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Assignation à résidence, fermeture administrative et état d’urgence : les précisions du Conseil d’État
Mots-clefs : État d’urgence, Assignation à résidence, Fermeture administrative, Terrorisme, Modalités d’application, Conseil d’État, Référé
Après avoir statué le 11 décembre 2015, sur le régime d’assignation à résidence concernant des activistes engagés contre la COP 21 (V. Dalloz Actu Étudiant, le billet du 15 déc. 2015), le juge des référés du Conseil d’État vient de préciser les modalités d’application de ce régime particulier mais également celles des fermetures administratives.
■ Le régime d’assignation à résidence
Les décisions d’assignation à résidence, dont le régime a été déclaré conforme à la Constitution par la décision du Conseil constitutionnel du 22 décembre 2015 (n° 2015-527 QPC), sont prises sur le fondement de l’article 6 de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence modifiée par la loi n° 2015-1501 du 20 novembre 2015. Conformément à cet article, le pouvoir de décision appartient au ministre de l’intérieur. La personne est assignée à résidence lorsqu’il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l'ordre publics. L’arrêté d’assignation à résidence va préciser le délai qui peut être pour une période donnée ou pour la durée légale de l’application de l’état d’urgence ; les horaires et le lieu (généralement les locaux où la personne réside) d'assignation à résidence. Il peut également être ajouté l’obligation de présentation aux services de police ou aux unités de gendarmerie, selon une fréquence déterminée qui ne peut dépasser trois présentations par jour; doit également être précisée si cette obligation est applicable les dimanches et jours fériés ou chômés. Par ailleurs, l’arrêté peut notamment interdire à la personne assignée à résidence d'entrer en relation directement ou indirectement avec des personnes nommément désignées.
La première ordonnance du Conseil d’État du 6 janvier 2016 (n° 395622) concernait une demande de suspension de l’exécution de l’arrêté du 22 novembre 2015 du ministre de l’intérieur ayant assigné à résidence une femme sur le territoire de Brétigny-sur-Orge avec obligation de se présenter trois fois par jour, à 9h, 14h et 19h au commissariat de police d’Arpajon, à 10 km de chez elle, tous les jours de la semaine y compris les jours fériés et chômés, et de rester dans les locaux où elle réside de 20h à 6h. Par ailleurs, il est interdit à cette personne de se déplacer en dehors de sa commune de résidence sans avoir obtenu au préalable une autorisation écrite du préfet de l’Essonne.
Selon le juge des référés du Conseil d’État, la décision d’assignation à résidence de cette femme ne porte pas une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d’aller et venir. En effet, son compagnon avec lequel elle a eu trois enfants est soupçonné de terrorisme, de trafic d’armes et d’avoir rejoint les djihadistes à la frontière entre la Turquie et la Syrie. Elle est elle-même soupçonnée d’apporter son soutien logistique au père de ses enfants. Elle a également effectué plusieurs voyages en Turquie entre septembre et novembre 2015. Elle ne conteste pas que son compagnon est impliqué dans la lutte armée au profit de la communauté tchétchène, mais affirme n’avoir aucun lien avec les activités de celui-ci, en être séparée et n’avoir plus de contact.
En revanche, le juge des référés du Conseil d’État considère que les modalités de l’assignation à résidence de cette femme portent une atteinte grave et manifestement illégale au droit au respect de la vie familiale (Conv. EDH, art. 8) et à l’intérêt supérieur des enfants (Conv. internationale relative au droit de l’enfant du 26 janv. 1990, art. 3). En effet, elle élève seule ses trois enfants nés en 2009, 2012 et 2014, dont deux sont scolarisés. Elle doit se rendre trois fois par jour en bus et en train au commissariat d’Arpajon. Il s’ensuit que le respect des obligations de présentation au commissariat fait peser, tant en raison de la localisation du lieu des convocations, du nombre de celles-ci par jour que des horaires fixés, des contraintes excessivement lourdes quant à l’organisation de sa vie de famille que ne justifient manifestement pas les motifs ayant conduit à décider de son assignation à résidence. Toutefois, par un arrêté du 6 janvier 2016 pris au vu des éléments échangés au cours de l’audience publique, le ministre de l’intérieur a modifié l’arrêté du 22 novembre 2015 afin de déterminer des nouvelles modalités d'assignation à résidence. Ainsi, le nombre des obligations de présentation a été ramené à deux par jour, avec obligation de présentation du lundi au vendredi au poste de police de Brétigny-sur-Orge. Néanmoins, l’arrêté modificatif prévoit qu’en cas de fermeture exceptionnelle de ce poste de police dans la semaine ainsi que les samedi et dimanche, cette personne devra se présenter au commissariat d’Arpajon. Il s’ensuit que le juge des référés du Conseil d’État enjoint au ministre de l’intérieur de prendre, sans délai, toute mesure de nature à permettre, par tous moyens, à l’intéressée de s’acquitter dans tous les cas et tous les jours de ses obligations de présentation dans la commune de Brétigny-sur-Orge.
La seconde affaire (n° 395620 et 395621) concernait un homme, propriétaire d’un établissement de restauration rapide, assigné à résidence sur le territoire de la commune du Cannet pendant la durée de l’état d’urgence avec obligation de se présenter deux fois par jour à 8h et 19h au commissariat de police de Cannes tous les jours de la semaine et de demeurer dans les locaux où il réside de 20h à 6h. Le juge des référés du Conseil d’État rappelle, en l’espèce, que l’arrêté d’assignation à résidence a été pris par le ministre de l’intérieur en raison notamment de la fréquentation très régulière, par cet homme, de deux lieux de prière au Cannet (lieux de tendance salafiste) et à Cannes (mosquée financée par un proche de la famille royale saoudienne et accueillant un imam radical). Trois membres cannois d’une cellule terroriste, aujourd’hui démantelée, fréquentaient son établissement de restauration rapide. Par ailleurs, il avait eu pour témoin à son mariage religieux un homme, islamiste radical ayant séjourné et combattu au Yémen. Ainsi, vu l’ensemble des éléments recueillis tout au long de l’instruction, le juge des référés du Conseil d’État déclare qu’il existe de sérieuses raisons de penser que son comportement constitue une menace grave pour la sécurité et l’ordre publics. Il s’ensuit qu’en fixant les modalités d’exécution, le ministre de l’intérieur, conciliant les différents intérêts en présence, n’a pas porté une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.
■ Le régime des fermetures administratives
En application de l’article 8 de la loi du 3 avril 1955, le ministre de l’intérieur ou le préfet peut également ordonner la fermeture provisoire des salles de spectacles, débits de boissons et lieux de réunion de toute nature.
Dans la seconde espèce (n° 395620 et 395621) présentée se posait également la question de l’atteinte à la liberté d’entreprendre en raison de la fermeture administrative de l’établissement de restauration rapide d'un homme assigné à résidence. Le préfet des Alpes-Maritimes s’était pour cela fondé sur la circonstance que se déroulait « selon toute vraisemblance » dans cet établissement une activité de propagande et de prosélytisme. Mais, en l’espèce, le juge des référés du Conseil d’État constate que l’autorité administrative a porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d’entreprendre. Il retient notamment pour cela que si les membres de la cellule terroriste aujourd’hui démantelée avaient fréquenté l’établissement de restauration rapide, ils ne s’y sont plus rendus depuis 2013. Il en est de même pour des délinquants qui avaient également fréquenté cet établissement. Aucun élément au dossier ne fait apparaître que des personnes suspectes d’activités menaçant l’ordre public s’y seraient réunies depuis plus de deux ans. La fermeture administrative du restaurant est donc suspendue.
CE, ord., 6 janv. 2016, n° 395622.
CE, ord., 6 janv. 2016, n° 395620 et 395621.
Références
■ Convention européenne des droits de l’homme
Article 8
« Droit au respect de la vie privée et familiale. 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »
■ Convention de New York relative aux droits de l’enfant du 26 janvier 1990
Article 3
« 1. Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale.
2. Les États parties s’engagent à assurer à l’enfant la protection et les soins nécessaires à son bien-être, compte tenu des droits et des devoirs de ses parents, de ses tuteurs ou des autres personnes légalement responsables de lui, et ils prennent à cette fin toutes les mesures législatives et administratives appropriées.
3. Les États parties veillent à ce que le fonctionnement des institutions, services et établissements qui ont la charge des enfants et assurent leur protection soit conforme aux normes fixées par les autorités compétentes, particulièrement dans le domaine de la sécurité et de la santé et en ce qui concerne le nombre et la compétence de leur personnel ainsi que l’existence d’un contrôle approprié. »
■ Cons. const. 22 déc. 2015, M. Cédric D., n° 2015-527 QPC.
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