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[ 8 février 2022 ] Imprimer

Droit des obligations

Appréciation de la disproportion de l'engagement de la caution séparée de biens

La disproportion de l'engagement d'une caution mariée sous le régime de la séparation de biens s'apprécie au regard de ses revenus et biens personnels, comprenant sa quote-part dans les biens indivis. 

Civ. 1re, 19 janv. 2022, n° 20-20.467

Une personne mariée sous le régime de la séparation de biens s'était portée caution solidaire à concurrence de 139 750 euros d'un prêt de 215 000 euros et à concurrence de 15 600 euros d'un découvert en compte courant de 12 000 euros, qui avaient été consentis par une banque à une société. Cette dernière ayant été mise en liquidation judiciaire, la banque assigna en paiement la caution, qui lui a opposé la disproportion de ses engagements. 

Pour dire les engagements de la caution manifestement disproportionnés à ses biens et revenus et rejeter les demandes de la banque, la cour d’appel retint que la caution avait acquis en indivision avec son épouse une maison d’habitation, constituant un bien commun soustrait au patrimoine de la caution puisqu’elle est séparée de biens et que son épouse n'avait pas donné son accord au cautionnement.

La cour d’appel ayant rejeté sa demande en paiement de la banque, celle-ci a formé un pourvoi en cassation, au moyen que la disproportion éventuelle de l'engagement d'une caution mariée sous le régime de la séparation des biens s'apprécie au regard de ses revenus et patrimoine personnels, ce qui inclut sa quote-part dans les biens indivis.

La Cour de cassation accueille favorablement les arguments de la banque et censure l’arrêt d’appel au visa des articles L. 341-4, devenu L. 332-1, du code de la consommation, et 1538 du code civil. Elle juge que la disproportion éventuelle de l'engagement d'une caution séparée de biens s'apprécie au regard de ses revenus et biens personnels, comprenant sa quote-part dans les biens indivis. Selon la Haute juridiction, en statuant comme elle l’a fait, la cour d'appel a violé les textes visés.

Principe de proportionnalité - L’ancien article L. 341-4 du code de la consommation figurant au visa disposait qu’un créancier professionnel ne pouvait se prévaloir d’un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l’engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation. Abrogé par l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 (art. 3) portant réforme du droit des sûretés, l’exigence de proportionnalité des cautionnements souscrits par une personne physique, avertie ou non, envers un créancier professionnel, demeure toutefois inchangée. Désormais prévu à l’article 2300 du code civil, le principe de proportionnalité justifie que « (s)i le cautionnement souscrit par une personne physique envers un créancier professionnel était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné aux revenus et au patrimoine de la caution, il (soit) réduit au montant à hauteur duquel elle pouvait s'engager à cette date ». Outre la suppression de la possibilité pour le créancier de se départir de l'exigence de proportionnalité en cas de retour à meilleure fortune de la caution, la sanction prévue est renouvelée, le manquement au principe de proportionnalité du cautionnement étant désormais sanctionné, non plus par la décharge totale de la caution, mais par la réduction du cautionnement au montant à hauteur duquel la caution pouvait s'engager au regard de son patrimoine et de ses revenus.

En revanche, le maintien du principe de proportionnalité est expressément réaffirmé si bien que même rendu sous l’empire du texte ancien, le présent arrêt, qui en traduit l’application, conserve tout son intérêt. 

Incidence du régime matrimonial de la caution - Selon le régime matrimonial adopté par l’époux caution, la disproportion de son engagement s’appréciera différemment.

■ Lorsque la caution est mariée sous le régime de la communauté de biens, marqué par la confusion patrimoniale des époux, la proportionnalité de l’engagement de caution s’apprécie par rapport aux biens et revenus de celle-ci, sans distinction et sans qu’il y ait lieu, depuis un arrêt de revirement, de tenir compte du consentement exprès du conjoint donné prévu à l’article 1415 du code civil (Com. 15 nov. 2017 n° 16-10.504). En conséquence, si le défaut de consentement du conjoint de la caution mariée sous un régime communautaire prive la banque de son droit de gage sur les biens communs, cette absence est sans incidence sur le caractère éventuellement disproportionné du cautionnement, apprécié à l’aune du patrimoine commun du couple, ce qui se comprend dans la mesure où l’autre époux profite par principe des biens de communauté. La jurisprudence antérieure limitant la prise en compte des biens communs au seul cas où le consentement de l’autre époux conduisait à étendre le gage du créancier aux biens de cette nature est depuis lors abandonnée. Il en résulte que la disproportion du cautionnement ne s’apprécie plus au regard de l’étendue du gage de son bénéficiaire.

■ Lorsque la caution est mariée sous le régime de la séparation de biens, marqué par l’indépendance patrimoniale des époux, la disproportion éventuelle de son engagement s’apprécie au regard de ses seuls biens et revenus personnels (Civ. 1re, 25 nov. 2015 n° 14-24.800 ; Com. 24 mai 2018, n° 16-23-036). La solution est conforme à l’article 1536 alinéa 2 du code civil selon lequel chacun des époux séparés de biens reste seul tenu des dettes nées de son chef avant ou durant le mariage, sauf pour les dettes liées à l’entretien du ménage ou l’éducation des enfants, pour lesquelles les époux sont solidaires.

Pour être opérationnelle, cette présentation suppose encore de préciser la nature exacte des biens soumis au contrôle de proportionnalité du cautionnement. Une clarification s’impose notamment, comme en témoigne la décision rapportée, lorsqu’un bien a été acquis en commun par les époux durant le mariage. S’il le fut par des époux mariés sous un régime communautaire, le bien, intégré au patrimoine commun du couple, sera naturellement qualifié de « bien commun ». Mais il en va autrement lorsque les époux se sont placés sous un régime séparatiste : dans la même hypothèse d’un bien acquis en commun, mais par des époux séparés de biens, le bien ne peut plus revêtir la qualification de bien commun, contrairement à ce qu’avait retenu la cour d’appel dans le présent arrêt. Il constitue un bien indivis, sur lequel chacun des époux détient une quote-part de propriété. Il est alors logique d’admettre, comme l’affirme ici la Cour, que lorsque des époux séparés de biens détiennent un bien en indivision, la seule fraction des droits indivis détenus par l’époux qui s’est porté caution doit être prise en considération pour apprécier la disproportion alléguée. Dit autrement, la quote-part dans l'indivision constitue un bien propre de la caution. Étant précisé qu’à suivre le raisonnement développé par la Cour en cette matière, il convient de tenir compte de la seule quote-part attribuée à l’époux caution, et non de l’ensemble du patrimoine indivis. Enfin, il est à noter qu’à rebours de la jurisprudence précitée ayant trait au cautionnement consenti par un époux commun en biens sans le consentement de l’autre, marquant une séparation entre la disproportion du cautionnement et le gage des créanciers qui en sont les bénéficiaires, dans un régime de séparation de biens, l’autonomie financière de chaque époux renouvelle cette perspective et commande au contraire d’apprécier la disproportion du cautionnement en lien avec le gage des créanciers. 

Appréciation - Sur un plan théorique, la solution mérite d’être approuvée en ce qu’elle fait correspondre dans un sens conforme aux intentions du législateur l’engagement de l’époux à son patrimoine personnel, à ses revenus comme à ses droits indivis, dont l’ensemble traduit ses facultés contributives (v. Bouchard, « Proportionnalité et saisissabilité des revenus professionnels du conjoint de la caution : consentir, c’est s’engager… », JCP N 2017, 1201).

Sur un plan pratique, elle augure en revanche d’une perte d’efficacité de la garantie apportée par une caution séparée de biens faisant état de biens indivis : sachant le risque d’un recours de la caution fondé sur la disproportion de son engagement appréciée à l’aune, parmi ses biens personnels, de sa seule quote-part des droits indivis, sans doute les banques préféreront-elles au cautionnement un autre type de garantie, potentiellement plus onéreuse et moins protectrice du patrimoine du couple. Dit autrement, malgré son orthodoxie juridique, la solution ici adoptée aura probablement pour effet néfaste de diminuer les chances d’obtenir un crédit garanti par une caution séparée de biens, dont certains en indivision.

Références :

■ Com. 15 nov. 2017 n° 16-10.504DAE, 12 juill. 2018, note Lisa Vernhes, D. 2018. 392, note M.-P. Dumont-Lefrand ; ibid. 1884, obs. P. Crocq ; AJ contrat 2018. 93, et les obs. ; RTD civ. 2018. 179, obs. P. Crocq ; ibid. 184, obs. P. Crocq ; ibid. 199, obs. M. Nicod

■ Civ. 1re, 25 nov. 2015 n° 14-24.800D. 2016. 1955, obs. P. Crocq ; AJDI 2016. 123

■ Com. 24 mai 2018, n° 16-23-036D. 2018. 1148 ; ibid. 1884, obs. P. Crocq ; AJ fam. 2018. 482, obs. J. Casey ; ibid. 315, édito. V. Avena-Robardet ; AJ contrat 2018. 323, obs. D. Houtcieff

 

Auteur :Merryl Hervieu


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