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Droit international privé
Application d’office par le juge de la règle de conflit en présence de droits indisponibles
Mots-clefs : Mariages bi-nationaux, Nullité, Règle de conflit, Office du juge
La première chambre civile a rendu trois arrêts en matière de nullité du mariage offrant l’occasion de revenir sur le régime procédural de la règle de conflit en la matière.
Dans les deux premières affaires, il était demandé l’annulation de mariages célébrés en France pour défaut de volonté matrimoniale. Le premier unissait un Français à une Algérienne (n°09-71.992) ; le second, un Français et une Togolaise (n°10-16.482). Dans les deux espèces, les juges du fond avaient été saisis sur le fondement de la loi française.
La validité d’un mariage entre deux personnes de différente nationalité repose sur des conditions de fond et de forme. La sanction alors édictée en cas de violation de l’une d’elles dépend de la loi qui régit la condition violée. Dès lors, si les conditions de forme relèvent de la loi du lieu de célébration du mariage, celles de fond sont définies par la loi nationale des époux.
La Haute cour casse les deux arrêts d’appel au visa de l’article 3 du Code civil. En effet, « il incombe au juge français, pour les droits indisponibles, de mettre en œuvre la règle de conflit de lois et de rechercher le droit désigné par cette règle ». Ainsi, pour apprécier le consentement des épouses — condition de fond du mariage —, les juges auraient dû se référer à la loi nationale de chacune d’elles, à savoir la loi algérienne pour la première affaire et la loi togolaise pour la seconde.
Ces arrêts viennent confirmer une solution de principe établie depuis 1999 avec l’arrêt M. Belaid (Civ. 1re, 26 mai 1999) ; v. déjà l’arrêt Rebouh : Civ. 1re, 11 oct. 1988) : en matière de droits indisponibles (en l’espèce, le mariage), l’obligation est faite au juge de relever d’office la règle de conflit. Rappelons que du point de vue de l’office du juge, la difficulté se déplace pour porter sur la frontière séparant les notions de droits indisponibles (règle de conflit de lois impérative) et de droits disponibles (règle de conflit de lois facultative) délicate à tracer, puisqu’il n’est plus possible de raisonner aujourd’hui par blocs de matières mais « droit par droit » (v. sur ce point : S. Clavel, Droit international privé ; P. Murat (dir.), Droit de la famille 2010-2011).
Une fois la règle de droit désignée par le juge, ce dernier est parfois amené à l’interpréter comme l’illustre la troisième affaire portée devant la Cour (n° 09-67.805). L’arrêt attaqué après cassation (v. Civ. 1re, 19 sept. 2007 cassant au visa de l’art. 3 C. civ. la nullité du mariage prononcée sur le fondement de la loi française) prononçait l’annulation d’un mariage célébré en Tunisie entre un Tunisien et une Française. Retenant une application distributive des lois personnelles des époux, les juges reprochaient à l’époux d’avoir poursuivi un but contraire à l’essence même du mariage, à savoir obtenir un titre de séjour sur le territoire français sans aucune intention de créer une famille et d’en assumer les charges. Cette clause tacite avait alors vicié le consentement au mariage de l’épouse qui, elle, poursuivait une véritable intention matrimoniale. Selon l’époux, en statuant ainsi, les juges avaient dénaturé les dispositions énoncées dans le Code du statut personnel tunisien relatives aux obligations issues du mariage. La Haute cour rejette le pourvoi en se retranchant derrière le pouvoir souverain des juges du fond : « c’est par une interprétation que rendait nécessaire l’ambiguïté née du rapprochement des dispositions (…) [du Code du statut personnel tunisien] que la cour d’appel a souverainement estimé que la démarche suivie s’analysait en une absence de consentement au mariage au sens premier d[es] textes ».
Civ. 1re, 1er juin 2011, n°09-71.992.
Civ. 1re, 1er juin 2011, n°10-16.482.
Civ. 1re, 1er juin 2011, n°09-67.805.
Références
■ Conflit de lois dans l’espace
« Concours de deux ou plusieurs ordres juridiques émanant d’États différents et susceptibles d’être appliqués à un même fait juridique. On parle aussi de conflit de lois dans l’espace.
C’est un conflit de compétences législatives (ex. : accident de la circulation survenu à deux Français en territoire étranger : la responsabilité civile doit-elle être appréciée selon la loi de l’État où a eu lieu l’accident, ou selon la loi nationale des intéressés ?). La solution du conflit s’opère traditionnellement grâce à une règle dite de conflit de lois.
Cette dernière peut être unilatérale, c’est-à-dire ne délimiter le champ d’application que de la seule loi du for, ou bilatérale, c’est-à-dire désigner la loi applicable en mettant sur un pied d’égalité loi du for et loi étrangère.
La méthode des règles de conflit de lois subit aujourd’hui la concurrence des lois “ d’application immédiate”. »
« L’office du juge définit quel est son rôle dans la direction du procès civil, quels sont ses pouvoirs et leurs limites.
(…)
En droit international privé, il entre dans la mission du juge français, s’agissant des droits dont les parties n’ont pas la libre disposition, de mettre en œuvre, même d’office, la règle de conflit de lois et de rechercher, au besoin avec le concours des parties, la teneur du droit étranger applicable. S’agissant des droits disponibles, cette obligation est subordonnée à l’invocation par une partie de l’application d’une loi étrangère. »
Source : Lexique des termes juridiques 2011, 18e éd., Dalloz, 2010.
« Les lois de police et de sûreté obligent tous ceux qui habitent le territoire.
Les immeubles, même ceux possédés par des étrangers, sont régis par la loi française.
Les lois concernant l'état et la capacité des personnes régissent les Français, même résidant en pays étranger. »
■ Civ. 1re, 26 mai 1999, M. Belaid, Bull. civ. I, n°174 ; GADIP, 5e éd., n°74-78 ; Rev. crit. DIP 1999. 707.
■ Civ. 1re, 11 oct. 1988, Rebouh, Bull. civ. I, n°278 ; GADIP, 5e éd., n°74-78 ; Rev. crit. DIP 1989. 368.
■ Civ. 1re, 19 sept. 2007, n°06-20.208.
■ S. Clavel, Droit international privé, 2e éd., Dalloz, coll. « HyperCours », 2010, n°142 s.
■ P. Murat (dir.), Droit de la famille 2010-2011, 5e éd., Dalloz, coll. « Dalloz Action », 2010, n°412.231 s.
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