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Droit des régimes matrimoniaux
Appréciation de la proportionnalité de l’engagement de la caution mariée sous le régime de la séparation de biens : la délicate articulation avec le droit des régimes matrimoniaux
En cas de défaillance du débiteur, la caution qui souhaite se soustraire à son obligation de remboursement dispose d’un instrument redoutable : l’article L. 332-1 du Code de la consommation (C. consom., anc. art. L. 341-4), qui interdit au créancier de se prévaloir de l’engagement de la caution si celui-ci apparait disproportionné à ses biens et revenus.
Encore faut-il savoir comment les juges doivent apprécier cette proportionnalité lorsque celui qui s’est porté caution est marié sous le régime de la séparation de bien.
La cour de cassation répond à cette question dans l’arrêt commenté.
Un prêt consenti par un créancier professionnel est cautionné par une société, elle-même garantie par un particulier (une sous-caution donc). Suite à la défaillance du débiteur principal, la caution de premier rang est appelée au remboursement de la dette et, après avoir désintéressée le créancier, assigne en paiement la sous-caution.
Cette dernière lui oppose le caractère manifestement disproportionné de son engagement.
La cour d’appel rejette cette analyse et condamne la sous-caution à s’acquitter des sommes réclamées. Les premiers juges relèvent que « même si l’engagement souscrit représente deux années et demi de revenus professionnels, il n’est pas manifestement disproportionné à ses biens et revenus au sens des dispositions de l’article L. 341-4 du code de la consommation, dès lors que son épouse, séparée de biens, perçoit un revenu fixe et est propriétaire d’un bien immobilier, ce qui lui permet de contribuer dans de larges proportions à la subsistance de la famille et d’assurer son logement. ».
Les premiers juges apprécient donc le patrimoine de la caution dans une globalité, incluant également les biens et revenus de l’épouse séparée de biens.
Ce raisonnement ne pouvait que conduire à la censure.
L’article 1536 du Code civil prévoit en effet que « chacun [des époux séparés de biens] reste seul tenu des dettes nées en sa personne avant ou pendant le mariage, hors le cas de l'article 220 ». Ainsi, tenir compte du patrimoine de l’épouse revient à méconnaître ce cloisonnement prévu par le législateur et qui plus est, voulu par les époux qui ont opté pour le régime de la séparation de biens.
Ainsi, au visa de l’ancien article L. 341-4 du Code de la consommation et de l’article 1536 du Code civil, la Cour de cassation casse l’arrêt rendu par la cour d’appel : « Attendu que la disproportion éventuelle de l’engagement d’une caution mariée sous le régime de la séparation des biens s’apprécie au regard de ses seuls biens et revenus personnels […]. Qu’en statuant ainsi, alors qu’elle ne pouvait déduire que l’engagement de la caution était proportionné à ses biens et revenus du fait que son conjoint séparé de bien était en mesure de contribuer de manière substantielle aux charges de la vie courante, la cour d’appel a violé le texte susvisé. »
La solution est cohérente : dans le régime de la séparation de biens, les patrimoines des époux restent séparés et il n’y a, par principe, de masse commune (V. Séparation de biens [Rép. civ.], nos 159 s. ; à noter qu’une approche similaire a été retenue dans un arrêt de 2015 mais qui, contrairement à l’arrêt commenté, n’a pas reçu les honneurs d’une publication au bulletin, Civ 1re, 25 nov. 2015, n° 14-24.800).
L’appréhension de la proportionnalité est plus délicate en présence d’une communauté. En témoigne les récentes évolutions jurisprudentielles en la matière. Jusqu’en novembre 2017 et dans l’hypothèse d’une caution mariée sous le régime légal de la communauté réduite aux acquêts, les juges calquaient l’appréciation de la proportionnalité sur l’étendue du droit de poursuite des créanciers. Les biens communs étaient pris en considération lorsque l’époux non souscripteur avait donné son consentement à l’acte, en application de l’article 1415 du Code civil (Com. 22 févr. 2017, n° 15-14.915). Cette solution était vivement critiquée par la doctrine notamment parce qu’elle contrevenait à la ratio legis : « la finalité du code de la consommation n’est pas ici de protéger le créancier en lui assurant un gage suffisant sur les biens de la caution (ce qui impliquerait alors effectivement que la proportionnalité ne soit déterminée qu'en tenant compte des biens qu'il peut saisir), mais de protéger la caution à l'encontre d'un endettement excessif, ce qui va alors plutôt dans le sens d'une appréciation de la proportionnalité tenant compte de l'ensemble des biens dont elle peut disposer pour régler ses dettes, y compris les biens communs » (RTD civ. 2018. 184, obs. P. Crocq ; ibid. 199, obs. M. Nicod). Attentive à ces critiques, la Cour de cassation a opéré un revirement remarqué dans un arrêt du 15 novembre 2017 en considérant que la disproportion manifeste de l'engagement de la caution s'apprécie par rapport, notamment, à ses biens, « sans distinction ». Les biens communs sont alors pris en considération, qu’un consentement ait été donné ou non par le conjoint (Com. 15 nov. 2017, n° 16-10.504).
Com. 24 mai 2018, n° 16-23.036
Références
■ Civ 1re, 25 nov. 2015, n° 14-24.800 : D. 2016. 1955, obs. P. Crocq ; AJDI 2016. 123.
■ Com. 22 févr. 2017, n° 15-14.915 P : D. 2017. 500 ; ibid. 2119, obs. V. Brémond ; ibid. 2176, obs. D. R. Martin et H. Synvet ; Rev. sociétés 2017. 586, note S. Pla-Busiris ; Dalloz actualité, 7 mars 2017, note X. Delpech.
■ Com. 15 nov. 2017, n° 16-10.504 P : D. 2018. 392, note M.-P. Dumont-Lefrand ; AJ Contrat 2018. 93, et les obs. ; RTD civ. 2018. 184, obs. P. Crocq ; ibid. 199, obs. M. Nicod.
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