivité de la circulation. Sous cet angle, la définition de la voie propre est presque intuitive : elle est celle sur laquelle seul l’engin peut circuler, ce qui est par exemple le cas des voies ferrées. Ainsi la Cour de cassation a-t-elle admis que les trains circulent toujours sur des voies qui leur sont propres, même à un passage à niveau (Civ. 2e, 19 mars 1997, n° 95-19.314). De manière plus générale, sont exclus du domaine d’application de la loi Badinter tous les véhicules circulant sur une voie ferrée qui leur est propre, en sorte que l’accident dans lequel est impliqué « le tramway circula(n)t sur une voie ferrée implantée sur la chaussée dans un couloir de circulation qui lui était réservé » ne relève pas de l’application de la loi » (Civ. 2e, 18 oct. 1995, n° 93-19.146). Une voie ferrée est donc nécessairement une voie propre. La décision rapportée précise qu’une voie simplement fermée à toute autre circulation de véhicules suffit à qualifier, à partir de ce premier critère, la voie empruntée par le tramway comme « propre » à ce dernier (comp. contra, Civ. 2e, 19 mars 1997, n° 95-19.314).

Concernant le second critère, il renvoie à l’idée de délimitation de la voie. Une voie propre est également une voie matériellement séparée de la voie normale de circulation automobile. C’est encore une fois le cas des voies ferrées mais les tribunaux ne se contentent pas de constater la présence de rails pour conclure à l’existence d’une voie propre ; ils relèvent également que la voie en question est séparée de la voie publique par des aménagements spécifiques (Ph. Le Tourneau, Droit de la responsabilité et des contratsDalloz Action, 2018/2019, n° 8092). 

Ainsi la Cour de cassation a-t-elle pu rejeter l’application de la loi s’agissant d’un accident dans lequel était impliqué un tramway aux motifs, d’une part, que celui-ci circulait sur une voie ferrée et, d’autre part, que celle-ci était délimitée « d'un côté par le trottoir et de l'autre par une ligne blanche continue » (Civ. 2e, 18 oct. 1995, n° 93-19.146). 

En revanche, dès lors qu’un tramway « traverse un carrefour ouvert aux autres usagers de la route », il ne circule plus sur une voie propre (Civ. 2e, 16 juin 2011, n° 10-19.491). 

En l’espèce, la Cour affine sa position antérieure en précisant que l’existence d’un passage protégé permettant la traversée de la voie du tramway par des piétons n’est pas de nature à faire perdre à celle-ci son caractère de voie propre. Cela signifierait donc que la loi du 5 juillet 1985 ne s’applique qu’en l’absence de la moindre délimitation matérielle, c’est-à-dire lorsque la voie sur laquelle est implantée la voie ferrée urbaine est indistinctement destinée à la circulation automobile (v. déjà, implicitement, Civ. 2e, 6 mai 1987, n° 85-13.912). Sous cette réserve, il semble que pour la Cour de cassation, la voie propre ne se caractérise pas par son inaccessibilité à tout autre mode de locomotion car une voie ferrée ou de tramway située en centre-ville, même étroitement délimitée, telle que celle de l’espèce, est traversée chaque jour par des piétons.

Le dernier élément déterminant l’exclusion de la loi tient à la situation du point de choc, qui doit être placé, au moins partiellement, sur la voie propre pour que soit exclue l’application de la loi ; s’il se trouve hors de cette zone, comme sur le passage piétons, la loi recouvre alors son domaine d’application.

Civ. 2e, 5 mars 2020, n° 19-11.411

Références

■ Civ. 2e, 19 mars 1997, n° 95-19.314 P: D. 1997. 100

■ Civ. 2e, 18 oct. 1995, n° 93-19.146

■ Civ. 2e, 16 juin 2011, n° 10-19.491P: D. 2011. 2184, obs. I. Gallmeister, note H. K. Gaba ; ibid. 2150, chron. J.-M. Sommer, L. Leroy-Gissinger, H. Adida-Canac et O.-L. Bouvier ; RTD civ. 2011. 774, obs. P. Jourdain

■ Civ. 2e, 6 mai 1987, n° 85-13.912 P

 

Auteur :Merryl Hervieu


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