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[ 15 novembre 2017 ] Imprimer

Droit européen et de l'Union européenne

Arrêt pilote: renforcement du mécanisme

Mots-clefs : Arrêt pilote, Subsidiarité, Convention européenne des droits de l’homme, Inexécution, Comité des Ministres, Violation structurelle et systématique, Radiation

Face aux violations structurelles et systémiques de la Convention, la Cour européenne des droits de l’homme change de stratégie.

La Cour européenne des droits de l’Homme modifie son traitement des violations structurelles et systémiques ayant fait l’objet préalablement d’un arrêt pilote. Dans cette situation, la Cour juge qu’il lui revient non plus de traiter le ou les affaires en accordant des dédommagements financiers individualisés, mais qu’il lui appartient au contraire de les radier pour préserver son fonctionnement. La solution retenue implique également de renvoyer le traitement de ces affaires à l’intervention du Comité des Ministres qui est en charge de surveiller l’exécution des arrêts. 

A chacun ses responsabilités afin de préserver un fonctionnement efficient du mécanisme européen de protection des droits de l’homme, tel est finalement le message énoncé fermement par les juges de la Cour européenne. 

Ainsi, dans cet arrêt, les juges sont revenus sur la répartition des compétences entre la Cour, d’une part, et le Comité des Ministres, d’autre part. Ils insistent sur le rôle essentiel dévolu à ce Comité face à la multiplication de requêtes fondées sur une même violation et dont la résolution ne peut être envisagée qu’au stade de l’exécution de précédents arrêts de la Cour. Il faut dire que la Cour était saisie de 12148 requêtes à l’encontre de l’Ukraine, en raison de dysfonctionnements du système juridique quant à l’exécution de jugements définitifs et de l’absence de voies de recours internes effectives pour pallier cette défaillance. Cette violation avait été sanctionnée par la Cour européenne dans un arrêt pilote Ivanov du 15 octobre 2009, dans lequel il était indiqué les mesures à mettre en œuvre. Cet arrêt n’a jamais été suivi d’effets, les violations et les requêtes se multipliant, celles-ci atteignant même le chiffre de 29000. Si la Cour européenne a choisi dans un premier temps de traiter ses requêtes dans le cadre d’une procédure abrégée, simplifiée et accélérée pour rendre des arrêts et des décisions de radiations groupés visant à une déclaration de violation et à l’octroi d’une satisfaction équitable, la Cour s’y refuse dorénavant avec l’arrêt Burmych. En effet la Cour a choisi la radiation sur le fondement de l’article 37, paragraphe 1 de la Convention sans traiter la violation et la satisfaction équitable.

La solution est nécessairement violente pour les requérants. Cependant la position de la Cour est instructive par rapport à sa volonté de préserver l’efficacité du mécanisme européen de protection des droits fondamentaux et la place qu’elle souhaite accorder aux arrêts pilotes. Dans ce contentieux, la Cour était confrontée à une récurrence des requêtes, y compris sur des affaires déjà appréhendées par la juridiction européenne, afin d’accorder des dédommagements financiers individualisés aux requérants. Il est vrai que ces derniers étaient dans le même temps dans l’impossibilité d’obtenir gain de cause en Ukraine, l’État n’ayant pas adopté les réformes nécessaires. Comme elle le constate elle-même, la Cour européenne devenait par défaut un rouage se substituant aux autorités ukrainiennes, ce qui n’est clairement pas son rôle conformément à l’application du principe de subsidiarité prévu dans la Convention et qui exige que les droits fondamentaux soient d’abord protégés au niveau de l’État.

Dans ce cadre, la Cour rappelle tout d’abord l’importance de l’arrêt pilote et ensuite le rôle essentiel du Comité des Ministres. L’arrêt pilote constitue aujourd’hui un pilier du règlement du contentieux devant la Cour européenne afin de réduire le nombre de procédures susceptible de paralyser le bon fonctionnement de la Cour et de traiter rapidement des dysfonctionnements structurels. En effet, l’arrêt pilote constitue un moyen d’établir l’existence d’une violation, tout en étendant l’appréciation de la Cour au-delà des seuls intérêts du requérant. L’arrêt pilote permet ainsi d’appréhender l’affaire sous un angle plus général afin de proposer des mesures d’exécution visant à éliminer la source de la violation et, dans le même temps, à réparer les préjudices de l’ensemble des victimes. A partir de cet arrêt, il revient à l’État de prendre toutes les mesures internes nécessaires dans un délai raisonnable. Cette phase doit être opérée sous le contrôle du Comité des Ministres ainsi que le rappelle la Cour européenne. Il est de la responsabilité du Comité de s’assurer de la bonne exécution des arrêts pilotes notamment. C’est au regard de cette répartition des rôles que la Cour estime qu’il ne lui revient plus d’examiner les affaires entrant dans le champ d’un arrêt pilote, l’article 19 de la Convention n’ayant pas pour objet d’attribuer des dédommagements individualisés dans des affaires répétitifs. La solution doit obligatoirement et exclusivement se trouver dans l’exécution de l’arrêt pilote impliquant que le Comité utilise pleinement les prérogatives qui figurent à l’article 46 de la Convention.

Dès lors sur le fondement de l’article 37, paragraphe 1 de la Convention, la Cour juge que l’examen de telles requêtes ne se justifie plus. Par ce biais, elle évite une paralysie du système, permettant à la Cour d’examiner d’autres violations sur lesquelles elle ne s’est pas encore prononcée.

La Cour renforce ainsi le mécanisme de l’arrêt pilote et neutralise les conséquences d’une absence d’exécution par un État, préservant la bonne administration de la justice. Cet arrêt renvoie également les États, au sein du Comité des Ministres, à leur responsabilité, les obligeant à intervenir plus activement face à un État récalcitrant.

CEDH, gr. ch., 12 oct. 2017, Burmych et a. c/ Ukraine, n° 46852/13

Références

■ CEDH 15 oct. 2009, Ivanov, n° 40450/04.

■ Convention européenne des droits de l’Homme

Article 19

« Institution de la Cour. Afin d'assurer le respect des engagements résultant pour les Hautes Parties contractantes de la présente Convention et de ses protocoles, il est institué une Cour européenne des Droits de l'Homme, ci-dessous nommée ”la Cour”. Elle fonctionne de façon permanente. »

Article 37, § 1

« Radiation. 1. A tout moment de la procédure, la Cour peut décider de rayer une requête du rôle lorsque les circonstances permettent de conclure:

  a) Que le requérant n'entend plus la maintenir; ou

  b) Que le litige a été résolu; ou

  c) Que, pour tout autre motif dont la Cour constate l'existence, il ne se justifie plus de poursuivre l'examen de la requête.

  Toutefois, la Cour poursuit l'examen de la requête si le respect des droits de l'homme garantis par la Convention et ses protocoles l'exige. »

Article 46

« Force obligatoire et exécution des arrêts. 1. Les Hautes Parties contractantes s'engagent à se conformer aux arrêts définitifs de la Cour dans les litiges auxquels elles sont parties.

  2. L'arrêt définitif de la Cour est transmis au Comité des ministres qui en surveille l'exécution.

  3. Lorsque le Comité des ministres estime que la surveillance de l'exécution d'un arrêt définitif est entravée par une difficulté d'interprétation de cet arrêt, il peut saisir la Cour afin qu'elle se prononce sur cette question d'interprétation. La décision de saisir la Cour est prise par un vote à la majorité des deux tiers des représentants ayant le droit de siéger au Comité.

  4. Lorsque le Comité des ministres estime qu'une Haute Partie contractante refuse de se conformer à un arrêt définitif dans un litige auquel elle est partie, il peut, après avoir mis en demeure cette Partie et par décision prise par un vote à la majorité des deux tiers des représentants ayant le droit de siéger au Comité, saisir la Cour de la question du respect par cette Partie de son obligation au regard du paragraphe 1.

  5. Si la Cour constate une violation du paragraphe 1, elle renvoie l'affaire au Comité des ministres afin qu'il examine les mesures à prendre. Si la Cour constate qu'il n'y a pas eu violation du paragraphe 1, elle renvoie l'affaire au Comité des Ministres, qui décide de clore son examen. »

 

Auteur :V. B.


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