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[ 6 mars 2015 ] Imprimer

Introduction au droit

Application de la loi dans le temps : la règle de la survie de la loi ancienne en matière contractuelle n’est pas absolue

Mots-clefs : Application de la loi dans le temps, Conflit de lois dans le temps, Loi nouvelle, Principe d’application immédiate, Exception, Survie de la loi ancienne, Effets futurs d’un contrat, Bail d’habitation, Effets légaux, Prérogative judiciaire, Délai de paiement, Suspension de la clause résolutoire, Retour au principe d’application immédiate (oui)

La loi nouvelle régissant immédiatement les effets légaux des situations juridiques ayant pris naissance avant son entrée en vigueur et non définitivement réalisées, il en résulte que l’article 24 de la loi 6 juillet 1989 modifié par la loi du 24 mars 2014 en ce qu’il donne au juge la faculté d’accorder un délai de trois ans au plus au locataire en situation de régler sa dette locative s’applique aux baux en cours à la date d’entrée en vigueur de la loi du 24 mars 2014.

À l’occasion d’un litige opposant un locataire à son bailleur, un juge d’instance avait saisi la Cour de cassation pour avis afin de savoir si la loi n°2014-366 du 24 mars 2014, dite « loi ALUR » s’applique aux baux d’habitation en cours et, plus précisément, si le pouvoir qu’elle confère au juge d’accorder un délai de paiement de trois ans au locataire, suspendant ainsi la résiliation du bail, peut s’exercer au profit du preneur, quoique la loi ALUR (art.14) n’ait pas inclus, au titre des dispositions immédiatement applicables, le texte fondant cette nouvelle prérogative judiciaire (art. 24 V nouv. de la loi n°89-462 du 6 juillet 1989). Au contraire, elle avait même précisé que les contrats de location en cours à la date d’entrée en vigueur de la loi demeureraient soumis aux dispositions antérieures.

Cette disposition était parfaitement conforme à l’exception traditionnelle apportée en matière contractuelle au principe de l’application immédiate de la loi nouvelle : la survie de la loi ancienne aux effets futurs des contrats conclus antérieurement à son entrée en vigueur.

En effet, si pour assurer l’unité de la législation, l’article 2 du Code civil érige en principe l’application immédiate de la loi nouvelle aux conditions de validité d’une situation, légale comme contractuelle, et aux effets à venir d’une situation légale, pour préserver cette fois la stabilité et la prévisibilité consubstantielles au contrat, une exception à ce principe a progressivement été admise dans le cas où le contrat a été conclu antérieurement à l’entrée en vigueur de la nouvelle loi : celle de l’application de la loi ancienne aux effets futurs, non encore produits, d’un contrat.

Cela étant, même si elles s’étaient plus ouvertement écartées des règles applicables en la matière, les dispositions transitoires prises par le législateur doivent, en toute hypothèse, être respectées ; ce n’est qu’en leur absence que le droit commun prévu à l’article 2 du Code civil trouve à s’appliquer.

Si la réponse semblait limpide, la question méritait, en vérité, d’être posée.

D’abord parce qu’elle en faisait naître immédiatement une autre, dans l’hypothèse d’une reconduction du bail postérieure à la loi nouvelle : le juge ne doit-il pas accorder, même d’office, des délais de paiement dès lors qu’une demande de suspension des effets de la clause résolutoire lui serait adressée ?

Ensuite, il était également possible de soutenir que cette nouvelle prérogative judiciaire doit pouvoir s’exercer immédiatement dans toute procédure engagée pour paralyser l’effet d’une clause résolutoire, dès lors que toutes les autres clauses du bail demeureraient soumises aux dispositions de la loi ancienne.

Et même concernant cette règle de survie de la loi ancienne, il n’était pas inenvisageable que le juge la contourne, puisqu’il y déroge souvent, considérant : 

– soit que le caractère d’ordre public particulièrement impérieux de la loi nouvelle justifie son application immédiate aux effets futurs d’un contrat (Com. 3 mars 2009) ;

– soit que le contenu du contrat est si impérativement fixé par la loi que le contrat doit être assimilé à une situation légale, justifiant que ses effets futurs soient régis par la loi nouvelle.

C’est cette dernière justification qui fonde l’avis de la Cour : « La loi nouvelle régissant immédiatement les effets légaux des situations juridiques ayant pris naissance avant son entrée en vigueur et non définitivement réalisées, il en résulte que l’article 24 de la loi 6 juillet 1989 modifié par la loi du 24 mars 2014 en ce qu’il donne au juge la faculté d’accorder un délai de trois ans au plus au locataire en situation de régler sa dette locative s’applique aux baux en cours à la date d’entrée en vigueur de la loi du 24 mars 2014 ».

La loi ALUR est donc bien d’application immédiate : la faculté du juge d’accorder un délai de paiement au locataire en situation de régler sa dette locative s’analysant comme un effet légal du bail, cette nouvelle prérogative, extraite du champ normalement réservé à la liberté contractuelle des parties, s’analyse comme un pouvoir judiciaire légal, indépendamment de ce qui a été prévu par les dispositions transitoires.

Jadis proposée par Roubier, cette notion de statut légal, auquel les parties acceptent de se soumettre en sachant ne pas pouvoir l’aménager par leur volonté, justifie depuis longtemps, en jurisprudence, l’application immédiate de la loi nouvelle aux effets du contrat, notamment du bail. 

Ainsi la Cour avait-elle jugé que les effets légaux d’un bail commercial sont régis par la loi nouvelle au jour où ces effets se produisent (Civ. 3e, 18 févr. 2009), et que le droit à renouvellement d’un bail commercial ayant sa source dans la loi et non dans le contrat, ce droit « se trouve, dans ses modalités demeurant à définir, affecté par la loi nouvelle, laquelle régit immédiatement les effets des situations juridiques ayant pris naissance avant son entrée en vigueur et non définitivement réalisées » (Civ. 3e, 13 déc. 1989).

Une condition, ici rappelée, est donc requise : la situation juridique, notamment contractuelle, établie avant l’entrée en vigueur de la loi, ne doit pas avoir encore produit tous ses effets. Si l’article 2 du Code civil ne fait pas obstacle à l’application immédiate des lois nouvelles aux situations juridiques établies avant son entrée en vigueur, c’est à la condition que celles-ci n’aient pas encore été « définitivement réalisées » (V. aussi, à propos de l’action directe du sous-traitant, Ch. mixte, 13 mars 1981).

Cette réserve se justifie par le principe, distinct mais complémentaire du principe de l’application immédiate de la loi nouvelle, de la non-rétroactivité de la loi nouvelle, interdisant qu’une loi nouvelle régisse les effets entièrement déployés dans le passé d’une situation juridique ou contractuelle.

Cass, avis, 16 févr. 2015, n°15/002

Références

 Article 2 du Code civil

« La loi ne dispose que pour l'avenir ; elle n'a point d'effet rétroactif. »

 P. Roubier, Le droit transitoire, Dalloz, 1960.

 Com. 3 mars 2009, n°07-16.527, Bull. civ. IV, n°31.

 Civ. 3e, 18 févr. 2009, n°08-13.143, Bull. civ. III, n°40, D. 2009. 1450, note G. Lardeux.

 Civ. 3e, 13 déc. 1989, n°88-11.056, Bull. civ. III, n°247.

 Ch. mixte, 13 mars 1981, n°80-12.125, Bull. civ., n°3 ; R. p. 38.

 

Auteur :M. H.


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