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Droit administratif général
Arrêtés de reconduite à la frontière : invocabilité directe de la directive retour
Mots-clefs : Directive, Avis, Question de droit nouvelle et sérieuse, Délai, Retour, CESEDA, Reconduite, Obligation de transposition
La directive non transposée peut être invoquée directement devant les tribunaux français lorsqu’elle est suffisamment précise et inconditionnelle.
La directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier (directive retour) devait être transposée en droit français avant le 24 décembre 2010. Or, ses dispositions sont en cours d’examen devant le Parlement français (projet de loi relatif à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité, le texte a été adopté en deuxième lecture, à l’Assemblée nationale, le 15 mars 2011, la seconde lecture doit avoir lieu au Sénat les 12 et 13 avril prochains).
Dans deux affaires relatives à des demandes d’annulation d’arrêtés de reconduite à la frontière, où la directive retour était invoquée, le tribunal administratif de Montreuil (TA Montreuil, 20 janv. 2011, M. Liang J., n° 1100323 et 10 févr. 2011, M. Kadarou T., n° 1100870) a considéré qu’il était en présence de questions de droit nouvelles présentant des difficultés sérieuses et susceptibles de se poser dans de nombreux litiges. Il a donc décidé de surseoir à statuer et de transmettre les dossiers de ces requêtes, pour avis, au Conseil d’État, conformément à la procédure de l’article L. 113-1 du Code de justice administrative.
Dans la première affaire (n° 1100323), la question était de savoir si les dispositions des articles 7 et 8 de la directive retour, selon lesquelles, notamment, une décision de reconduite d’un étranger doit laisser un délai approprié allant de 7 à 30 jours pour permettre son départ volontaire, sont précises et inconditionnelles et par suite directement invocables en droit interne en l’absence de transposition par le législateur. La question de droit relative à la seconde affaire (n° 1100870) est posée en ces termes : lorsque la décision ordonnant la reconduite à la frontière d’un étranger ne prévoit pas le délai approprié pour le départ de l’intéressé, les dispositions du II de l’article L. 511-1 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) qui ne prévoient aucun délai sont-elles compatibles avec les stipulations des articles 7 et 8 de la directive retour.
Après avoir rappelé que la transposition en droit interne des directives communautaires est une obligation résultant du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) et revêt le caractère d’une obligation constitutionnelle (art. 88-1 de la Constitution), le Conseil d’État affirme dans son avis rendu le 21 mars 2011 qu’il appartient au juge national de garantir l’effectivité des droits que toute personne possède à l’égard des autorités publiques. Ainsi, les juges du Palais Royal considèrent que les dispositions de la directive ne font pas obstacle à ce qu’une mesure de reconduite soit prise sur le fondement de l’article L. 511-1-II du CESEDA si elle respecte les conditions de forme et de fond prévues par la directive et notamment, lorsque celle-ci l’exige, l’arrêté doit comporter un délai minimal de 7 jours avant la mise en œuvre de la reconduite afin de permettre à l’étranger de quitter volontairement le territoire français. De plus, en se fondant sur la jurisprudence de la CJUE (p. 4), le Conseil d’État considère que les dispositions des articles 7 et 8 de la directive sont suffisamment précises et inconditionnelles pour pouvoir être invocables directement par toute personne contestant un arrêté de reconduite. En effet, on sait que depuis la décision d’assemblée du Conseil d’État en date du 30 octobre 2009, Mme Perreux, une directive suffisamment précise et inconditionnelle peut être invoquée à l’appui d’un recours direct contre un acte individuel une fois passé le délai de transposition.
CE avis, 21 mars 2011, MM. J. et T. n° 345978 et 346612
Références
« Dans le droit de l’Union européenne liant les États membres destinataires quant au résultat à atteindre, tout en leur laissant le choix des moyens et de la forme pour en transposer le contenu en droit interne. Dans la CECA, l’acte comparable était la recommandation ; dans le 3e pilier de l’Union européenne (jusqu’au traité de Lisbonne), il s’agissait de la décision-cadre. »
« Décision du juge opérant suspension provisoire du cours de l’instance. Par exemple, si un incident de faux est soulevé devant une juridiction autre que le tribunal de grande instance ou la cour d’appel, il est sursis à statuer jusqu’au jugement sur le faux.
Le sursis à statuer ne dessaisit pas la juridiction; il peut être révoqué ou réduit dans sa durée. »
Sources : Lexique des termes juridiques 2011, 18e éd., Dalloz, 2010.
■ Article L. 113-1 du Code de justice administrative
« Avant de statuer sur une requête soulevant une question de droit nouvelle, présentant une difficulté sérieuse et se posant dans de nombreux litiges, le tribunal administratif ou la cour administrative d'appel peut, par une décision qui n'est susceptible d'aucun recours, transmettre le dossier de l'affaire au Conseil d'État, qui examine dans un délai de trois mois la question soulevée. Il est sursis à toute décision au fond jusqu'à un avis du Conseil d'État ou, à défaut, jusqu'à l'expiration de ce délai. »
■ Article L. 511-1 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile
« I.-L'autorité administrative qui refuse la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour à un étranger ou qui lui retire son titre de séjour, son récépissé de demande de carte de séjour ou son autorisation provisoire de séjour, pour un motif autre que l'existence d'une menace à l'ordre public, peut assortir sa décision d'une obligation de quitter le territoire français, laquelle fixe le pays à destination duquel l'étranger sera renvoyé s'il ne respecte pas le délai de départ volontaire prévu au troisième alinéa. L'obligation de quitter le territoire français n'a pas à faire l'objet d'une motivation.
La même autorité peut, par décision motivée, obliger un ressortissant d'un État membre de l'Union européenne, d'un autre État partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse à quitter le territoire français lorsqu'elle constate qu'il ne justifie plus d'aucun droit au séjour tel que prévu par l'article L. 121-1.
L'étranger dispose, pour satisfaire à l'obligation qui lui a été faite de quitter le territoire français, d'un délai d'un mois à compter de sa notification. Passé ce délai, cette obligation peut être exécutée d'office par l'administration.
Les dispositions du titre V du présent livre peuvent être appliquées à l'étranger faisant l'objet d'une obligation de quitter le territoire français dès l'expiration du délai prévu à l'alinéa précédent.
L'étranger qui fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français peut solliciter le dispositif d'aide au retour financé par l'Office français de l'immigration et de l'intégration, sauf s'il a été placé en rétention.
II.L'autorité administrative compétente peut, par arrêté motivé, décider qu'un étranger sera reconduit à la frontière dans les cas suivants :
1° Si l'étranger ne peut justifier être entré régulièrement en France, à moins qu'il ne soit titulaire d'un titre de séjour en cours de validité ;
2° Si l'étranger s'est maintenu sur le territoire français au-delà de la durée de validité de son visa ou, s'il n'est pas soumis à l'obligation du visa, à l'expiration d'un délai de trois mois à compter de son entrée en France sans être titulaire d'un premier titre de séjour régulièrement délivré ;
3° Si l'étranger fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français exécutoire prise depuis au moins un an ;
4° Si l'étranger n'a pas demandé le renouvellement de son titre de séjour temporaire et s'est maintenu sur le territoire au-delà du délai d'un mois suivant l'expiration de ce titre ;
5° Si l'étranger a fait l'objet d'une condamnation définitive pour contrefaçon, falsification, établissement sous un autre nom que le sien ou défaut de titre de séjour ;
6° Abrogé ;
7° Si l'étranger a fait l'objet d'un retrait de son titre de séjour ou d'un refus de délivrance ou de renouvellement d'un titre de séjour, dans les cas où ce retrait ou ce refus ont été prononcés, en application des dispositions législatives et réglementaires en vigueur, en raison d'une menace à l'ordre public.
8° Si pendant la période de validité de son visa ou, s'il n'est pas soumis à l'obligation du visa, pendant la période définie au 2° ci-dessus, le comportement de l'étranger a constitué une menace pour l'ordre public ou si, pendant cette même durée, l'étranger a méconnu les dispositions de l'article L. 341-4 du code du travail. »
■ Directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier
■ Article 88-1 de la Constitution
« La République participe à l'Union européenne constituée d'États qui ont choisi librement d'exercer en commun certaines de leurs compétences en vertu du traité sur l'Union européenne et du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, tels qu'ils résultent du traité signé à Lisbonne le 13 décembre 2007. »
■ CE, Ass., 30 oct. 2009, Mme Perreux, req. no 298348, AJDA 2009. 2385, chron. Lieber et Botteghi ; JCP Adm. 2010. 2036, note Dubos et Katz ; Dr adm. 2009, Étude. no 21, note Gautier.
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